Œuvre toute récente de la dramaturge Isabelle Leblanc, Rita au désert, d’abord roman, est transposée sur les planches. La dramaturge propose un récit intrigant sur ce que la création permet. Sont noués les destins de Lucien Champion, chroniqueur sportif d’un hebdomadaire sans âme, et de Rita Houle, quinquagénaire dont le destin tourne lorsqu’elle est sélectionnée pour participer à un rallye automobile de 25 000 km à travers le désert de Gobi. C’est à travers la voix de Lucien, cependant, que nous est rendue l’histoire de Rita ; se déploie alors une tension entre ce qui s’est réellement passé et les histoires que l’on construit, que l’on aurait voulu voir se produire.
Le décor transporte le public dans une salle de presse étouffante, comme un huis clos – de par son aspect industriel, son éclairage blanc –, mais qui semble pourtant trop grande pour Lucien, qui s’y affaire seul avec ses idées de grandeur. Grand lecteur de Balzac, il rêve de dévoiler au monde ses talents de biographe et d’écrire de grandes fresques dignes de la Comédie humaine. Rita Houle devient alors l’occasion parfaite de mettre son talent à l’œuvre. Rita au désert, ainsi, se déploie comme le long récit des aventures de Rita, narré par Lucien. Seulement, les ambitions que ce dernier projetait à sa muse ne se réalisent pas tout à fait ; le public apprend, à la moitié de la pièce, que Rita a été disqualifiée, qu’elle ne s’est jamais rendue en Chine. Qu’y a‑t-il de vrai, alors, dans le récit qu’il nous livre ? Quelle part est inventée ?
« Se déploie alors une tension entre ce qui s’est réellement passé et les histoires que l’on construit, que l’on aurait voulu voir se produire »
Entre réalité et fiction
Roger La Rue, dans le rôle de Lucien, livre une performance à couper le souffle. Il est seul sur scène pendant la majeure partie de la pièce ; c’est sur ses épaules que repose tout l’échafaudage dramatique. Alexandrine Agostini, qui incarne Rita, apparaît à la toute fin vêtue de sa combinaison et de son casque de pilote automobile. Cette figure semble davantage émerger des fantasmes de Lucien que de la réalité ; elle vient accompagner la tirade du biographe, en retrait, comme un personnage en périphérie de la réalité. Elle ne prend parole qu’à la fin : elle se met à chanter, puis à danser, dans une performance éthérée qui laisse perplexe. Le dénouement de la pièce s’étale un peu. À plusieurs reprises, des clés de lecture nous sont fournies, clés qui permettraient d’interpréter le nouage entre réalité et fiction tout en laissant un voile de mystère autour de ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Mais ce qui s’est réellement passé nous est expliqué, donnant tout au public et mettant fin à la pièce sur un goût doux-amer.
Rita au désert donne à voir la posture de celui·le qui n’a rien accompli et qui invente pour pallier le sentiment de non-accomplissement ternissant parfois les rêves qui n’ont pas été réalisés. Ainsi se déploie le pouvoir du·e la créateur·rice et la valeur des expériences qui sont rêvées plutôt que vécues, dans une tentative de « sauver ce qui n’a jamais existé » et de « faire que vive, quelque part, ce qui n’est jamais advenu », comme nous dit Isabelle Leblanc.
Rita au désert est présentée jusqu’au 3 décembre au Théâtre de Quat’Sous.