Anna Aglietta est responsable du Centre national de danse-thérapie (CNDT), une division des Grands Ballets Canadiens, depuis mars 2021. Le Centre offre des interventions par la danse à diverses communautés, pour qui l’expression des émotions à travers la parole n’est pas toujours possible, en plus de former des danse-thérapeutes, et collaborer à différents projets de recherche. Le Délit a rencontré Anna Aglietta afin de discuter du travail et des projets en danse-thérapie et en danse adaptée du CNDT.
Le Délit (LD) : Le CNDT offre deux services : la danse-thérapie et la danse adaptée. Quelle est la différence entre les deux ?
Anna Aglietta (AA) : Lorsqu’on parle de danse-thérapie, on parle vraiment d’une thérapie par le mouvement plutôt que par la parole, par exemple. On n’apprend pas la technique de la danse, mais plutôt, on utilise les mouvements en tant que formes d’expression afin d’atteindre certains objectifs liés au mieux-être global des gens. Les objectifs en danse-thérapie peuvent être très variés : au début de chaque projet, nous nous asseyons avec les intervenant·e·s de ceux-ci puis nous établissons ensemble ce que nous allons travailler, comment nous allons travailler ensemble, et quelles approches seront favorisées, afin que les séances de danse-thérapie soient vraiment bénéfiques pour les participant·e·s. Par exemple, récemment je suis allée dans un CHSLD pour un projet de danse-thérapie pour des personnes atteintes de troubles neurocognitifs tels que l’Alzheimer et de la démence. Dans ce projet, nous essayons d’utiliser la danse pour ralentir un peu la progression de la maladie, mais aussi pour créer de petits moments de connexion, parfois de deux secondes, d’autres fois de cinq minutes, entre les participant·e·s et le·a danse-thérapeute ou les intervenant·e·s. La mobilité et la forme physique sont aussi un peu travaillées.
Un autre projet de danse-thérapie du Centre a lieu dans une école pour enfants autistes, et là, la danse-thérapie sera plutôt utilisée afin de travailler la conscience du corps à l’interne et dans l’espace. L’expression non-verbale est aussi travaillée avec ces enfants, surtout avec les enfants non-verbaux·les, avec qui nous allons notamment travailler la reconnaissance et la gestion des émotions.
La danse adaptée, de son côté, c’est vraiment un cours de danse récréatif, mais qui est adapté aux besoins d’une population particulière. Par exemple, le Centre offre des cours de ballet pour enfants autistes, des cours de danse Broadway pour des personnes avec de la trisomie ou des déficiences intellectuelles. On a aussi des projets de danse adaptée dans des écoles pour jeunes autistes ou d’autres avec des personnes plus âgées. C’est vraiment une pratique de loisirs, mais dans un environnement plus sécuritaire qu’un cours de danse traditionnel, puis adapté aux besoins d’une certaine population.
« La profession de danse-thérapeute est relativement nouvelle au Canada, et elle est encore en émergence »
LD : Une recommandation d’un·e professionnel·le de la santé est-elle nécessaire pour participer à une séance de danse-thérapie ?
AA : Non, nos cours publics sont ouverts à toutes et à tous, mais la majorité des participant·e·s sont choisi·e·s par les institutions avec qui nous avons des partenariats. Par exemple, nous travaillons avec des centres communautaires qui offrent des services variés tels que des cours de danse-thérapie avec le Centre. Malheureusement, la profession de danse-thérapeute n’est pas reconnue au Canada. Le Centre suit donc les standards américains de la American Dance Therapy Association pour assurer la formation de danse-thérapeutes au Centre ainsi que pour notre offre de services. Il y a cependant une association de danse-thérapie au Canada qui travaille actuellement à faire reconnaître la profession.
LD : Le Centre rencontre-t-il des obstacles en raison du fait que la profession de danse-thérapeute n’est pas encore reconnue au Canada ?
