Chez les étudiant·e·s en droit de l’Université McGill, la question du retour en personne le 24 janvier a entraîné la convocation de multiples réunions : une assemblée étudiante informelle le 19 janvier, une assemblée publique (town hall) organisée par le doyen Robert Leckey le 21 janvier et une assemblée générale spéciale convoquée par l’Association des étudiant·e·s en droit (AÉD) le 28 janvier. L’insatisfaction étudiante face aux décisions de la Faculté a fait émerger la possibilité d’une grève.
Poussée étudiante en faveur de l’enseignement hybride
En entretien avec Le Délit, la vice-présidente Affaires académiques de l’AÉD Charlotte Sullivan a affirmé avoir reçu un grand nombre de témoignages inquiets quant au retour en présentiel le 24 janvier. La plupart déplorerait « la déficience des accommodements offerts dans certains cours », jugée comme étant le problème-clé au sein de la Faculté de droit. Pour Sullivan, cette tendance se manifeste de façon particulièrement inquiétante dans des cours de première année – obligatoires – pour lesquels certain·e·s professeur·e·s n’ont pas prévu un enseignement hybride qui permettrait aux étudiant·e·s d’assister à leurs cours tant en présentiel qu’à distance. Actuellement, ces étudiant·e·s n’auraient d’autre choix que de se retrouver avec parfois une centaine de personnes dans la salle de classe et de s’exposer à une situation « risquée » liée à la transmission de la COVID-19, a affirmé Sullivan.
Un sentiment majoritairement favorable à un enseignement hybride s’est effectivement manifesté lors d’une assemblée informelle d’étudiant·e·s en droit le 19 janvier, qui avait pour but de donner lieu à des « conversations afin de planifier une réponse collective », selon son facilitateur Samuel Helguero, un étudiant de troisième année. Environ 70 étudiant·e·s en droit ont participé à cette réunion virtuelle, qui se voulait un effort de démocratie directe en réponse au manque de consultation avec la communauté étudiante dont les organisateur·rice·s de la réunion accusaient McGill.
« L’enseignement hybride permet à des personnes comme moi de ne pas compromettre la qualité de leur éducation après avoir travaillé si fort pour étudier à cette Faculté »
Hailey Laxer, une étudiante en droit immunosupprimée
De nombreux·ses étudiant·e·s ont profité de l’assemblée informelle pour partager leur désaccord avec le retour en présentiel dès le 24 janvier et pour témoigner en faveur de l’enseignement hybride. « Le retour à l’école n’aura pas lieu pour moi », a affirmé Hailey Laxer, une étudiante immunosupprimée. « L’enseignement hybride permet à des personnes comme moi de ne pas compromettre la qualité de leur éducation après avoir travaillé si fort pour étudier à cette Faculté », a‑t-elle ajouté.
Selon Nicolas Kamran, un étudiant de deuxième année, « l’enseignement hybride est la façon la plus conciliante d’aller de l’avant ». Reconnaissant l’existence de deux groupes – l’un qui ne se sent pas en sécurité sur le campus et l’autre qui tient à être présent en classe –, l’étudiant a affirmé que l’enseignement hybride était la seule façon réaliste de progresser sans « aliéner l’un des deux camps ».
Le doyen de la Faculté de droit, Robert Leckey, considère qu’il n’a pas le pouvoir de contraindre les professeur·e·s à adopter la formule hybride. Lors de son assemblée publique du 21 janvier, il a souligné que, bien que les professeur·e·s aient l’obligation d’accommoder leurs étudiant·e·s à court terme pour des raisons reliées à la COVID-19 (infection, attente de résultats de test, symptômes, etc.), la forme de ces accommodements reste entièrement à leur discrétion en raison de « l’autonomie et de l’indépendance » dont jouissent les instructeur·rice·s de la Faculté de droit.
« Bien que les avis exprimés lors de cette réunion formaient une voix plutôt unie en faveur d’un enseignement hybride et de meilleurs accommodements, le doyen a affirmé être heureux d’avoir entendu une “diversité de points de vue”»
Lors de cette rencontre ayant réuni plus de 120 participant·e·s, le doyen s’est heurté à un mur d’opposition et à de vives critiques de la part des étudiant·e·s. Plusieurs voix se sont élevées pour exprimer leur « frustration », leur « déception » et leur « embarras » face aux positions de la Faculté. Bien que les avis exprimés lors de cette réunion formaient une voix plutôt unie en faveur d’un enseignement hybride et de meilleurs accommodements, le doyen a affirmé être heureux d’avoir entendu une « diversité de points de vue ».
