Un graffiti est une inscription sur une surface publique. Il se définit simplement mais il est philosophiquement rebelle aux catégorisations. Parfois le graffiti constitue plus une expression artistique appréciée qu’une inscription qui détériore, tandis qu’à d’autres moments il est vandale et méprisé plus qu’il est touchant. De la même manière, on a du mal à détester Les Tournesols à la soupe de Van Gogh : on a autant d’arguments pour souligner d’une part le caractère indispensable de l’activisme environnemental et d’autre part le caractère scandaleux d’un tel acte de vandalisme. Sans contexte, ce problème ne se règle pas et il rejoint également la question des motivations qui mènent à un tel acte. On les retrouve aussi bien en Palestine que sur son bac de recyclage, les graffiti sont des marqueurs anthropologiques d’extraction populaire. Pour comprendre les raisons possibles à l’origine de l’acte de faire des graffiti, Le Délit s’est entretenu avec l’artiste et dentiste Dr Bao Pham.
Le Délit (LD) : Pourrais-tu te présenter ?
Bao Pham (BP) : Je m’appelle Bao. Aujourd’hui, je fais surtout des tableaux et, à côté, je suis dentiste. J’ai installé un atelier dans ma clinique pour peindre quand j’ai des annulations. Ça me permet aussi d’entendre les avis de mes patients. Il y a une grande diversité chez les patients qui me consultent, ainsi je ne me contente pas seulement de mon point de vue. Sinon, mon intérêt pour l’art a commencé avec le graffiti dans les années 90. J’ai commencé en 1995 environ, comme membre de la première génération de ce qu’on appelle non pas le graffiti, mais Street Art (Art urbain, tdlr).
« J’ai installé un atelier dans ma clinique pour peindre quand j’ai des annulations. Ça me permet aussi d’entendre les avis de mes patients »
LD : Le graffiti est-il du Street Art avant d’être du vandalisme ?
BP : C’est sûr que les premiers essais, c’est un peu n’importe quoi. Au tout départ, oui, je pense que c’était plus du vandalisme si on remonte dans les années 80 à New York, où l’idée du graffiti était de poser son nom. C’est vraiment, à la base, être capable de poser son nom dans la ville. Pour mes amis et moi, c’est le même principe, au début c’était des tags, surtout dans le métro. Ça fait vraiment partie intégrante de la culture hip-hop.
LD : As-tu senti le basculement entre le Street Art redouté par les commerçants et les citoyens et le Street Art célébré par tous, à tel point que le festival MURAL a été créé en 2013 pour apprécier les graffeurs comme des artistes ? Est-ce qu’on imaginait cette démocratisation il y a 30 ans ?
BP : C’est drôle que tu m’en parles parce que j’avais une patiente cette semaine qui m’a demandé comment je voyais ce changement. Je dirais que j’ai vécu ce côté vraiment vandale, et qu’il existe encore aujourd’hui, mais beaucoup moins que dans le temps parce qu’avant, ça faisait partie intégrante du graffiti. Aujourd’hui, il y a encore de ces « vieux gars », ceux qui sont actifs et qui ont gardé l’esprit du bombing (peindre sur un mur public avec des bombes de peinture, ndlr) pour laisser une trace sur les panneaux de signalisation le long des autoroutes. Ils montent sur les poteaux et font leur tag. Donc ce côté redouté existe encore, mais il est moindre. On remarque ce côté commercial maintenant avec le festival MURAL. Ce que les gens ignorent, c’est qu’il y a un autre festival de Street Art, la convention Under Pressure, qui revient chaque année depuis 1996, mais c’est un festival qui passe inaperçu. Le mur arrière des Foufounes Électriques devient l’espace de travail de plusieurs artistes et l’ambiance ressemble à celle des block parties (fêtes hip-hop de quartiers à New York dans les années 1970, ndlr).
LD : À New York, les graffeurs étaient souvent des personnes marginalisées et engagées. Qu’en est-il de Montréal ? Tes amis et toi avez des revendications ?
BP : Je ne voyais pas notre groupe comme ça. On était tous jeunes, évidemment, mais on y allait que pour les graffiti. C’était pas nécessairement avec un but, mais oui, c’est sûr qu’il y a le côté « rébellion ».
LD : Comment ça fonctionnait pour trouver un espace pour faire des graffiti ?
BP : Contrairement à maintenant où on peut s’entendre avec un propriétaire facilement pour faire ce qu’on veut sur leurs murs, avant ce n’était pas si simple. Il y avait quand même un vieux garage avec un grand mur sur Papineau et Saint-Grégoire. Un autre endroit était en dessous de l’autoroute 20, c’était illégal parce qu’il y avait des usines autour. Il n’y avait pas grand monde à part des personnes qui promenaient leur chien. C’était sur un ancien chemin de fer donc la police venait moins.
« On a dû courir sur le train pour fuir la police et on a finalement réussi à leur échapper »
LD : Tu dis « moins» ; la police venait-elle souvent ?
BP : Oui, dans notre temps, même si on demandait la permission des propriétaires, on avait toujours la visite de la police. Ils nous demandaient nos papiers, ils faisaient une vérification, ils nous écœuraient un peu et puis ils nous demandaient de partir.
LD : Quelle est l’une de tes expériences les plus intenses ?
BP : Une fois, la nuit, nous étions sur un train pour travailler dessus et on a vu la police arriver. Moi, déjà que je suis pas grand, alors imagine toi par rapport à un train ! Je faisais sûrement la taille des roues. On a dû courir sur le train pour fuir la police et on a finalement réussi à leur échapper.
LD : Pourquoi as-tu voulu travailler sur un train ?
BP : Il y a beaucoup de trains commerciaux qui ne roulent pas la nuit et qui se retrouvent à l’arrêt dans des gares. L’idée c’est d’avoir son nom sur quelque chose qui roule et qui va voyager partout, autant pour quelqu’un qui habite à New York ou à Montréal…
Pour retrouver Bao, suivez-le sur son Instagram @bao_croki_ pham et sur son site web.