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Ta peau papier de soie

Sappho au Théâtre de Quat’Sous.

Yanick Macdonald

À travers la parole de cinq femmes de tous âges surgit celle de Sappho, poétesse antique originaire de l’île de Lesbos, dont l’œuvre ne nous est parvenue que par quelques fragments. Sappho : la Lesbienne, à la fois celle qui vient de Lesbos et celle qui aime les femmes. Celle qui trouble l’ordre patriarcal de son temps – et du nôtre. Cinq personnages, cinq femmes lesbiennes : Sacha, Chloé, Ariane, Joris et Denise, dans ce texte de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, respectivement interprétées par Nathalie Claude, Katia Lévesque, Florence Blain Mbaye, Alix Mouysset et Muriel Dutil. Leurs chemins se croisent chez Denise, dont la maison – on la nomme Maison des Muses, on pense un gynécée grec – fait office depuis des décennies de lieu d’échange et de création. Lieu de refuge, d’amitié : les femmes qui y ont passé sont nombreuses, se sont nourries les unes les autres, en orbite autour de l’œuvre de Sappho et de Denise, la Sappho de Montréal. 

Denise travaille sur un scrapbooking qui raconte la vie de la poétesse. On en trouve des échos à travers l’histoire, des traces laissées par une femme qui ne se laisse pas oublier, non sans peine : beaucoup de ses poèmes ont été brûlés. C’est que Sappho dérange. Denise veut restituer son héritage, lui donner sa juste place. La pièce est alors entrecoupée de bribes de la vie de Sappho – son enfance, son œuvre, son legs –, narrées par les personnages et appuyées par des images rétroprojetées.

« Sappho, c’est la célébration de l’amour entre femmes ; du corps libéré du regard mâle, avec son langage et son carcan ; de la jouissance ; de la poésie »

Les murs perdent leur tapisserie et l’endroit s’étiole, mais l’ambiance est douce, toute en pastels et en couleurs terreuses – il faut protéger l’héritage de Denise en plus de celui de Sappho. C’est un chez-soi où naît et fleurit la philia, à la frontière entre amitié et amour, car chez Denise, les femmes se serrent les coudes et l’amitié est lieu de combat. L’homme est loin de la maison de Denise. Les dynamiques qui circulent entre ces mères, filles, amantes et amies fleurissent en marge du patriarcat. Ce n’est plus la femme, ce sont les femmes, toutes à la fois, plurielles, dans toute leur poésie. Les femmes, désessentialisées – elles ne sont plus une idée, elles prennent corps, prennent langage. Car il s’agit bien du langage féminin dont il est question, celui à inventer, loin du langage construit par et pour les hommes.

Sappho, c’est la célébration de l’amour entre femmes ; du corps libéré du regard mâle, avec son langage et son carcan ; de la jouissance ; de la poésie. À ceux qui conquièrent, qui percent les glaces, je dis : taisez-vous, laissez-nous danser.


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