Aller au contenu

Cinq jours au sein de l’escouade anti-terroriste

Analyse du nouvel opus de Cédric Jimenez.

Marie Prince | Le Délit

Novembre est le nouveau film dirigé par le réalisateur français Cédric Jimenez, également connu pour La french (2014), HHhH (2017) et BAC Nord (2021). Le titre fait référence au mois de novembre 2015, lorsque sont survenus les attentats de Paris, les plus meurtriers de France. Le long-métrage nous plonge au cœur de l’escouade anti-terroriste de la capitale française dans les cinq jours suivant les attentats du 13 novembre 2015, qui ont mené à 131 décès et 413 hospitalisations. On suit le personnage de Fred, interprété par Jean Dujardin, à la tête de cette division de la police, ainsi que ses collègues, incarnés notamment par Anaïs Desmoustier, Sandrine Kiberlain, Jérémie Renier, et Sami Outalbali, dans leur quête pour arrêter tous ceux impliqués dans ces attaques. Le film place le spectateur à la place de ces enquêteurs qui traversent un mélange de détermination, colère, stress et désespoir à la suite de ces actes tragiques. Présenté pour la première fois le 22 mai dernier lors du Festival de Cannes, où il était projeté hors compétition, le film sera présenté pour la première fois en Amérique du Nord à Montréal le 6 octobre prochain dans le cadre de la 51e édition du Festival du Nouveau Cinéma (FNC).

Le film débute en avertissant le public que malgré le fait qu’il soit basé sur des faits réels, il est important de se rappeler qu’« il s’agit d’une fiction qui n’offre pas de commentaire sur une affaire juridique ». Par contre, force est d’admettre que le film joue beaucoup avec le réel en incluant des discours du président Hollande et plusieurs extraits vidéos des chaînes télévisées françaises commentant les évènements en arrière-plan. Par ailleurs, le film semble tenter de se rapprocher de la réalité de par l’utilisation délibérément minimaliste de la musique et du bruit de fond.

Silence, on tourne !

Alors que dans de nombreux films, le son n’est qu’un élément banal à travers lequel le récit est transmis au public, ici, il s’agit plutôt d’un élément fondamental qui est instrumentalisé de par son intensité, sa quantité et sa synchronisation pour arriver à diverses fins. Pendant toute la durée du long-métrage, l’ambiance est étrange, ce qui peut amener le spectateur à ressentir un certain inconfort. Parfois, il règne un calme troublant considérant le récit qui est raconté alors qu’à d’autres moments, le film semble manquer de sons pour accompagner les images à l’écran. Plusieurs conversations semblent également dépouillées de tout effet sonore de fond, alors que l’on entend que les voix des acteurs. Il y a si peu de bruit de fond par moments que l’on peut entendre des pas, voire même des respirations. Loin d’être un manque d’assiduité au montage, ce sentiment de vide, d’absence sonore, est délibéré et semble avoir pour intention de placer le spectateur dans la peau des enquêteurs en rapprochant les scènes de la réalité.

« Parfois, il règne un calme troublant considérant le récit qui est raconté, alors qu’à d’autres moments, le film semble manquer de sons pour accompagner les images à l’écran »

Un autre aspect que l’on ne peut s’empêcher de remarquer dans Novembre, c’est l’alternance répétée et brusque entre bruit et silence. Le silence est utilisé à plusieurs fins. Il est premièrement invoqué par le président Hollande, qui invite à commémorer les victimes de ces tueries en observant une minute de silence. Le silence dans ce cas-ci invoque le respect et la réflexion. Le silence est également invoqué alors que les enquêteurs vont recueillir le témoignage des victimes blessées dans les hôpitaux. Une des victimes dans le long-métrage dit : « Je m’étais caché derrière une table, je ne voyais que leurs pieds, il y en a un qui avait des baskets orange flashy. Et après, le silence. » Pour le public, dans les jours suivant ces attaques, le son s’intensifie à travers la grande couverture médiatique, mais pour les victimes dans le long-métrage, le silence s’intensifie. Lorsqu’on perd un être cher, son absence est un silence. Lorsqu’une ville est prise d’assaut et que les gens ont peur de se rassembler, de retourner sur des terrasses ou au théâtre, c’est le silence qui l’emporte. De plus, lorsqu’on s’interroge sur la cause de ces attentats et que l’on n’obtient pas de réponses, c’est le silence qui occupe tout l’espace. En outre, le silence semble aussi être utilisé dans Novembre pour augmenter l’effet de choc. Si tout au long de la projection, l’auditoire est habitué à peu de bruit, alors il sera encore plus ébranlé d’entendre une explosion retentir. À plusieurs reprises dans le long-métrage, le silence prépare le terrain pour le bruit, qui n’est jamais bon signe. Enfin, le silence peut également être interprété comme étant une référence au silence radio en ce qui a trait à l’enquête en cours dans le film. Alors que la projection se concentre sur les cinq jours qui ont suivi les attaques, l’investigation qu’elle relate durera plusieurs années et s’étendra sur quatre continents dans 25 pays différents.

« Si tout au long de la projection, l’auditoire est habitué à peu de bruit, alors il sera encore plus ébranlé d’entendre une explosion retentir »

La pression monte

Le film fait vivre à son auditoire une multitude d’émotions, en explorant notamment la psychologie des policiers, des suspects ainsi que des collaborateurs de l’enquête présentée dans Novembre. Si certains décident de se mettre à l’écart de l’enquête en raison de la charge émotionnelle qu’elle implique, d’autres ont du mal à contenir leur colère. C’est notamment le cas du personnage de Fred, le chef de cette division policière, qui s’emporte envers un suspect en le frappant au visage. De manière générale, on peut également observer que l’équipe d’enquêteurs entretient une méfiance vis-à-vis de la population. Dans Novembre, tous peuvent être perçus comme suspects, ce qui amène les investigateurs sur de nombreuses fausses pistes. Sous forte pression et en manque de temps, des tensions font éruption entre les différentes branches du système des forces de l’ordre. Certains personnages manifestent à maintes reprises leur mécontentement face aux procédures bureaucratiques qui freinent et compliquent le processus de recherche. Ce sont des défis qui s’ajoutent les uns par-dessus les autres et qui vont compliquer la découverte et l’arrestation des terroristes, alors que la France entière attend des résultats.

Difficile de plaire à tous

D’une part, le spectateur est placé dans la position des équipes d’escouade anti-terroriste, ce qui est fort intéressant, mais d’autre part, il y a certains moments du film où le récit semble s’éterniser et tourner en rond au fur et à mesure que l’on interroge des suspects qui ne mènent à rien de concret. Malgré le fait qu’il s’agisse d’une fiction, on peut tout de même accorder à Jimenez le fait qu’il ne fait pas usage de sensationnalisme ou d’exagération des faits. Par contre, il faut souligner que, par moments, le film semble encore nécessiter du travail au montage dû au choix stylistique sonore. L’utilisation modeste du son est bien réussie dans la mesure où elle apporte l’effet escompté et concentre l’attention de l’assistance sur le récit principal, mais force est d’admettre que cet élément ne plaira pas nécessairement à tout le monde. Par conséquent, ce qui fera la singularité de ce film pour certains sera considéré comme sa faiblesse pour d’autres. Ultimement, Novembre replonge l’auditoire dans un épisode douloureux mais essentiel à se remémorer de l’histoire française.


Dans la même édition