AA : Oui et non. Oui, car pour nos projets destinés au grand public, ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre de participer à nos cours, comme ils ne sont pas remboursés par les assurances, contrairement aux séances de psychothérapie qui, elles, peuvent l’être par exemple. Une autre barrière causée par cela est que la danse-thérapie est aussi moins connue en général du grand public. La profession de danse-thérapeute est relativement nouvelle au Canada, et elle est encore en émergence ; certains organismes ne connaissent pas du tout ce que le Centre fait, donc il y a aussi beaucoup de travail d’explications et de présentations à faire, mais la recherche aide beaucoup de ce côté-là, afin d’aider à démontrer les bienfaits de la danse-thérapie.
LD : Selon vous, la danse-thérapie est-elle suffisamment accessible au Québec pour celles et ceux qui en ont besoin ?
AA : Je dirais que ça dépend. En ce moment, le CNDT a une vingtaine de projets et l’on travaille avec plusieurs organismes communautaires ainsi que du milieu de la santé qui rendent nos services de danse-thérapie accessibles à leurs membres. Par exemple, les personnes vivant avec des déficiences intellectuelles peuvent s’inscrire à nos cours à travers l’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle. On offre aussi présentement un cours de danse-thérapie avec la Société Alzheimer de Montréal, un cours qui est gratuit pour les personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. Pour les gens qui ne sont pas desservis par l’un de nos partenaires, par contre, la danse-thérapie est beaucoup moins accessible, car il faudra donc, la plupart du temps, s’inscrire à un cours privé, et cela devient plus dispendieux.
« La danse-thérapie permet de se concentrer sur le ressenti plutôt que de tenter de rationaliser les émotions à travers la parole »
LD : À quoi ressemble le déroulement typique d’une séance de danse-thérapie ou de danse adaptée ?
AA : C’est très varié, et cela dépend beaucoup de la clientèle. Je ne suis moi-même pas danse-thérapeute, mais je dirais que ce que les séances ont en commun, est qu’elles débutent toutes par une période de présentations de tous·tes les participant·e·s, car créer un lien de groupe est toujours très important. Ensuite, il y a un échauffement, suivi d’une partie où les objectifs des groupes sont travaillés, et c’est vraiment la partie qui varie le plus d’un cours de danse-thérapie à l’autre. Il peut y avoir des chorégraphies, du travail individuel, ou encore en groupe ou en dyade. Pour finir, il y a un retour au calme, qui est une partie un peu plus méditative. Et selon les groupes, car ce n’est pas possible pour tous les groupes, il y a aussi une petite discussion de fin où l’on échange ensemble sur le déroulement de la séance, et sur l’expérience de chacun·e.
Avec les enfants et les personnes âgées, les séances durent habituellement de vingt à trente minutes, mais en moyenne les séances durent environ une heure. La régularité des séances est aussi très importante. Comme, par exemple, pour la psychothérapie ou un cours de ballet, une seule séance n’apportera pas de grands résultats, donc nous essayons d’offrir à chaque groupe des séances au moins une fois par semaine sur une période d’au moins 10 à 12 semaines lorsque le financement des projets rend cela possible, mais certains projets peuvent aussi durer jusqu’à un an, en excluant les vacances.
LD : Comment la danse-thérapie permet-elle de complémenter les autres services de thérapie que vous avez mentionnés plus tôt, tels que la psychothérapie par exemple ?
AA : La danse-thérapie fait beaucoup appel au corps. Nous avons tous un peu tendance à exprimer nos émotions par nos corps, que ça soit juste en gagnant parfois en rigidité, ou en renfermant nos émotions dans nos corps. Avec la danse-thérapie, on travaille donc l’expression des émotions à travers le corps, sans avoir nécessairement à utiliser des mots. La danse-thérapie permet de se concentrer sur le ressenti plutôt que de tenter de rationaliser les émotions à travers la parole. Souvent, nous travaillons aussi avec des populations qui ne vont pas nécessairement exprimer verbalement leur ressenti pour des raisons diverses, et donc la danse-thérapie devient d’autant plus gagnante.