La Journée internationale des droits des femmes, qui se déroulait le 8 mars, est l’occasion pour nombre d’organisations œuvrant dans divers domaines de s’interroger sur la présence des femmes dans leurs rangs, mettre en lumière des inégalités persistantes ou, au contraire, célébrer une représentation paritaire. Le monde du journalisme n’y fait pas exception : plusieurs ont saisi cette occasion pour souligner la place disproportionnée qu’occupent toujours les hommes dans les médias, que ce soit en tant que journalistes ou en tant que sujets couverts par les médias d’information. En effet, le Projet mondial de monitorage des médias rapportait en 2020 que le pourcentage de sources et de sujets féminins à la radio, dans les journaux et à la télévision s’élevait à seulement 25%. De plus, seuls 40% des reportages étaient réalisés par des femmes. Notre propre journal, Le Délit, échappe à première vue à cette tendance : notre conseil de rédaction est pratiquement paritaire, et nous publions dans nos pages un mélange apparemment équilibré de textes écrits par des femmes et des hommes. Mais que découvre-t-on lorsque l’on pousse l’analyse un peu plus loin ?
« Dans la section Opinion du Délit, environ 80% des articles dans les deux dernières années ont été écrit par des hommes, et aucun texte écrit par une femme n’a été publié depuis plus d’un an »
C’est en s’intéressant à la différence entre les différentes sections du Délit que des inégalités préoccupantes se révèlent. Dans la section Philosophie, environ 70% des articles ont été écrits par des hommes depuis la création de la section – proportion qui perd quelques points lorsque l’on exclut les contributions des éditeur·rice·s de la section (dont deux sur trois étaient des hommes). De façon similaire, environ 80% des articles dans la section Opinion ont été écrit par des hommes lors des deux dernières années. De plus, aucun texte écrit par une femme n’y a été publié depuis plus d’un an. Dans les articles écrits par des femmes, une portion non négligeable porte sur des thèmes genrés comme le féminisme, la place des femmes dans l’histoire, l’équité menstruelle ou les agressions sexuelles. Ainsi, bien peu de femmes écrivent sur les thèmes autrement dominants au sein de la section Opinion comme la politique, l’histoire, l’environnement ou le droit. Dans la section Actualités, le constat est similaire : environ les deux-tiers des articles des deux dernières années ont été écrits par des hommes – bien que ce chiffre soit encore une fois fortement influencé par le genre des éditeur·rice·s, qui écrivent beaucoup de ces articles. Un tout autre portrait se dessine dans la section Culture : les articles écrits par des femmes (dans les deux dernières années) y sont en faible majorité (environ 55%), et les proportions deviennent pratiquement égales en excluant les articles des éditeur·rice·s.
« En 2020, à l’échelle mondiale, seuls 20% du contenu médiatique relatif à la politique avait pour sujet ou comme source une femme »
Projet mondial de monitorage des médias
Cette tendance est loin d’être exclusive au Délit. Un rapport de 2014 traitant de la parité médiatique aux États-Unis rédigé par le Women’s Media Center (WMC) (Centre médiatique pour les femmes) révélait que les femmes, bien que minoritaires dans tous les domaines de journalisme, étaient plus nombreuses à écrire en culture, santé et mode de vie, alors que leur présence était nettement inférieure dans les sujets liés à la politique, la justice et l’économie. Par exemple, seuls 32% de la couverture relative à la politique internationale était faite par des femmes, alors que ce chiffre s’élevait à 49% en culture. À l’échelle mondiale, les chiffres du rapport du Projet mondial de monitorage des médias datant de 2020 et mentionné précédemment sont encore plus alarmants. Seuls 20% du contenu médiatique relatif à la politique avait pour sujet ou comme source une femme. L’opinion est un domaine où cette inégalité est également très saillante. Comme l’affirme le rapport du WMC qui s’est concentré sur certains grands médias américains, les chroniqueurs étaient plus nombreux dans une proportion de deux contre une au Wall Street Journal, de plus de trois contre une au Washington Post et de cinq contre une au New York Times. Pour ce qui est de la philosophie, bien que ce sujet soit moins présent dans les médias traditionnels, les chiffres du Délit reflètent encore une fois une réalité plus large : selon une étude de 2011, seulement 31% des doctorant·e·s en philosophie aux États-Unis étaient des femmes, faisant de la philosophie (pour cette mesure) le champ académique le moins paritaire, sciences naturelles et humaines confondues.
Les médias, dont Le Délit, doivent mettre la main à la pâte pour augmenter la présence de femmes dans les rangs de leurs contributeur·rice·s ainsi que la présence de voix féminines dans leur contenu journalistique, en particulier dans les sujets dominés par les hommes. Les journalistes peuvent par exemple tenter de diversifier les sources citées dans leurs articles en faisant un effort conscient pour privilégier les voix féminines lorsque vient le temps d’interroger des expert·e·s. Il est également important de comptabiliser le nombre d’articles écrits par des femmes ou mettant de l’avant des femmes afin de déceler de possibles débalancements. Depuis 2017, à travers le 50:50 Project, des journalistes et des producteur·rice·s de la BBC (British Broadcasting Corporation) s’attaquent à ce problème en contrôlant méticuleusement les personnes qu’il·elle·s mettent devant la caméra, dans le but d’atteindre une représentation des sexes paritaire chaque mois. Les résultats impressionnants démontrent qu’une recherche active de contributrices peut faire la différence : 74% des 500 émissions et équipes participantes mettaient de l’avant autant d’intervenantes que d’intervenants, deux ans après le début du programme.
« Le Délit encourage vivement toutes les femmes et les autres membres de communautés sous-représentées dans les médias à contribuer dans ses pages »
Ainsi, les pistes de solutions commencent souvent par une prise de conscience de la part des employé·e·s de médias d’information et par le fait de porter une attention particulière à l’enjeu de la parité. Cet enjeu se présente évidemment de façon différente dans les médias étudiants, où nos ressources, notamment en termes de bassin de contributeur·rice·s potentiel·le·s, sont plus limitées. Néanmoins, il demeure qu’un effort ciblé en ce qui concerne la parité pourrait contribuer à réduire ces inégalités dans le futur. Le Délit poursuit cet objectif et encourage vivement toutes les femmes et les autres membres de communautés sous-représentées dans les médias à contribuer dans ses pages, au sein desquelles nous espérons que vous trouverez un porte-voix.