Dès le début, Mauvais ordre sonne juste. Il rappelle le talent sans pareil de Lomepal pour la réalisation de pochettes équivoques, qui résonnent au-delà du projet du disque. Aussi, le regard écrasant de cette jeune femme qui se dresse en arrière-plan de son nouvel album évoque-t-il une image littéraire et cinématographique connue ; à la fois Big Brother dans 1984, le Docteur T. J. Eckleburg chez Fitzgerald ou encore The Truman Show de Peter Weirr. Cette dernière référence est centrale dans la narration de l’album, qui tourne autour d’un personnage en quête d’identité, mal à l’aise face à son image et aux yeux qui le scrutent.
Né à Paris en 1991, Antoine Valentinelli, dit Lomepal, n’en est pas à son coup d’essai. En 2017, déjà, l’album Flip avait autant fait parler de lui pour sa prose mélancolique et survoltée que pour sa photographie de couverture façon William Klein, avec le chanteur posant en sublime travesti, comme Gainsbourg autrefois. Le succès est immédiat, et se confirme en 2019 avec Jeannine, album dans lequel il exprime son ambition de se hisser parmi les plus grand·e·s artiste·s de la musique française. Trois ans plus tard, c’est chose faite : Lomepal est un artiste au sommet, dont l’existence s’est transformée et la musique aussi.
« Lomepal est un artiste au sommet, dont l’existence s’est transformée et la musique aussi »
Avec Mauvais ordre, le tempo ralentit, et la multiplication des effets sonores laisse place à une clarté musicale et une acoustique épurée. Ce qui domine désormais dans tous les morceaux, c’est sa voix, le beau timbre grave d’un rappeur qui « ne rappe presque plus, mais chante de mieux en mieux » (Le Monde). Il impose son texte en douceur, par la seule force de ses mots, en ne conservant souvent qu’une mélodie très simple qu’il épouse et magnifie ; comme dans « Maladie moderne », un « guitare-voix façon 90s » (France Inter) qui évoque la solitude de la vie moderne.
Ce qui tranche avec les albums précédents, ce sont aussi les thèmes abordés. À 30 ans, Lomepal semble en effet moins assuré, mais plus sincère. Finis les dysfonctionnements d’une famille psychotique et les gargarismes d’un jeune homme trop sûr de son talent : Mauvais ordre vire souvent au cynisme et à l’autodépréciation. Lomepal raconte les déboires d’un personnage fictif et se raconte lui-même : l’histoire d’un homme, seul, obsédé par une fille sans identité claire, et que l’on croise par images, à différents moments de sa vie. Loin d’être sombre cependant, le disque est parcouru par la puissante envie de vivre qui habite le musicien depuis qu’il a failli mourir dans un violent accident de voiture en 2019. « Cette vie est horriblement belle, profitons avant de finir dans le cahier de Light », lance-t-il ainsi au début d’« Hasarder ».
« Mauvais ordre vire souvent au cynisme et à l’autodépréciation »
La spécificité de Mauvais ordre tient surtout à l’éclectisme des genres explorés et des inspirations. Malgré quelques faiblesses, comme le titre « 50°» qui peine à se démarquer, la magie de l’album prend. En empruntant certains airs aux Beatles, en s’inspirant de l’écriture de Julian Casablancas (The Strokes), et en ayant recours à des instruments aussi divers que l’orgue, le piano ou le clavecin, Lomepal expérimente.
Il trace son chemin loin du rap où sa notoriété est née vers un genre proche de la variété française (notamment son superbe « Decrescendo »), et prouve – s’il fallait encore le prouver – qu’en musique les frontières n’existent pas. Doucement mais sûrement, Lomepal imprime son style mélancolique et moderne dans la complexité.