Annoncée le 10 janvier dernier, la démission du directeur national de la Santé publique, Horacio Arruda, a fait bien des vagues au Québec. Dans sa lettre de démission, il a expliqué que des propos tenus récemment sur la « crédibilité de [ses] avis et sur [sa] rigueur scientifique » avaient érodé la confiance de la population. Effectivement, la gestion de la cinquième vague de COVID-19 par le gouvernement québécois a laissé à désirer, et le docteur Arruda a à maintes reprises donné des avis contraires à ceux d’autres expert·e·s, notamment sur l’utilisation des masques N‑95. Toutefois, son départ a plutôt des airs de renvoi par le gouvernement Legault. Ce dernier semble vouloir faire porter le blâme de l’état épidémiologique catastrophique à une entité extérieure au gouvernement caquiste en se débarrassant d’un directeur de la Santé publique imparfait.
Mais le docteur Arruda n’est pas le seul à s’être fait désigner comme bouc émissaire par le gouvernement en place. Les non-vacciné·e·s, ce fameux 10% de la population québécoise qui n’ont toujours pas obtenu leur première dose, jouent aussi ce rôle.
Il est certain que les personnes non-vaccinées composent une part disproportionnée des hospitalisations qui pèsent sur le système de santé. Toutefois, avec le niveau de contagiosité du variant Omicron, la vaccination seule ne suffira ni à empêcher la propagation de la COVID, ni à régler les problèmes du système de soins québécois. Si nos hôpitaux débordent, c’est aussi en raison de l’état pré-pandémique déplorable de notre réseau de la santé, conséquence des politiques d’austérité et de compressions budgétaires des dix dernières années. Avec ses discours pointant du doigt les non-vacciné·e·s, le gouvernement Legault leur attribue la part de responsabilité qui leur revient, mais il en profite par la même occasion pour leur faire porter le poids d’une machine qui grince depuis trop longtemps. Il y a aussi quelque chose de malsain à rediriger la colère populaire vers une petite partie de la population, surtout que l’on retrouve parmi les non-vacciné·e·s certaines des personnes les plus vulnérables de notre société, comme celles en situation d’itinérance ou sans-papiers.
Gouverner par sondages
En plus de rejeter la responsabilité de la pandémie sur des individus plutôt que sur lui-même, le gouvernement brille par ses décisions sans fondement factuel. Prenons l’exemple de la nouvelle contribution santé. Plutôt que de citer des données scientifiques et des avis d’expert·e·s pour justifier la création de cette mesure, le premier ministre a présenté des arguments sentimentaux : il a notamment évoqué la fatigue et le ressentiment contre les non-vacciné·e·s.
« Avec ses discours pointant du doigt les non-vacciné·e·s, le gouvernement Legault leur attribue la part de responsabilité qui leur revient, mais il en profite par la même occasion pour leur faire porter le poids d’une machine qui grince depuis trop longtemps »
Inutile d’être savant·e pour émettre de sérieux doutes face à cette proposition. En effet, rien ne suggère que cette contribution santé va améliorer la situation. D’une part, elle sera mise en place trop tard pour avoir un impact sur la cinquième vague, et d’autre part, le gouvernement n’a pas jugé bon d’expliquer à quoi servirait ce nouveau revenu. De plus, d’un point de vue éthique, elle constitue une intrusion importante du gouvernement dans les libertés individuelles, intrusion qui n’est toujours pas justifiée par des données probantes. Tout porte à croire que cette décision vise à satisfaire l’électorat vacciné et épuisé, comme une petite vengeance contre les non-vacciné·e·s.
La gouvernance « par sondages » de la CAQ se fait également sentir dans son usage inconstant du couvre-feu. La première fois que le gouvernement caquiste avait décrété une telle mesure pour une durée de presque six mois, il disposait de l’appui de la majorité de la population. Cette fois-ci, le couvre-feu a été levé à peine deux semaines après sa mise en œuvre. Par pur hasard, un récent sondage indiquait que plus de la moitié de la population québécoise désapprouvait cette mesure. Tous les gouvernements visent à plaire, car c’est ainsi qu’ils gagnent des élections. Toutefois, dans un contexte de crise sanitaire, ils ne peuvent pas se permettre de jouer à l’apprenti sorcier : ils devraient écouter les professionnel·le·s. Or, comme le soulignait le chef du Parti Québécois, Paul Saint-Pierre Plamondon, dans un gazouillis, la cellule de crise du gouvernement comporte bien des spécialistes en communications et en politique mais un seul scientifique, soit le directeur national de la Santé publique. Alors, quelle place occupe les faits dans la réflexion du gouvernement ? François Legault demande continuellement aux personnes non-vaccinées d’écouter la science – il serait peut-être temps pour lui de suivre son propre conseil.