En ce début d’année électorale, la situation politique au Québec semble remarquablement figée. Malgré son amateurisme et son manque alarmant de transparence en ce qui a trait à la gestion de la pandémie, François Legault se maintient au sommet des intentions de vote. L’opposition se bat pour disputer un peu de la visibilité du premier ministre. Le seul parti ayant réussi un tant soit peu à entailler la popularité de la CAQ, notamment dans la région de Québec, est le Parti conservateur du Québec (PCQ). Mais Éric Duhaime a‑t-il une réelle chance de faire une percée significative ? L’histoire nous apprend que les extrêmes politiques séduisent assez peu dans notre province.
Depuis plusieurs décennies, des partis provinciaux et fédéraux très à droite ont vu le jour au Québec. Dès 1934, le « fürher canadien » Adrien Arcand, admirateur d’Hitler et de Mussolini, fonde le Parti National Social Chrétien (PNSC), une organisation ultrareligieuse et antisémite, dont l’emblème est la croix gammée nazie. Le PNSC a alors une structure hiérarchique militarisante similaire à celle des fascistes italiens, ses militants appartenant à des groupes comme « Les légionnaires », aujourd’hui mieux connus sous le nom de « Chemises Bleues ». Arcand n’arrive à récolter que très peu de soutien au Québec et n’obtient que 0,16% du vote lors de l’élection fédérale de 1940. Son parti est dissous peu après par le gouvernement fédéral de Mackenzie King, qui craint sa sympathie pour les ennemis du monde libre, et Arcand est emprisonné dans un camp de détention.
Dans les années 1940, un parti réformateur voit le jour. Il s’agit du Bloc populaire, qui présente des candidats aux deux paliers de gouvernement et semble a priori être un parti de gauche. Sa principale raison d’être est l’opposition à la conscription. Il prône par ailleurs une plus grande intervention de l’État dans l’économie pour limiter l’influence des « trusts », ces conglomérats anticoncurrentiels. Cela dit, être en faveur d’un État fort ne signifie pas nécessairement être de gauche. A contrario, plusieurs au Bloc populaire sont inspirés par le corporatisme des fascistes Franco et Salazar. Certaines des figures les plus éminentes du Bloc populaire, comme Henri Bourassa – fondateur du Devoir et brillant réformateur au début du 20e siècle qui se radicalise à droite en vieillissant – et André Laurendeau – chef de l’aile provinciale du parti de 1943 à 1947 – se montrent d’ailleurs très antisémites. Laurendeau manifestera des regrets, dans les années 1960, par rapport à ses positions anti-juives. Bourassa et d’autres membres du parti soutiennent également Pétain. Bien que le Bloc populaire soit une coalition politique hétéroclite, on ne peut nier dans ses rangs un intérêt certain pour les hommes forts européens. Aux élections provinciales de 1944, le Bloc populaire remporte moins de 15% des votes et fait élire quatre députés. En 1945, lors du scrutin fédéral, sa part du vote diminue et ne fait élire que deux députés. Après le départ de son chef André Laurendeau, le parti se désagrège rapidement et ne présente personne à l’élection provinciale de 1948.
« Tout au long de notre histoire, il y a toujours eu un bipartisme entre le PLQ, de centre, et un parti nationaliste soit de centre gauche comme le PQ, soit conservateur sans être d’ultradroite, comme la CAQ »
Dans les années 1960–1970, la droite morale et religieuse québécoise se réunit autour du Parti créditiste qui prône l’impression massive d’argent dans le but de soutenir financièrement les citoyens. Les créditistes, opposés aux changements de la Révolution tranquille, préconisent aussi un retour aux valeurs familiales et religieuses traditionnelles. Comme le Bloc populaire avant eux, ils présentent des candidats au provincial et au fédéral. Le chef de la section fédérale, Réal Caouette, est religieux, hostile à l’homosexualité et en faveur de la peine de mort. La figure la plus connue de l’aile provinciale reste néanmoins Camil Samson qui, dans un discours devenu célèbre, attaque « les p’tits professeurs de cégep barbus » qui veulent sortir la religion de l’éducation, en un exemple typique de la haine contre les intellectuels caractéristique des radicaux politiques. Le plus haut score des créditistes, tous paliers confondus, avoisine le quart des votes, ce qui est loin d’être une révolution. À titre de comparaison, le Parti québécois (PQ) remporte 30% des voix dès sa deuxième élection, en 1973. À peine cinq ans après sa création, le PQ se porte mieux d’un point de vue électoral que le Parti créditiste dans l’ensemble de son histoire.
Il y a plusieurs autres exemples de partis provinciaux ou fédéraux d’ultradroite fondés au Québec. Du Parti nationaliste chrétien à la fin des années 1960, qui souhaite faire du Québec une théocratie catholique, à l’actuel Parti Populaire du Canada de Maxime Bernier, qui n’a fait élire aucun député aux élections fédérales de 2021, la constante demeure que ces formations n’attirent que très peu de partisans. Une preuve supplémentaire de ce constat réside dans le fait que le PCQ a existé pendant 12 ans, avant qu’Éric Duhaime n’en prenne la tête, et le parti n’a obtenu jusqu’à présent que des scores négligeables. À vrai dire, tout au long de notre histoire, il y a toujours eu un bipartisme entre le PLQ, de centre, et un parti nationaliste, soit de centre gauche comme le PQ, soit conservateur sans être d’ultradroite, comme la CAQ, qui demeure bien moins radicale que le parti d’Éric Duhaime. Ainsi, les Québécois préfèrent toujours la modération, ce qui est une mauvaise nouvelle pour le chef du PCQ.
De l’autre côté du spectre politique, cela pourrait aussi frustrer Québec Solidaire. En effet, le Parti ouvrier du Québec, le Parti socialiste du Québec, le Rassemblement pour l’indépendance nationale, le NPD québécois, l’Union des forces progressistes et Option nationale sont autant de défuntes formations politiques plutôt de gauche qui, historiquement, n’ont pas mieux performé que les partis d’ultradroite. Comme quoi le centrisme prudent et parfois excessif des Québécois peut autant déplaire aux deux côtés.