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Manifestation pour la rémunération des stages

Des centaines d’étudiant·e·s en colère prennent la rue.

Béatrice Vallières | Le Délit

Le jeudi 10 novembre, on pouvait lire les slogans « Attention à nos stagiaires… C’est peut-être la prof de vos enfants [sic] », « Ras-le-bol d’être bénévole », « Mon proprio n’accepte pas les paiements en expérience » dans les rues du centre-ville de Montréal, alors que des centaines d’étudiant·e·s montréalais·es se réunissaient à la place Émilie-Gamelin afin de demander la rémunération des stages. La manifestation était organisée par le collectif Un salaire pour tous les stagiaires (SPTS), qui milite pour la salarisation des stages étudiants à travers le Québec. Elle regroupait des étudiant·e·s montréalais·es à travers plusieurs facultés et universités différentes. Pour leur part, les étudiant·e·s de la Faculté de sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) étaient déjà en grève depuis le 13 octobre dernier pour protester contre leurs conditions de stages.

Un enjeu social avant tout

« Comme toujours, le travail du “care”, qui est fait majoritairement par des femmes et des gens assignés femmes à la naissance, n’est pas valorisé, que ce soit en milieu de travail ou dans la sphère domestique », lance Wolfgang Kayitalire, étudiant à la maîtrise en travail social à l’UQAM et orateur lors de l’événement. « Ce n’est qu’un autre exemple de l’exploitation des femmes sous le patriarcat », ajoute-t-il, soulignant que les stages dans des professions typiquement masculines, comme le génie, sont rémunérés, tandis que ceux dans des professions typiquement féminines, comme l’enseignement, ne le sont pas.

En plus de mettre en lumière le rôle que joue la non-salarisation des stages dans le maintien et la reproduction des inégalités hommes-femmes, Wolfgang Kayitalire met en avant le rôle de cette politique sur les inégalités économiques. « Avec la non-salarisation des stages, les riches deviennent riches et les pauvres deviennent pauvres », résume-t-il.

« Avec la non-salarisation des stages, les riches deviennent riches et les pauvres deviennent pauvres » 

Wolfgang Kayitalire

Éléonord Robert‑D’Amour, étudiante en travail social à l’UQAM et cocoordinatrice de l’Association des étudiant·e·s au premier cycle en travail social de l’UQAM, insiste sur l’importance de rémunérer les stagiaires via un salaire et non pas par l’attribution d’une bourse, comme c’est souvent le cas dans les domaines à majorité typiquement féminine. En effet, la salarisation permet aux stagiaires de cotiser au chômage, au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et au Régime de rentes, contrairement à la rémunération par bourse. Selon elle, l’absence de telles cotisations chez les stagiaires dans des domaines typiquement féminins a des répercussions financières à long terme pour les femmes.

Entre 2016 et 2019, une première vague de manifestations avait déjà eu lieu à l’UQAM, menant à la mise en place par le gouvernement du Québec du Programme de bourses de soutien à la persévérance et à la réussite des stagiaires. Cependant, ce programme a été suspendu par le gouvernement Legault avec la création à l’automne 2022 du programme Perspective Québec. Ce dernier offre des bourses de 2 500$ aux étudiant·e·s de certains domaines ciblés, sans rémunération particulière pour les stages. Plusieurs associations étudiantes avaient exprimé leur déception face à ce changement opéré par le gouvernement, jugeant que les deux bourses ne répondaient pas aux mêmes objectifs. De plus, Éléonord Robert‑D’Amour souligne que les bourses actuelles, lorsque mises au ratio du nombre d’heures de travail demandées dans le cadre d’un stage, correspondent à un salaire horaire d’environ 8$ de l’heure, soit bien en-deçà du salaire minimum provincial de 14,25$ de l’heure. Ce chiffre se situe encore plus loin du salaire médian d’un·e stagiaire en génie, qui se situe autour de 20$ de l’heure.

Wolfgang Kayitalire souligne : « Quand on publie nos revendications en ligne, on reçoit des commentaires du genre : “arrête de te plaindre, si t’as envie d’être payée, deviens ingénieure.” […] Mais si on devient tous ingénieures, ça veut dire qu’on va vivre dans une société sans infirmières, sans travailleuses sociales, sans sexologues, sans éducatrices. Ça n’a aucun sens. »

L’UdeM se joint à la lutte

Dans la foule composée en majorité d’étudiant·e·s de l’UQAM, on trouvait quand même des étudiant·e·s des autres universités de Montréal. Audrey Bourgon, présidente de l’Association des étudiant·e·s en orthophonie et audiologie (ADÉOA) de l’Université de Montréal, souligne que son association étudiante est en grève à la suite d’une assemblée générale du mardi 8 novembre dernier. « Ça n’est pas normal qu’on soit aux études à la Faculté de médecine, mais qu’on soit endettés et qu’on fasse autant de travail sans avoir de rémunération », a‑t-elle affirmé au Délit.

« On fait un travail qui est super important et on manque de reconnaissance actuellement », déplore quant à elle Sandrine Roussel, étudiante à la maîtrise en orthophonie à l’Université de Montréal. « C’est un programme qui nous demande beaucoup, donc en parallèle on a pas forcément le temps de travailler », renchérit sa collègue, Cléo Saint-Martin. 

« Si on devient tous ingénieures, ça veut dire qu’on va vivre dans une société sans infirmières, sans travailleuses sociales, sans sexologues, sans éducatrices. Ça n’a aucun sens »

Wolfgang Kayitalire

Après avoir marché quelques heures à travers le centre-ville, scandant des slogans comme « Sauvons les stagiaires », les manifestant·e·s sont revenu·e·s vers le campus de l’UQAM, où des représentant·e·s de l’Association des étudiantes et des étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (ADEESE-UQAM) ont pris la parole devant la foule. Le 15 novembre prochain, les membres de l’ASEESE-UQAM sont convié·e·s à une assemblée de grève, dans laquelle il·elle·s seront appelé·e·s à voter pour reconduire leur grève du 21 novembre au 27 novembre prochain.

A voir aussi : https://​www​.delitfrancais​.com/​2​0​2​2​/​1​1​/​0​2​/​s​t​a​g​i​a​i​r​e​s​-​p​r​e​c​a​i​r​e​s​-​e​n​-​c​o​l​e​re/


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