Le 3 mars dernier, le Protecteur du citoyen – un ombudsman indépendant du gouvernement ayant pour mission de s’assurer du respect des droits des citoyens en ce qui a trait aux organismes ministériels – a publié un rapport spécial intitulé « Aide financière aux études : Mieux accompagner les étudiantes et étudiants en faisant preuve de transparence et d’écoute ». D’une longueur de 54 pages, le rapport porte sur le service de l’Aide financière aux études (AFE), un organisme du gouvernement provincial chargé de soutenir les étudiants financièrement et de gérer les différentes prestations d’aide aux études. Ce service relève du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec. À la suite de plusieurs plaintes reçues – mais non détaillées dans son rapport – le Protecteur du citoyen s’est chargé d’enquêter sur trois différentes problématiques. En somme, un manque de transparence et d’uniformité concernant différents aspects du processus a été détecté.
Problèmes saillants
Trois problèmes principaux ont été relevés par le Protecteur du citoyen. Le premier est l’opacité du processus de prise de décision. Le Protecteur a également souligné la confusion entourant la reconnaissance d’une déficience fonctionnelle majeure (DFM) des individus qui postulent pour une aide aux études. Le troisième élément est le manque d’informations données à l’étudiant dans le cas d’une potentielle déclaration mensongère, par exemple sur ses revenus. Ces trois aspects impliquent des lacunes en ce qui concerne la transparence, la communication et l’écoute des étudiants.
Le premier point dénoncé par le rapport est le manque d’accessibilité pour les étudiants quant au processus décisionnel permettant d’allouer des prestations. Par exemple, le site Web de l’AFE ainsi que son guide intitulé « Une aide à votre portée » sont incomplets. En effet, ils ne décrivent pas toutes les règles utilisées par l’AFE pour prendre ses décisions. Ce manque de transparence dans les critères de sélection peut mener certains étudiants à manifester leur incompréhension une fois qu’ils prennent connaissance du résultat de leur demande. De plus, le rapport mentionne que les membres du personnel chargés du traitement des dossiers prennent peu ou pas de notes d’analyse pendant le processus de sélection. En conséquence, il est souvent impossible de fournir à l’étudiant qui le demanderait des informations supplémentaires sur son dossier.
Par ailleurs, bien que l’AFE ait un Bureau des recours dans le cas où un étudiant souhaiterait contester une décision rendue, cet organe n’est pas une entité indépendante. Pourtant, puisque les décisions rendues par l’AFE ne peuvent pas être contestées devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), le Bureau des recours devrait avoir un « processus de révision rigoureux et équitable ». Le rapport a ainsi dénoncé le manque d’uniformité méthodologique dans le traitement des demandes de révision. De plus, il note de possibles conflits d’intérêts liés au fait que la personne en charge du Bureau n’occupe pas un poste exclusif de direction. En effet, elle cumule aussi les mandats de directeur des programmes d’accessibilité et de responsable des orientations, des politiques et des modifications légales et réglementaires.
Le deuxième point abordé par le rapport a été les disparités dans le traitement de reconnaissance des déficiences fonctionnelles majeures (DFM). Les DFM sont définies dans le rapport comme des déficiences visuelles, auditives, organiques ou motrices pouvant limiter l’accomplissement des activités quotidiennes. Alors qu’une réforme des critères afin d’identifier les DFM avait été annoncée en 2016 par l’AFE, elle n’a toujours pas eu lieu. Le manque d’uniformisation des critères d’admissibilité est donc souligné dans le rapport. Par exemple, si un médecin atteste à l’AFE qu’un étudiant concerné par une demande de déficience sera capable d’intégrer le monde du travail, l’étudiant en question ne sera pas reconnu comme étant atteint d’une DFM. Tel que mentionné dans le rapport, « ce critère [l’approbation d’un professionnel de la santé, ndlr] n’est inscrit nulle part et il exclut des personnes ayant soumis un certificat médical conforme et respectant tous les critères d’admissibilité ».
« Ce manque de transparence dans les critères de sélection peut mener certains étudiants à manifester leur incompréhension »
Le troisième point examiné par le Protecteur du citoyen est lié au traitement d’une potentielle déclaration mensongère venant d’un étudiant lorsqu’il complète son dossier et sa demande. Dans le rapport, il est mentionné que « l’étudiant qui fait une déclaration mensongère à l’Aide financière des études est exclu du Programme de prêts et bourses pendant deux ans ». Or, l’avis envoyé à l’étudiant en cas de manquement soupçonné – surtout lié à la déclaration des revenus – est incomplet. En effet, l’AFE ne mentionne ni si le destinataire est soupçonné de mentir, ni quelles sont les possibles conséquences encourues par ce mensonge. En fait, selon le Protecteur du citoyen, l’AFE se contente de dire au potentiel prestataire que « nous vous aviserons des suites qui seront données à votre dossier ». Par ailleurs, le délai de 10 jours donné à l’étudiant pour répondre à l’avis est jugé trop court par le Protecteur.
Solutions et recommandations
Le rapport a proposé plusieurs pistes de réflexion afin de régler les problématiques soulevées. Étalées sur trois pages, les 23 recommandations ont, dans la majorité des cas, une date limite d’application fixée au 31 mai 2022. Certaines d’entre elles devront cependant être appliquées avant le 1er octobre 2022. Elles touchent à différentes facettes du processus employé par l’AFE pour décider d’accorder – ou non – une aide financière à l’étudiant qui le demande.
Ainsi, la recommandation #3 (R‑3) mentionne l’importance pour les membres de l’AFE de noter les raisons derrière leurs différentes actions et décisions durant le processus de sélection. Dans un souci de transparence, le rapport recommande de consigner « les raisons qui ont pu les mener à accorder plus de poids à un élément de preuve ou à rejeter certains renseignements ». Dans la continuité de la recommandation #3, la recommandation #5 vise à préciser pour les étudiants les modèles décisionnels utilisés par l’AFE en clarifiant certaines sections, notamment le processus d’appel ou de révision. Ces deux recommandations devront être mises en application au plus tard le 1er octobre 2022.
Par ailleurs, les recommandations allant de 13 à 19 couvrent les cas de déficiences fonctionnelles majeures. Par exemple, la recommandation #15 conseille l’instauration d’une formation additionnelle pour le personnel impliqué dans le traitement des demandes de reconnaissance d’une déficience fonctionnelle majeure. La recommandation #16, quant à elle, demande d’arrêter « dès le 31 mai 2022, de se substituer à l’opinion médicale émise par le ou la médecin dans le Certificat médical ».
Alors que les demandes décrites plus haut ont été adressées au Ministère de l’Enseignement supérieur, la recommandation #12 a été faite directement à la ministre de l’Enseignement supérieur Danielle McCann. Le rapport lui suggère de proposer des modifications législatives « afin de créer un recours au Tribunal administratif du Québec (TAQ) pour les personnes insatisfaites d’une décision du Bureau des recours ».
Le rapport conclut principalement que « l’AFE doit adopter des pratiques respectueuses de la Loi sur la justice administrative ». D’ici le 4 avril 2022, un plan de travail avec les actions entreprises par l’AFE ainsi qu’un échéancier devront être envoyés au Ministère de l’Enseignement supérieur.