Le Délit s’est entretenu avec Bryan Buraga, ancien président de l’AÉUM, afin d’en apprendre davantage sur le travail de la nouvelle Initiative de démocratisation (McGill Student Union Democratization Initiative campaign) des associations étudiantes de McGill dont il est l’organisateur. Cette nouvelle campagne politique, affiliée à l’AÉUM, a pour but de décentraliser et de déhiérarchiser l’AÉUM et l’ensemble des associations étudiantes mcgilloises.
Le Délit (LD): Comment fonctionne la campagne de l’Initiative de démocratisation ?
Bryan Buraga (BB): L’Initiative de démocratisation des associations étudiantes de McGill est une coalition d’étudiant·e·s qui souhaitent transférer le pouvoir des associations étudiantes directement aux étudiant·e·s mcgillois·e·s. Nous avons remarqué des problèmes persistants au sein des associations étudiantes : un manque de participation des étudiant·e·s, qui se plaignent par ailleurs que leurs associations ne les représentent pas, ainsi que plusieurs échecs institutionnels. Ce que nous essayons de faire, c’est de recréer et de réformer les structures des associations étudiantes de manière à redonner le pouvoir aux étudiant·e·s. Cela implique un système de démocratie directe où les étudiant·e·s ont le dernier mot lors des assemblées générales des départements et des facultés pour donner des mandats et adopter des politiques comme il·elle·s le souhaitent.
« Ce que nous essayons de faire c’est de recréer et de réformer les structures des associations étudiantes de manière à redonner le pouvoir aux étudiant·e·s »
Bryan Buraga, ancien président de l’AÉUM
LD : Quelle est la visibilité de l’Initiative et de ses activités et engagements sur le campus ? Recrutez-vous de nouveaux membres ?
BB : En ce moment, nous travaillons avec […] plusieurs groupes d’activistes sur le campus comme Désinvestissement McGill. Il y a aussi une nouvelle organisation qui se consacre à la démocratisation de l’Université dans son ensemble. Nous sommes donc connectés à un tas d’espaces différents avec des étudiant·e·s qui sont intéressé·e·s par cet enjeu.
LD : Dans la politique qui a établi l’Initiative, il est écrit que « comme les associations étudiantes de McGill reflètent les gouvernements, elles reflètent aussi leurs problèmes ». Quels sont donc les problèmes évoqués à ton avis ?
BB : Cette structure institutionnelle présente dans notre société perpétue les inégalités sociétales et certaines façons de penser. Il y a une culture au sein de l’AÉUM qui favorise une forme de conservatisme pour maintenir le statu quo, je suppose. Plus concrètement, les dirigeant·e·s exécutif·ve·s de l’AÉUM sont pourvu·e·s de plusieurs pouvoirs grâce à leur position. Le conseil législatif – la branche de représentant·e·s électoraux·les censée obliger les dirigeant·e·s à rendre des comptes – ne fait très souvent pas son travail.
« Lorsqu’il n’y a pas la transparence que le corps étudiant revendique, cela ne fait que diminuer d’une part la participation démocratique et d’autre part le pouvoir que les associations ont pour mobiliser les étudiant·e·s »
Bryan Buraga, ancien président de l’AÉUM
Quand le conseil législatif a tenté de faire passer une motion pour exiger qu’une explication soit donnée [quant à l’absence du président] ou qu’il démissionne, le conseil d’administration ne l’a pas ratifiée. Donc, lorsqu’il n’y a pas la transparence que le corps étudiant revendique, cela ne fait que diminuer d’une part la participation démocratique et d’autre part le pouvoir que les associations ont pour mobiliser les étudiant·e·s, autrement dit pour amener les étudiant·e·s à croire en leur pouvoir collectif et à l’utiliser […] afin d’obtenir les changements dont il·elle·s ont besoin et qu’il·elle·s réclament.
LD : Certes, les élu·e·s ont beaucoup de pouvoir, mais penses-tu que le corps étudiant devrait être plus indulgent dans ses attentes envers ses dirigeant·e·s élu·e·s ?
