Sous le chapiteau de cirque se trouve un lieu d’une profonde richesse fantaisiste, un monde libérant la pensée de toutes les contraintes de l’habitude. Dès que les lumières s’éteignent, l’auditoire est plongé dans un univers inconnu. Le samedi 3 septembre, c’était celui de TISS cabaret.
Un charabia hétéroclite s’empare de l’ouïe alors que les artistes amorcent le spectacle. Se fracasse chaotiquement une averse de dialectes épars qui sème l’incompréhension : anglais, français, espagnol et allemand s’entrelacent en guise de bienvenue.
Au sein de cette tempête de mots, un dialogue en français se forme mais se heurte bientôt à la réalisation de la différence. Cette différence se manifeste par un filet qui se balance entre les deux narratrices, et qui découpe la conversation au gré de ses allers-retours, soulignant les frontières qui séparent les individus : les narratrices prononcent toujours les mêmes phrases à l’exception du dernier mot.
Le récit progresse, mais les histoires des narratrices divergent. Le personnage de la petite Julia, la protagoniste de la première des deux histoires contées, se retrouve prisonnière du filet de ces divergences. Alors qu’elle jonglait initialement avec des pelotes de laine, on voit un filet qui se resserre autour d’elle petit à petit. Julia s’enfarge et trébuche en tentant d’échapper au nœud qui l’étreint.
Emprisonnée par le sentiment inconnu d’être pris dans un filet, Julia laisse place au récit de Timmy et c’est par son voyage que l’on cherche à comprendre l’essence même de ce qu’est le filet. Jongleries et acrobaties se confondent alors qu’il tâte aveuglément le nœud central de la toile qui le piège. Son exploration l’entraîne dans une ascension au terme de laquelle il paraît découvrir ce qui l’entrave : son individualité, sa différence, son soi est la barrière qui semble l’isoler. Pour traverser le fossé qui le sépare d’autrui, Timmy s’élance et se confie dans les bras de la narratrice en espérant qu’elle l’accueillera.
S’ensuit une série d’actes au travers desquels les artistes apprennent à se situer au sein d’un groupe. Chaque mouvement est partagé, chaque individu abandonne une partie de lui-même à la recherche d’un mouvement commun, mouvement plus grand que la somme des individus. Entre autres, l’harmonie naissante du rythme autant visuel qu’auditif de la troupe de danse percussive, où l’on voit chaque danseur·se se mouvoir sous une mesure claquée par ses compères, nous rappelle comment les formes les plus belles fleurissent d’un effort collectif.
Le spectacle prend alors une tournure nouvelle. Ce message d’unité et d’abandon de soi au sein de la multitude se transmet de manière participative aux spectateur·rice·s. Les membres du public se passent une pelote de laine, tenant le fil traînant derrière la pelote qu’ils·elles envoient à un·e voisin·e. La timidité de chaque spectateur·rice s’introduisant et s’ouvrant à ses voisin·e·s se transforme bientôt en émerveillement tandis que le chapiteau s’unit sous une toile de laine reliant tout un chacun.
Le public étant rassemblé et ne formant plus qu’un, les circassien·ne·s orchestrent une symphonie que seule la toile qui unit le chapiteau pourrait jouer. Chants aigus et graves, claquements de main et de doigts se confondent et se complimentent alors qu’une section sifflote un air et qu’une autre tambourine. L’espace même semble alors fredonner un air qui vient toucher le cœur du moment.
La symbolique du filet semble alors devenir autre ; il n’est plus ce qui entrave les personnages du spectacle, mais bien ce qui les soutient et les élève vers leur épanouissement collectif. Il est l’étoffe cousue par les liens que les artistes individuel·le·s ont tissés entre eux·lles.