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Nous n’avons pas à être seul·e·s

Le très doux Symptômes de Catherine Ocelot.

Alexandre Gontier | Le Délit

L’état de santé de Mireille s’est détérioré depuis quelque temps. « Vue trouble, tremblements sporadiques, douleurs aux jambes, paralysies temporaires… Sang qui tire sur le orange… » L’âge ? Une maladie plus inquiétante ? Dans un épisode de Grey’s Anatomy, la pauvre dame se verrait sans doute diagnostiquer une quelconque infection rare, un rien abracadabrant, qui serait heureusement réglé in extremis, juste avant le générique de l’épisode. Dans Symptômes, la plus récente bande dessinée de Catherine Ocelot, c’est plutôt d’une solitude aiguë dont Mireille souffre. D’urgence, on lui recommande de joindre les Solitaires Anonymes. Une analyse de rêve et des muffins lui sont prescrits. 

Sans même avoir vu – mea culpa – un seul épisode de l’éternelle série de Shonda Rhimes, il semble assez peu risqué d’affirmer que la BD, bien qu’elle s’ouvre sur une déclaration d’amour pour Grey’s Anatomy et ses docteur·e·s à la beauté/carrure/compétence/adresse/etc. quasi-caricaturale, nous emporte vers des chemins plus oniriques. Après La vie d’artiste, Catherine Ocelot signe de nouveau une œuvre vaguement autofictionnelle, dont le noyau amalgame les liens interpersonnels, la médecine, notre rapport à la santé et au bien-être, les rêves, des réflexions plus ou moins psycho-pop, et des plantes. La forme, qui fait alterner quelques trames narratives et des moments qui relèvent plus d’une sorte de poésie visuelle, permet à l’ensemble d’évoluer d’une manière très naturelle, organique, de façon à ce que les presque 300 pages de l’album en paraissent beaucoup moins. La lecture est fluide, et le texte-image coule de source.

« Dans son œuvre, Catherine Ocelot nous invite à réaliser que nous ne sommes pas si différent·e·s de ces plantes : nous avons tout autant besoin de soins, d’attention et d’amour »

Histoires de plantes

Les plantes qu’on invite chez nous ne survivront pas seules. Elles ont besoin de soins, d’attention, d’amour, même si certaines doivent se méfier lorsqu’elles rencontrent ceux·lles qui seront appelé·e·s à remplir ce rôle délicat. Dans son œuvre, Catherine Ocelot nous invite à réaliser que nous ne sommes pas si différent·e·s de ces plantes : nous avons tout autant besoin de soins, d’attention et d’amour. Les Solitaires Anonymes, comme des plantes qu’on abreuve pour la première fois depuis trop longtemps, semblent revivre et s’épanouir lentement au contact de leurs semblables. Planche par planche, une communauté se crée. Mireille qui ne s’écoute pas. Esther qui ne peut accueillir les confidences des autres. Catherine qui se cherche une « mère intérieure », une figure capable de bienveillance envers elle. Ces histoires s’entremêlent, se donnent brièvement aux lecteur·rice·s, puis disparaissent, laissent la place aux fragments suivants. On comprendra que Symptômes ne se présente pas vraiment comme une histoire suivie, mais le livre n’en garde pas moins une cohérence, une unité qui laisse une impression de douceur, un confort de lecture certain. L’album s’offre un peu à la manière d’une courtepointe : chaque élément qui le compose tire force et sens de ses voisins.

L’universalité qu’on veut bien lui donner

La vie d’artiste (2018), le titre précédent d’Ocelot, a en quelque sorte pavé le chemin à Symptômes. On y suivait déjà cette Catherine – le personnage, pas (nécessairement) l’autrice – dans ses questionnements plus ou moins existentiels, ses inquiétudes, ses joies et ses peines. La quatrième BD de l’artiste est à mon sens plus radicale encore dans ce virage intimiste : dans le ton comme dans la forme, on a parfois l’impression d’assister, presque en direct, au spectacle d’une pensée qui se fait et qui tourne autour d’une question, incertaine d’arriver un jour à une réponse définitive. On en vient même à se demander si une telle chose nous apporterait vraiment un réconfort. Il y a quelque chose de l’impressionnisme dans la proposition de Catherine Ocelot : la promesse d’un regard particulier sur le monde – et ses habitant·e·s. 

« On comprendra que Symptômes ne se présente pas vraiment comme une histoire suivie, mais le livre n’en garde pas moins une cohérence, une unité qui laisse une impression de douceur, un confort de lecture certain. L’album s’offre un peu à la manière d’une courtepointe : chaque élément qui le compose tire force et sens de ses voisins » 

Une éthique 

Dans les plus belles planches de ce livre, des femmes s’enlacent, s’offrent mutuellement leur soutien. Une grand-mère et sa petite-fille. Des amies. Une mère et sa fille. Les Solitaires Anonymes. Sans l’accompagnement du texte, occupant souvent toute la page, ces dessins rythment le récit, offrent des moments de répits après les moments où la vulnérabilité des personnages atteint son paroxysme. À la souffrance et à la solitude, Catherine Ocelot répond dans son livre par une véritable déclaration : nous n’avons pas à être seul·e·s. Un programme auquel il est difficile de ne pas adhérer, ne serait-ce que le temps d’une lecture, puis d’une autre. 

« À la souffrance et à la solitude, Catherine Ocelot répond dans son livre par une véritable déclaration : nous n’avons pas à être seul·e·s »

Le message de cette œuvre convient-il à tout le monde ? Est-ce que Symptômes révèle des vérités cachées du monde, un sens commun à l’existence humaine ? Ce serait, je crois, mal lire l’œuvre que de lui prêter ces intentions : nos vies se croisent comme autant de fils. Nos existences sont tricotées serrées, ou lâchement, pour le meilleur et pour le pire : on peut s’y sentir enveloppé·e·s ou étouffé·e·s. En paix, ou esseulé·e·s. Symptômes brosse le portrait de quelques-unes de ces existences le temps d’une convergence, d’un moment où les paroles sont douces et les sentiments et les secrets, partagés. Certain·e·s, dans cet universalisme subjectif, se retrouveront. C’est à eux·lles que l’œuvre s’adresse.


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