BB : Je pense qu’il faut reconnaître que les élu·e·s sont des êtres humains et qu’il·elle·s ont besoin de concilier vie professionnelle et vie privée et s’assurer qu’il·elle·s gardent une bonne santé mentale. Les problèmes de santé mentale des cadres et des représentant·e·s au cours des dernières décennies sont bien documentés dans la presse étudiante, mais cela ne devrait pas être utilisé comme une excuse pour ne pas faire son travail correctement. Je pense aussi que le problème se pose lorsque des élu·e·s utilisent cela presque comme un bouclier pour éviter d’être tenu·e·s responsables. La transparence – la garantie que les étudiant·e·s sont tenu informé·e·s et que les processus démocratiques sont suivis – est un principe fondamental que les étudiant·e·s attendent de leurs élu·e·s. Mais je pense aussi que les cadres ont souvent dit être surchargé·e·s de travail. Cela montre bien que redistribuer le pouvoir exécutif permettrait à davantage de personnes de participer au processus de représentation. Déléguer le pouvoir de la population étudiante entre les mains d’un groupe de six personnes, qui représente les besoins de 24 000 étudiant·e·s, n’est peut-être pas le meilleur système.
LD : Pourquoi penses-tu que la dispersion du pouvoir serait utile ? Est-ce que cela allégerait la charge de travail actuellement imposée à l’exécutif ?
BB : Tout d’abord, je pense que l’on passerait d’une structure de pouvoir très oligarchique, où la communauté exécutive décide par décret de ce que fait l’association étudiante dans son ensemble, à une prise de décision démocratique par la population étudiante. La politique [de démocratisation, ndlr] elle-même s’inspire beaucoup de l’approche de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ), qui avait réussi à rassembler [en 2012, ndlr] un large éventail de syndicats étudiants différents à travers le Québec dans le but unique d’éliminer les frais de scolarité. Même s’ils n’ont pas atteint cet objectif, l’ASSÉ a réussi à mettre en pause la hausse des frais de scolarité et à créer suffisamment de critiques contre le gouvernement pour qu’il soit écarté du pouvoir.
Répartir les responsabilités permet à plus de personnes de prendre part au processus de construction de l’association étudiante. Ça [permet aussi] de s’assurer que les responsabilités soient confiées à des représentant·e·s qui ont la capacité de les exercer et qui sont passionnément attaché·e·s aux étudiant·e·s pour lesquel·le·s il·elle·s se battent. Cela ne veut pas dire que les dirigeant·e·s de l’AÉUM n’ont pas l’intérêt des étudiant·e·s en tête, mais ayant moi-même occupé ce poste auparavant, je sais qu’il y a un certain état d’esprit dans lequel on est presque coincé·e·s. C’est comme une bulle.
« Répartir les responsabilité permet à plus de personnes de prendre part au processus de construction de l’association étudiante »
Bryan Buraga, ancien président de l’AÉUM
LD : Tu as mentionné l’idée d’avoir plus d’étudiant·e·s impliqué·e·s dans la prise de décision et dans l’administration de l’Association étudiante. En quoi est-ce différent du fait d’embaucher plus de personnes pour les tâches administratives qui sont sous la responsabilité des membres de l’exécutif ? En quoi les deux approches sont-elles différentes, et quels sont les avantages de l’une par rapport à l’autre ?
BB : Beaucoup d’étudiant·e·s nous ont dit à quel point l’AÉUM était bureaucratique, notamment par rapport à la création de nouveaux clubs et services. Il y a un processus d’un mois après avoir rempli un formulaire de demande qui va d’abord à un comité, pour ensuite être approuvé par le conseil législatif, puis ratifié par le conseil d’administration. Une grande partie de ce processus n’a tout simplement pas besoin d’exister : l’AÉUM pourrait les automatiser.
Pour donner un exemple, l’organisation de la Faculté des Arts est telle que les étudiant·e·s de différents programmes ne se parlent pas nécessairement au quotidien et sont donc incapables de s’organiser, tandis que les étudiant·e·s de la Faculté de droit et l’École de travail social en sont capables. Dans ces programmes, beaucoup des cours sont suivis par la même cohorte, avec le même groupe de personnes. Donc la cohésion est déjà là parce que les décisions que les étudiant·e·s prennent collectivement affectent les gens qu’il·elle·s voient tous les jours. Je pense que c’est fondamentalement ce qui manque dans les plus grosses associations étudiantes. Il y a une déconnexion entre les étudiant·e·s qui sont pourtant affecté·e·s par les mêmes problèmes. En ramenant le pouvoir au niveau des départements et en voyant les gens que vous côtoyez tous les jours parler des problèmes auxquels vous êtes confrontés, c’est comme ça qu’on renforce le pouvoir [de la démocratie étudiante]. Les structures actuelles de nos associations étudiantes ne facilitent pas du tout cela.
