La tension monte entre les Mères Mohawks (Kanien’kehaka kahnistensera) et l’Université McGill alors que le projet du Nouveau Vic entame la prochaine étape de sa réalisation. Le 6 octobre dernier, à la suite d’un incident survenu lors d’une séance d’information organisée par l’Université McGill, la Société québécoise des infrastructures (SQI) et la firme en recherche archéologique Arkéos, deux aînées Mohawks ont été forcées de quitter les lieux sous escorte policière. Quatre jours plus tard, des manifestants ont occupé le site pour protester contre le début des fouilles archéologiques sur le terrain du Nouveau Vic prévu pour le 12 octobre en dépit de l’opposition explicite des Mères Mohawks, qui menacent d’entreprendre une nouvelle action légale.
Conformément aux recommandations du rapport d’Arkéos de 2016 sur le projet du Nouveau Vic, l’Université McGill prévoit d’organiser des fouilles dans certaines zones identifiées comme ayant un potentiel archéologique sur le site de l’ancien hôpital Royal Victoria au préalable des travaux de construction. Les Mères Mohawks allèguent que le terrain de McGill, situé en territoire non cédé Kanien’kehá:ka (Mohawk), pourrait également contenir des tombes non marquées d’enfants autochtones, victimes d’expériences menées dans les années 1950 et 1960 dans le cadre du programme MK-Ultra à l’Institut Allan Memorial, qui jouxte l’Hôpital Royal Victoria. Les Mères Mohawks affirment avoir tenté à plusieurs reprises de communiquer avec l’Université pour prendre des mesures qui permettraient la recherche de ces tombes anonymes, sans succès. Celles-ci ont porté leurs revendications devant la Cour Supérieure du Québec en août dernier, déposant une demande d’injonction interlocutoire pour l’arrêt des travaux.
Une séance d’information houleuse
L’Université McGill a invité les Mères Mohawks à une séance d’information sur le projet du Nouveau Vic prévue le 6 octobre dernier. Selon un communiqué acheminé au Délit par les Mères Mohawks, ces dernières auraient répondu à l’invitation en proposant de repousser la rencontre à une date ultérieure. L’Université McGill et la SQI n’auraient pas donné suite à leur requête de déplacer la rencontre, mais les auraient en revanche invitées à les rejoindre le 5 octobre au Golden Agers Club à Kahnawake, pour une autre séance d’information organisée par McGill, la SQI, et Arkéos. Deux aînées du groupe des Mères Mohawks s’y sont rendues.
L’une de ces aînées, Kahnentinetha, a accepté de partager son témoignage au Délit. Elle nous a confié avoir été surprise de voir que les membres de la communauté autochtone étaient présents en nombre inférieur face aux représentants de McGill, de la SQI et d’Arkéos. « C’était une session d’information, et ils montraient des photos des bâtiments [de l’hôpital Royal Victoria, ndlr]. Une femme a alors demandé : « Où sont les bâtiments où vous avez assassiné nos enfants ? » (tdlr) » nous a‑t-elle expliqué. « J’ai alors demandé : « Où sont les corps de nos enfants ? ». Puis, ils ont appelé la police et nous ont faites sortir (tdlr) », ajoute Kahnentinetha. Elle a conclu son témoignage en nous indiquant qu’elle avait par la suite tenté d’obtenir le rapport de police, sans succès.
« Ce sont des mensonges, les uns après les autres »
Kahentinetha
Interrogée par Le Délit, Frédérique Mazerolle a accepté de nous relayer la version de McGill concernant le déroulement de cette situation : « Elles [les deux Mères Mohawks présentes, ndlr] ont interrompu abruptement la séance d’informations. Elles s’en sont prises bruyamment aux aînés présents dans la salle ainsi qu’aux présentateurs de la séance. Le modérateur Mohawk a dû intervenir et les deux représentantes ont dû quitter les lieux sous escorte policière. »
Des fouilles bâclées, selon les Mères Mohawks
Suite à cet événement, dans un communiqué publié le 9 octobre dernier, les Mères Mohawks ont dénoncé l’intervention de la police lors de la séance d’information. Elles ont annoncé qu’en conséquence de l’absence de considération accordée à leurs demandes, si le début des travaux n’était pas repoussé, elles déposeraient une plainte officielle contre Arkéos à l’Association canadienne d’archéologie (ACA) pour non-respect de leurs directives nationales relatives à la recherche de tombes non marquées, et qu’elles signaleraient les activités de la firme de recherche en archéologie à la police pour « désacralisation de restes humains et destruction de preuves médico-légales sur une scène de crime (tdlr) ».
