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Être dans le besoin n’est pas une identité

Anna Henry | Le Délit

En tant qu’étudiant·e·s, nous sommes entouré·e·s de messages soulignant l’importance de demander de l’aide lorsque nous nous trouvons en état de détresse. Entre les nombreux courriels de nos « conseiller·ère·s de bien-être » (Local Wellness Advisors), les lignes d’écoute affichées dans les stations de métro et les messages inquiets de nos proches (« Prends soin de toi », « Ne te pousse pas trop fort » et cie), nous sommes incité·e·s à ne pas nous isoler dans notre souffrance.

Il n’est jamais aisé de nous ouvrir sur nos vulnérabilités, nos faiblesses ou nos échecs. Même lorsque le message est répété à outrance, la voix insidieuse du syndrôme de l’imposteur nous chuchote que nous n’allons pas assez mal pour demander de l’aide, que nous monopolisons des ressources qui desserviraient mieux quelqu’un·e de véritablement anxieux·se, véritablement déprimé·e, véritablement au bord du gouffre. Même si nous ne doutons pas de la véracité de notre détresse, demander de l’aide exige une foi envers l’individu, l’organisme ou le système auquel on se confie. Or, les promesses d’aide qui nous sont faites ne s’avèrent pas toujours suffisamment accessibles. Faute de financement, des lignes d’appel réduisent leurs services. Faute de psychologues dans le réseau public, la liste d’attente pour des services en santé mentale avoisine les 20 000 noms. Les doutes qui nous rongent, concernant la validité de nos besoins ou la capacité du système à leur répondre, nous dissuadent d’aller vers celles et ceux qui nous tendent la main.

Ces difficultés s’avèrent exacerbées chez les membres de communautés marginalisées, dont les défis propres s’ajoutent aux doutes universels lorsqu’il est question de demander de l’aide. Lorsque les institutions qui devraient les soutenir sont inadaptées aux besoins de ces communautés, ces dernières sont contraintes de se tourner vers les médias et les gouvernements pour représenter leurs intérêts. Or, comme l’avance notamment le professeur de sciences politiques et d’études autochtones Glenn Coulthard dans Peau rouge, masques blancs, les politiques de reconnaissance gouvernementales envers les communautés dites marginalisées, telles que les peuples autochtones, reproduisent les configurations de pouvoir inégales déjà existantes. En effet, ces politiques relèguent perpétuellement les communautés déjà perçues comme étant démunies à une position de pouvoir inférieur. En raison de cela, c’est une représentation unidimensionnelle de ces communautés qui se manifeste dans l’espace public ; leur identité est réduite à l’idée que ces groupes seraient nécessiteux, pingres et insatisfaits. Les effets néfastes de cette perception ont d’ailleurs été documentés par la chercheuse en éducation urbaine et études autochtones Eve Tuck. Selon Tuck, la perception de certaines communautés comme étant strictement nécessiteuses – entraînée par la mise de l’avant de leurs besoins en vue d’une aide des instances de pouvoir – efface la complexité réelle des individus membres de ces communautés et des dynamiques de pouvoir qui les affectent.

Si l’on veut réellement encourager l’épanouissement de tous les groupes sociaux au sein de notre société, il faut cesser de miser sur des stratégies qui reposent sur la construction de l’image de plusieurs communautés comme étant des groupes démunis. Il faut plutôt vaincre cette conception erronée en mettant de l’avant la complexité identitaire de toutes et tous dans la sphère publique, notamment en soulignant la résilience, les succès, et les bonnes nouvelles qui concernent des groupes qui ont été essentialisés, à tort, comme étant constamment dans le besoin. C’est donc ici que le rôle des médias et des autres acteur·rice·s prend de l’ampleur ; il est de notre responsabilité collective de cesser de réduire des individus à leur souffrance.


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