In Rainbows de Radiohead (Léonard Smith, coordonnateur de la correction)
In Rainbows (2007) est à mon sens l’album le plus abouti qu’ait composé Radiohead depuis l’incontournable OK Computer (1997). Les arrangements instrumentaux se complètent si bien d’une piste à l’autre qu’ils forment un tout organique et fluide, sans pour autant qu’on sorte de l’écoute de cet album avec l’impression que tous les morceaux se confondent entre eux jusqu’à ne plus pouvoir les distinguer. Chaque pièce possède sa singularité tout en s’inscrivant dans une évolution lyrique qui frôle l’exaltation sensorielle. Les rythmiques haletantes aux accents rocks de « Bodysnatchers » laissent progressivement place à une musique quasi surréelle propice à la contemplation, comme l’envoûtante « Nude » ou l’énigmatique « All I Need ». Je ne peux pas penser à une seule piste d’In Rainbows qui soit inachevée ou simplement moins réussie, tant Radiohead parvient ici à créer un son unique en son genre dans le paysage de la musique expérimentale.
It Is What It Is de Thundercat (Myriam Bourry-Shalabi, éditrice Actualités)
Si je me décide finalement à investir dans un tourne-disque, le premier album que j’achèterai sera It Is What It Is de Thundercat. Ce doit être sa voix douce qui me donne toujours l’impression de flotter dans l’espace, sans aucune crainte face au monde, comme si je conduisais indéfiniment dans un long tunnel. Ce calme contraste avec les chansons plus optimistes, faites pour danser (« Black Qualls » ou « Funny Thing »). Avec des parfums de jazz, funk, pop, Thundercat et son style musical varié expriment le flux et le reflux de ses émotions vécues après le décès de son ami intime Mac Miller. Bon, je l’avoue, les paroles ne sont pas si révolutionnaires et parfois même un peu répétitives, mais Thundercat est le meilleur joueur de basse de notre génération, sans aucun doute. Si les 20 premières secondes de la douzième chanson « Unrequited Love » ne t’éblouissent pas, on a un problème sur les bras. Lorsque je fais ma vaisselle, j’écoute « Funny Thing » ou bien « Overseas », et lorsqu’il est l’heure de contempler ma vie, je choisis plutôt « Existential Dread » ou « It Is What It Is ».
Raasük de Mashrou’ Leila (Alexandre Gontier, illustrateur)
La vie nocturne à Beyrouth, c’est non seulement des shawarmas à quatre heures du matin, mais c’est aussi – et surtout – des corps sans inhibition qui bougent et transpirent. En arabe, « Raasük » veut dire « Iels t’ont fait danser », « Mashrou’ Leila » se traduit par « Plan d’un soir » ou « Projet d’une nuit ». C’est le troisième album du groupe libanais, enregistré à Montréal en 2013. Il s’inspire des rues beyrouthines festives du début des années 2010. Cette liste d’électro-pop-rock alternative rassemble les instruments de la ligne orchestrale du groupe, soit des violons, des cuivres et des percussions, en les traitant comme un seul et même instrument. Les sonorités électroniques des 10 chansons s’opposent aux envolées vocales du chanteur – traditionnellement réservées aux chanteuses orientales de la deuxième moitié du 20e siècle. Cet album propulse le groupe indie sur la scène mondiale et fossilise l’esprit d’une jeunesse délaissée : victime des printemps arabes, d’homophobie, de transphobie, de la culture de la honte. Jusqu’à maintenant, aucun autre artiste musical n’avait joué avec les tabous comme ils le font. En plus d’être l’objet de controverses illégitimes, « Raasük » est un duel : d’un côté, la malédiction d’une génération abandonnée par son propre pays, de l’autre la célébration comme solution. Gracieux et magnétique, l’album porte sur ceux qui n’ont rien, mais fait tout danser, même les larmes.