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Vivre par asphyxie

Une journée, un remède contre l’isolement et la routine ?

Emmanuelle Bois

Un personnage surgit dans le faisceau d’une torche électrique. Puis un autre. Un troisième, et enfin un quatrième. Ils ne semblent pas se connaître, mais ne prennent pas la peine de se présenter. Au cours de la pièce, ils apparaissent tantôt comme quatre amis, tantôt comme quatre aspects d’une même personnalité, liés seulement par une solitude, un désespoir, le sentiment persistant et nuisible de vivre embourbé dans la routine.

En représentation jusqu’au 5 novembre prochain au Théâtre de Quat’sous, la pièce Une Journée, écrite par Gabrielle Chapdelaine, pose la sempiternelle question, située au cœur de nos existences modernes : comment doit-on vivre avec la routine ? Traité avec légèreté et ironie, le sujet pousse à la réflexion, malgré plusieurs fausses notes.

La journée, ce monstre écrasant

La journée commence, elle égrène lentement ses heures au cadran digital du fond de la scène. Elle est ce jeu sans enjeu, sans suite ni fin, dans lequel surgissent les personnages, et où ils restent bloqués avec comme seul horizon la journée suivante. L’omniprésence du cadran horaire sur scène rappelle que, pour les gens englués dans la routine, les heures qui passent n’ont aucun sens, aucune importance ; ils sont dans une prison dont les barreaux s’épaississent à mesure qu’ils renoncent à toute tentative d’en sortir.

Dans une ambiance souvent digne d’un épisode de Black Mirror, où la journée deviendrait une simple suite de « tâches » à valider comme dans un jeu vidéo, les quatre personnages vivent, ou plutôt se débattent dans leurs habitudes et leurs difficultés, avec beaucoup d’humour – la pièce est drôle, parfois très drôle. Cependant, tous portent en eux une tristesse, ou un isolement, dont ils ne parviennent pas à s’extirper. Debs, jeune femme pétulante mais complètement minée par la routine et intoxiquée à la tristesse (qui s’accumule en elle comme un poison depuis des années), en est le meilleur exemple. Elle passe sa matinée sur le canapé, incapable de se lever, et finit par craquer, refusant de croire à la perspective du lendemain heureux, du jour ensoleillé qui succède a la pluie, et se laisse (littéralement) avaler par le canapé.

« Les personnages se débattent dans leurs habitudes et leurs difficultés »

Les autres personnages ont aussi leurs petits « trucs » pour briser le cycle infernal de leur ennui. Qu’ils et elles se querellent avec un barista, regardent des films en noir et blanc de la collection Criterion, volent le téléphone d’une collègue, cuisinent de la soupe minestrone, ou s’inventent une meilleure amie, leurs tentatives de s’échapper de la journée restent vaines.

La mort de l’optimisme

En fin de compte, Gabrielle Chapdelaine propose un point de vue assez triste sur l’existence, puisqu’elle laisse entendre que le meilleur moyen de survivre à la routine – ce concept vague et illusoire qui asphyxie ses personnages – serait de s’en accommoder, par exemple en se posant pour regarder Titanic. Une « morale » assez simpliste, différente de celle du Désert des tartares de Dino Buzzati (le roman qui parle le mieux de la « prison des jours »), qui enjoint le lectorat à ne pas vivre dans l’attente de quelque chose (un événement, une rencontre, un Godot) qui ne vient jamais.

Au contraire, les personnages de Gabrielle Chapdelaine manquent d’esprit frondeur, de distance et de liberté. Ils ne sont pas libres, et ne le seront jamais, métaphoriquement séparés du public par un mur infranchissable qu’ils miment. Même les dialogues ne parviennent pas à leur donner de la substance. Finalement, ils disparaissent de la pièce comme ils y sont entrés : dans une soudaine obscurité.


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