LD : Est-ce que la structure actuelle de l’AÉUM l’a éloignée de son rôle de de défense des intérêts des étudiant·e·s ?
BB : Oui, je dirais que oui. Plus la prise de décision est éloignée des personnes qu’elle affecte, plus les décisions sont mauvaises.
LD : Pourquoi ?
BB : Parce que personne ne sait exactement comment les décisions vont affecter les gens. Par exemple, à McGill, le Centre des opérations d’urgence gère depuis le début la réponse de l’Université à la pandémie, mais il ne compte aucun·e membre étudiant·e. Et au cours des deux dernières années, nous avons vu l’Université McGill prendre des décisions unilatérales qui ont eu des conséquences sur la vie des étudiants. Il s’agit de briser la bulle de prise de décision, pour aboutir aux meilleures décisions, pour comprendre pleinement leurs implications, et pour avoir une discussion où les étudiant·e·s peuvent dire exactement comment elles les affectent. Encourager le dialogue entre les étudiant·e·s qui peuvent être de différentes convictions politiques créera un système démocratique beaucoup plus cohésif au sein de notre Université.
LD : Un des principes derrière la centralisation des décisions est que cela permettrait un plus grand degré d’efficacité et d’équité, par exemple pour ce qui est des dossiers techniques. Pour quelles raisons cette centralisation est-elle remise en question par l’Initiative de démocratisation ?
BB : Nous avons remarqué que les personnes qui se présentent aux postes de l’Association étudiante sont souvent de « type A » ; elles ont beaucoup à dire et sont particulièrement motivées à faire partie de l’AÉUM, presque comme une classe d’élite sociale. Mais en réalité, quand vous vous présentez au conseil législatif, la moitié des élu·e·s sont sur leur téléphone ou ne font même pas attention à ce qui est dit. Je n’appellerais pas ça de l’efficacité en tant que tel.
« Au conseil législatif, la moitié des élu·e·s sont sur leur téléphone ou ne font même pas attention à ce qui est dit. Je n’appellerais pas ça de l’efficacité en tant que tel »
Bryan Buraga, ancien président de l’AÉUM
Le processus actuel exclut également de nombreuses personnes qui seraient autrement qualifiées et qui n’ont tout simplement pas le capital social ou les relations nécessaires pour gagner ce qui est essentiellement un concours de popularité. Ainsi, en ramenant le pouvoir à l’échelle étudiante et en faisant débattre les gens sur le mérite de leurs idées en tant qu’individus et non sur leurs relations, je pense que nous allons également favoriser une compréhension commune de ce qu’est le mouvement étudiant et de la manière dont nous pouvons nous battre collectivement pour ce dont les étudiant·e·s ont besoin.
LD : La structure actuelle de l’AÉUM met-elle des obstacles aux différentes grèves actuelles qui se produisent ?
BB : Oui, absolument. Dans le cas de la Faculté des Arts, pour procéder au vote de grève, il faut une pétition remplie par au moins 200 personnes pour convoquer l’assemblée générale, puis il faut que 500 personnes s’y présentent. C’est sans parler du triste état des associations départementales : la moitié n’organise même pas d’assemblées générales ou ne rencontre pas régulièrement l’ensemble de la cohorte étudiante. Donc, il faut redonner du pouvoir à ces associations en organisant des réunions régulières, en créant des institutions où les étudiant·e·s peuvent fréquemment exprimer leurs doléances et obtenir du soutien. [Ainsi,] il·elle·s seront en mesure de répondre rapidement lorsque des problèmes se présenteront, plutôt que de devoir se mobiliser de manière très désordonnée.
À l’échelle des facultés, par exemple avec les 8000 étudiant·e·s de la Faculté des Arts, il est très difficile de faire respecter la grève. L’Association des étudiants en sciences politiques, d’un autre côté, compte environ 1000 ou 1500 étudiant·e·s qui suivent tous·tes les mêmes cours et qui prennent des décisions ensemble. Il est alors plus facile de faire respecter une grève. C’est pour cela que nous avons vu le succès de la Faculté de droit et que nous avons convaincu quelques professeurs de changer leurs méthodes d’enseignement pour un apprentissage hybride. Si nous pouvons améliorer la cohésion, cela permettra une mobilisation plus efficace des étudiant·e·s.