Trucs, astuces, et le spectre d’une grève
Dans les dernières semaines, l’AÉD a tenté de convaincre les professeur·e·s réfractaires à l’enseignement hybride de changer d’avis. La vice-présidente Affaires académiques Sullivan a rédigé des courriels à environ 16 membres du corps professoral à cet effet, et la moitié auraient depuis clarifié ou changé leur approche d’enseignement pour répondre aux demandes de l’AÉD. Plusieurs de ces professeur·e·s auraient révélé à Sullivan manquer d’aisance avec ces technologies et ne pas avoir reçu de soutien technique de la part de l’Université. L’AÉD a ainsi offert de l’aide au corps professoral à cet égard en élaborant une fiche de « trucs et astuces » concernant l’enseignement hybride réalisée avec des volontaires de la population étudiante.
L’assemblée informelle du 19 janvier aura aussi servi à discuter d’une stratégie pour forcer la main à la Faculté. Plusieurs ont défendu un refus d’assister aux cours en personne, y voyant une manière « puissante » de faire passer leur message. La vice-présidente Affaires académiques de l’AÉD a d’ailleurs ajouté qu’en réponse à la possibilité d’une grève, le Bureau des affaires étudiantes serait « passé à l’action » en vue d’aider l’AÉD à convaincre des professeur·e·s de changer leur manière de dispenser leurs cours.
« Si l’administration change son fusil d’épaule […], nous n’aurons peut-être pas besoin de procéder »
Charlotte Sullivan, vice-présidente Affaires académiques de l’AÉD
L’assemblée informelle a finalement voté en faveur d’un boycott des cours en présentiel dès le 24 janvier, mais ce scrutin n’a aucune force contraignante : seule l’AÉD a le pouvoir de faire voter une grève dans les règles. Toutefois, comme l’a rappelé un étudiant de troisième année, rien n’empêche les étudiant·e·s « de vivre en accord avec [leurs] valeurs » jusqu’à ce qu’une telle action directe soit officiellement sanctionnée.
De son côté, l’AÉD a annoncé la tenue d’une assemblée générale spéciale le 28 janvier prochain afin de se conformer aux exigences de sa constitution pour enclencher un référendum sur un mandat de grève. Selon la vice-présidente Affaires académiques Sullivan, la balle serait dans le camp de l’administration : « Si l’administration change son fusil d’épaule […], nous n’aurons peut-être pas besoin de procéder », a‑t-elle révélé au Délit.
Plaidoyer pour la santé mentale
Bien que des efforts soient déployés par les étudiant·e·s en droit et leurs élu·e·s afin de garantir un enseignement hybride de qualité, la continuation des cours en ligne et le refus d’assister aux cours en personne ne font pas le bonheur de tous·tes.
Selon Andrea Pavaluca, étudiante de deuxième année, les mesures de confinement ont eu un « impact dévastateur » sur la santé mentale des étudiant·e·s. Durant l’assemblée informelle du 19 janvier, elle s’est prononcée contre l’idée d’une grève des cours en personne, une mesure qui « perturberait » son éducation et celle de ses collègues et qui s’ajouterait au « désespoir » et au « ressentiment » causés par des mois de cours en ligne. Lors du vote informel, Pavaluca a été la seule étudiante à voter contre le refus d’assister aux cours en personne dès le 24 janvier.
« Lors du vote informel, Pavaluca a été la seule étudiante à voter contre le refus d’assister aux cours en personne dès le 24 janvier »
En entretien avec Le Délit, Pavaluca a affirmé que le maintien des cours en ligne serait un retour « à la case départ » et donnerait l’impression que les sacrifices des deux dernières années auraient été « vains ». Selon elle, le retour en présentiel constitue une forme de reconnaissance « des besoins sociaux et développementaux » des étudiant·e·s, « grand[·e·]s oublié[·e·]s de la pandémie ».