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Une élection qui confirme le réalignement des forces partisanes ?

Pr Bélanger partage son analyse des élections provinciales.

Laura Tobon | Le Délit

Éric Bélanger, professeur titulaire au Département de science politique à l’Université McGill, présente son analyse du contexte électoral qui sous-tend les élections provinciales de 2022. Pour ce faire, il s’appuie sur l’analyse étayée de son dernier livre co-rédigé avec Jean-François Daoust, Valérie-Anne Mahéo et Richard Nadeau, Le nouvel électeur québécois (2022), publié aux presses de l’Université de Montréal. La discussion s’est structurée autour des déterminants du vote, en utilisant l’outil de l’entonnoir de causalité. Ce dernier permet de comprendre le comportement électoral en étudiant quatre facteurs allant du plus éloigné au plus proche de l’exercice du vote : les données sociodémographiques, les orientations idéologiques, les enjeux de campagne, et la manière dont sont perçu·e·s les chef·fe·s des partis politiques. Nous avons centré notre discussion principalement sur les trois derniers facteurs.

Le Délit (LD): Les orientations idéologiques, soit les valeurs et orientations de l’électorat, font partie des déterminants du vote qui se mesurent et s’établissent sur le long-terme. Vous notez des transformations qui auraient pour incidence de contribuer à, et je cite votre livre : « redéfinir l’espace partisan au Québec ». D’abord, quels sont ces clivages et quels changements observez-vous ?

Éric Bélanger (EB): Il y a trois grands clivages qui sont au centre du système partisan québécois. Le premier clivage est d’ordre constitutionnel et suit l’axe du oui ou du non : est-ce qu’on veut un projet de souveraineté ? Ce clivage n’est plus saillant, en ce qu’il ne détermine plus la dynamique électorale aujourd’hui. Ensuite, il y a le clivage entre la gauche et la droite économiques : est-ce qu’on veut plus ou moins d’intervention de l’État ? À cet effet, on voit le Parti conservateur du Québec (PCQ) qui veut couper la place de l’État dans la société et dans la vie des citoyens, tandis que Québec solidaire (QS) souhaite renforcer ce type interventionniste. C’est un clivage qui a souvent été présent au Québec, particulièrement depuis la Révolution tranquille. Le troisième clivage oppose la gauche à la droite culturelles, qui tourne davantage autour de nouveaux enjeux.

LD : Ce nouveau clivage, vous l’appelez dans votre livre le clivage libéral/autoritaire. Qu’est-ce qui vous a mené à cette appellation ?

EB : Dans la littérature actuelle, il n’y a pas de consensus sur la nomenclature de ce nouveau clivage, même au sein de notre équipe de quatre auteurs ! Toutefois, on avance dans le livre l’argument qu’il y a un nouvel axe qui englobe les questions liées aux changements du début du 21siècle. Cet axe libéral/autoritaire chapeaute les questions sur l’immigration et sur l’environnement, car elles ont la même source, soit les transformations du capitalisme. Depuis quelques décennies, l’immigration augmente au Québec parce qu’on a besoin de main‑d’œuvre. L’essentiel, donc, c’est de se questionner à savoir si on impose un certain nombre de règles d’intégration aux nouveaux arrivants, ou est-ce qu’on les laisse entièrement libres de vivre avec leurs différences. La position plus autoritaire de la CAQ, c’est de dire : « on va quand même imposer un certain nombre de manières de faire à cette population immigrante-là parce qu’on veut qu’elle s’intègre à la majorité francophone ». Donc, on va imposer la loi 96 et la loi 21, par exemple.

LD : Où se retrouvent les changements climatiques dans ce clivage ?

EB : La colle entre les deux enjeux, c’est que les changements climatiques sont également amenés par les transformations du modèle capitaliste, notamment par un accroissement de la production et de la consommation, ce qui amène davantage de pollution et une accélération des changements climatiques. Je vois cet enjeu davantage en termes de préoccupations, car tous les partis vont se dire en faveur de la protection de l’environnement. Dans la littérature sur les comportements électoraux, on parle d’un enjeu de valence, c’est-à-dire que tout le monde est d’accord sur l’objectif, mais là où les partis et les électeurs vont se différencier, c’est par la manière d’atteindre l’objectif, en termes de moyens et d’efforts. Par exemple, QS montre que c’est sa priorité, tandis que la CAQ affirme que c’est important, mais qu’elle a d’autres priorités.