En effet, selon les Mères Mohawks, McGill ne respecterait aucune des dix recommandations établies par l’ACA pour la recherche de tombes autochtones non marquées. Ces directives soulignent notamment la recommandation de la Comission de vérité et réconciliation selon laquelle « tout travail visant à localiser des enfants autochtones disparus doit être mené par les communautés autochtones. (tdlr) ». Les Mères Mohawks soutiennent avoir demandé à l’Université d’appliquer ces recommandations, sans succès. De son côté, Frédérique Mazerolle nous a fait savoir que « l’Université McGill a la ferme intention de respecter toutes les exigences réglementaires établies en matière de travaux archéologiques ». La compagnie Arkéos n’a pas donné suite à la demande de commentaire du Délit.
« L’Université McGill a la ferme intention de respecter toutes les exigences réglementaires établies en matière de travaux archéologiques »
Frédérique Mazerolle
Les Mères Mohawks ont conclu leur communiqué en réaffirmant leur forte opposition à la tenue des fouilles dans les conditions actuelles et ont annoncé leur intention de surveiller le déroulement des travaux depuis le trottoir.
Occupation à la veille du début des fouilles
Le lendemain de la rencontre d’information, le 6 octobre dernier, le Conseil des gouverneurs de McGill a tenu une séance ouverte virtuelle pour la communauté étudiante mcgilloise. Au cours de cette dernière, le Conseil des gouverneurs a donné son feu vert au lancement des travaux.
Kahentinetha a affirmé au Délit avoir reçu des informations sur cette séance et indique que McGill a annoncé avoir consulté la communauté autochtone et avoir affirmé que celle-ci était d’accord avec le projet.
« Ce sont des mensonges, les uns après les autres », nous a déclaré Kahentinetha. L’Université a en effet expliqué que le Ministère de la culture du Québec avait reçu l’approbation nécessaire pour commencer les travaux de la part du Conseil de bande de Kahnawake.
Dans la nuit du 10 octobre dernier, un mouvement de solidarité avec les Mères Mohawks a investi le terrain de l’ancien hôpital Royal Victoria. Les manifestants ont suspendu des banderoles portant le slogan « Bloquez le projet du Nouveau Vic (tdlr) ». Les organisateurs de ce mouvement, qui sont restés anonymes, ont été délogés par la police le lendemain.
L’AÉUM accuse l’Université de « prioriser les profits plutôt que les restes humains »
Au sein de McGill, les inquiétudes exprimées par la communauté étudiante ont poussé l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) à rencontrer les différentes parties impliquées afin de faire lumière sur le processus décisionnel de l’administration mcgilloise. L’AÉUM a livré son analyse dans un courriel adressé aux étudiant·e·s le 14 octobre dernier. Dans cette analyse, l’AÉUM dénonce un « processus de consultation […] limité » des communautés autochtones et étudiantes, et la décision de l’Université de « prioriser les profits plutôt que les restes humains ». Ce rapport souligne l’absence de consultation des Mères Mohawks par McGill et Arkéos, et ce, malgré les demandes répétées de ces dernières.
Le procès à venir
Le début des travaux intervient moins de deux semaines avant l’audience opposant l’Université McGill et autres défendants aux Mères Mohawks qui doit avoir lieu le 26 octobre prochain. Le 20 septembre dernier, un juge a déterminé que les Mères Mohawks pourraient se défendre elles-mêmes en cour, droit que McGill et les autres défendants avaient contesté le 31 août dernier.
→ Voir aussi : Des tombes autochtones non marquées sur le campus de McGill ?