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Démasquez-vous !

Plastique, un cri d’urgence sous l’apparence d’une dragée.

Eliot Laprise

Lorsque j’entre dans la salle Fred-Barry, je suis immédiatement saisie par l’étouffante odeur de plastique brûlé qui y règne. Je lève les yeux et découvre alors l’énorme amas de sacs poubelles transparents emplis de plastique qui forme la scène. Ce décor provoque chez moi un début d’écoanxiété. C’est exactement l’effet recherché par Félix Emmanuel, le metteur en scène et co-auteur de la comédie Plastique. Ce sentiment me poursuit jusqu’à la fin de la pièce qui, bien qu’excellente, drôle et pleine de personnages attachants, me laisse de nombreux questionnements sur la langue.

La pièce se déroule sur le continent de plastique en l’an 2122. La seule habitante de ce territoire hostile s’appelle Madeleine, une femme qui se définit par des étiquettes de produits vides comme : « irritante pour les yeux », « à tenir hors de portée des enfants » ou encore « composition 100% naturelle ». Sa solitude est troublée par trois aventuriers à la recherche de pétrole, ressource épuisée sur les continents terrestres, qui ne demeure qu’un doux souvenir de leur imaginaire collectif. La Gercée, âgée de 120 ans, immensément riche et obsédée par la jeunesse éternelle, part ainsi à la découverte de cet amas de déchets plastiques flottant pour essayer de les transformer en une crème de jouvence miraculeuse. Maintenue en vie grâce au Cracheux, un commercial sans morale qui ne manque jamais une occasion de s’enrichir, et qui l’a convaincue de l’accompagner, La Gercée ne survit que grâce à son frigo déshydratant dans lequel elle passe ses nuits. Ils sont également accompagnés par un assistant bénévole, Gilles, garçon généreux, aimant et ne manquant jamais une occasion de blaguer, mais qui est surtout fou amoureux de la vieille dame. L’arrivée dans les vestiges d’un monde merveilleux de plastique s’avère compliquée pour la petite troupe. La peur des mouettes, l’échec des premiers essais de crème de jouvence et la perte du bras de La Gercée minent le moral des aventuriers. Madeleine, cependant, se nimbe d’une aura magique lorsqu’elle présente aux étrangers la chirurgie esthétique.

« Je suis immédiatement saisie par l’étouffante odeur de plastique brûlé qui y règne »

« S’étaler du plastique sur le corps c’est génial, s’en introduire dans le corps est extraordinaire. » Admiratif, le Cracheux échange Gilles contre le carnet. Madeleine, à la recherche de contact humain, accepte immédiatement. On suit alors séparément les aventures de Madeleine et Gilles, s’amusant et profitant de la vie en nourrissant les mouettes, et du Cracheux, qui ne va cesser d’opérer La Gercée, qui disparaît bientôt derrière ses seins éléphantesques « pour la dernière fois », rendant une situation d’addiction à la chirurgie très comique. Mais un drame survient : les mouettes volent le carnet. Madeleine essaye d’abord de négocier avec ces dernières, dans la minute accordée par le Cracheux, mais sans résultat, et les citadins préfèrent la violence en assassinant toutes les mouettes sous les supplications de Madeleine, mettant en lumière la dualité entre l’économie et l’écologie, ici incompatibles.

Plastique, avec ses jeux de mots dérisoires, ses personnages grossiers aux caractères et gestes clichés, cachés derrière leurs masques, questionne le public sur les pratiques de notre monde. La pièce nous met face à l’abus du plastique, substance toxique que l’on va jusqu’à introduire délibérément dans notre corps par un recours excessif à la chirurgie esthétique, et qui détruit l’environnement, causant la disparition de certaines espèces animales (en l’occurrence, les mouettes). Elle montre qu’il faut aujourd’hui faire un choix entre notre futur ou notre économie et ce, rapidement : prévenir la catastrophe est une urgence. Ce jeu masqué contemporain et satirique cherche à dédramatiser l’écoanxiété tout en appelant à l’action en exposant l’absurdité de notre (in)action face à la situation climatique actuelle. Il est temps d’enlever nos masques et d’agir.


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