LD : Pour poursuivre dans l’analyse de l’entonnoir de causalité, les enjeux de campagne sont d’autres déterminants du vote. Quels seraient les principaux enjeux pour cette campagne-ci ?

EB : À nouveau, l’immigration et les changements climatiques sont les enjeux de campagne principaux, et à ceux-ci s’ajoute la langue. La CAQ a adopté la loi 96, mais le PCQ a le beau jeu de dire que ça ne va pas assez loin. Parmi les partis en place actuellement, c’est eux qui proposent d’aller le plus loin. Donc, ça leur permet de rallier les nationalistes et les indépendantistes. L’autre raison pour laquelle la langue est un enjeu de campagne, c’est que juste avant le début de la campagne, les données du nouveau recensement ont été dévoilées. Il montre que le déclin du français continue. C’est une érosion qui est lente mais qui ne s’arrête pas.

« L’immigration et les changements climatiques sont les enjeux de campagne principaux, et à ceux-ci s’ajoute la langue »

Éric Bélanger

LD : Et puis, le dernier déterminant du vote est celui de l’influence des chef·fe·s des principaux partis. De quelle manière ce facteur semble-t-il influencer cette campagne-ci ?

EB : D’abord, monsieur St-Pierre-Plamondon s’est bien fait connaître, ce qui a le potentiel d’aider son parti. À l’inverse, madame Anglade a une difficulté à s’imposer. Je pense qu’elle est une bonne cheffe avec des bonnes idées, mais on dirait que ça ne colle pas aussi bien qu’on aurait voulu. Pour monsieur Legault, on a vu qu’il n’est pas vraiment un bon « campaigner ». Je pense qu’il était très aimé en 2018, mais ce n’était pas non plus la campagne du siècle en 2018, et ça paraît plus encore cette année. On sent qu’il n’est pas si à l’aise que ça dans les débats et que son bilan est difficile à défendre. J’ai trouvé Gabriel Nadeau-Dubois franchement bon durant la campagne. C’était un peu un pari de le mettre à l’avant-plan étant donné qu’il est jeune, mais c’est un pari assez réussi.

LD : Un nouvel élément s’est ajouté dans le paysage électoral québécois à l’élection actuelle, soit la montée du Parti conservateur du Québec. Quelle serait votre analyse quant à sa présence actuelle sur la scène politique ?

EB : Le Parti conservateur canalise le mécontentement chez la frange de la population qui n’a vraiment pas apprécié la place de l’État durant la pandémie. On parle d’un pôle libertarien que Maxime Bernier a essayé de canaliser en se présentant au fédéral. Peut-être que le chef va aider : Éric Duhaime a l’air plus articulé, mieux posé, plus sérieux. La plupart des mesures sanitaires lors de la pandémie ont aussi été adoptées par les gouvernements provinciaux. Ça peut être une force d’attraction qui mènera les partisans de monsieur Duhaime à aller voter lors de cette élection provinciale.

LD : Pour conclure, dans votre livre, vous affirmez que l’élection de 2018 est une élection de réalignement. Selon vos prédictions, comment catégoriseriez-vous l’élection de 2022 ?

EB : Ça a le potentiel d’être une élection de confirmation qui pourrait venir affermir ce nouvel alignement des forces partisanes. Je dirais que la question de l’identité de la véritable opposition à la CAQ demeure. Il y a des éléments qui pointent vers QS, mais en même temps, on n’a pas l’impression que QS va émerger si fortement que ça encore.

L’élection de 2022 serait donc une élection qui confirme la tendance vers une transformation des comportements électoraux autour de nouveaux clivages idéologiques, délaissant l’axe souverainisme/fédéralisme pour des enjeux tels que l’immigration et l’environnement. Cependant, il ne s’agit pas tout à fait encore d’une élection qui cristallisera ces nouvelles forces partisanes.


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