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COP15 : Bon COP, Bad COP ?

Un accord « historique » qui déçoit tout de même.

Natacha Papieau

En décembre dernier, tous les yeux étaient rivés sur notre métropole qui a accueilli un nombre record de délégué·e·s pour une Convention sur la diversité biologique (CBD) des Nations Unies. D’abord prévue à Kunming en Chine mais reportée en raison de restrictions sanitaires, la deuxième partie de la 15Conférence des parties sur la biodiversité, la COP15, a permis l’adoption d’un nouveau cadre sur la protection de la biodiversité. L’accord Kunming-Montréal présente quatre objectifs et 23 cibles, ainsi qu’une série de documents connexes quant à leur mise en œuvre et au suivi des progrès réalisés.

Dans son rapport sur la biodiversité et les services écosystémiques, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) indique que 85% des zones humides, 75% de la surface terrestre et 66% des environnements marins sont considérablement altérés ou perdus. Une part importante de la perte de biodiversité est due à des pratiques commerciales non durables financées par des banques et des investisseurs et est alimentée par une demande croissante de la production mondiale. Il faut rappeler qu’une grande partie de notre économie repose sur les ressources naturelles : plus de 44 000 milliards de dollars de création de valeur économique annuelle, soit plus de la moitié du PIB mondial, dépendent des services fournis par la nature. Les parties devaient donc proposer des cibles à la hauteur de ces enjeux.

« La cible de 30% de protection d’ici 2030 au niveau mondial est la principale raison de célébrer l’accord Kunming-Montréal, même s’il n’est pas parfait »

Malgré ses failles, le cadre adopté contient des éléments concrets comme la protection et la gestion effective d’au moins 30% des terres et des océans d’ici 2030, le fameux 30x30, un objectif de restauration de 30% des écosystèmes dégradés ainsi que la réduction des subventions gouvernementales néfastes de 500 milliards de dollars par an. L’accord conclu respecte aussi les droits et savoirs des peuples autochtones, octroie la participation « pleine et entière » des femmes dans les prises de décisions liées à la biodiversité et exige de rapporter l’impact du secteur privé sur la biodiversité.

Avec ce nouveau cadre mondial, les parties reconnaissent qu’il est urgent de freiner la destruction des écosystèmes et d’inverser le déclin de la biodiversité. En effet, le taux d’extinction actuel est des dizaines à des centaines de fois supérieur à la moyenne des 10 derniers millions d’années – et il s’accélère. Toutefois, les parties ont-elles su répondre à l’ampleur du défi et faire preuve d’une réelle ambition pour la prochaine décennie ?

Des négociations longues et ardues

Le cadre sur la biodiversité a fait l’objet de multiples rencontres. En juin dernier, le cadre brouillon avait plus de 1800 crochets, c’est-à-dire des mots ou phrases qui ne font pas l’objet d’un consensus auprès des parties. Plusieurs séances de travail ont permis de simplifier le texte et de réduire ce chiffre à un peu plus de 900 avant le début de la COP15 à Montréal. Cela dit, cela représentait encore 80% du texte sujet à débat. Trois jours avant la fin des négociations, il restait encore plus de 700 crochets sur lesquels s’entendre. Ce manque d’ambition et de volonté de la part des délégué·e·s a été dénoncé par le Global Youth Diversity Network lors d’une action éclair en face d’une salle de négoces.

Plusieurs pays en développement, à l’initiative du Brésil, ont aussi quitté la rencontre dédiée au financement du cadre mondial. Ils exigeaient que les pays du Nord Global investissent de façon plus significative afin de donner au Sud les moyens de financer les initiatives de protection et de verdissement de leur économie à hauteur d’au moins 100 milliards de dollars par an. Selon eux, le Nord a presque fait dérailler l’accord en refusant de considérer les demandes et propositions du Sud, alors que les pays développés jouent un rôle éminent dans la crise de la biodiversité et ont des moyens plus élevés pour y pallier.

« Les dynamiques de pouvoir Nord-Sud continuent de diviser alors que chaque État tente de défendre ses intérêts personnels »

Pour d’autres délégations, comme celle du Canada, ce seraient plutôt les négociateurs·rices du Brésil
qui ont fait preuve de mauvaise foi. Plusieurs les accusent de représenter les intérêts du président sortant, Jair Bolsonaro. Pourtant, le président élu, Luiz Inácio Lula da Silva, soutient la demande de financement plus élevé dans une lettre adressée au Secrétariat de la CBD. Ici, comme pour d’autres sujets de négociations, les dynamiques de pouvoir Nord-Sud continuent de diviser alors que chaque État tente de défendre ses intérêts personnels.

La COP15 a tout de même pu démontrer qu’il pouvait y avoir une saine collaboration entre des pays dont les intérêts sont très différents sur la scène internationale, comme le Canada et la Chine. Cela montre que des canaux de communication ouverts peuvent permettre d’élever l’ambition générale face aux défis actuels tels que la protection de la biodiversité. Certain·e·s diront toutefois que plusieurs pays n’ont pas été entendus : la République Démocratique du Congo avait émis des réserves lors de la séance à huis clos sur l’adoption du cadre, mais en l’absence d’objection formelle, la série d’accords a été approuvée par voie de consensus.

« Le précédent cadre adopté à Aichi en 2010 était venu à échéance en 2020, et aucune de ses cibles n’avait été atteinte. Avec des objectifs « peu chiffrés » et sans indicateurs standardisés, il était difficile d’encourager les efforts de protection et d’en suivre les progrès »

Quels engagements pour les gouvernements ?

La cible de 30% de protection d’ici 2030 au niveau mondial est la principale raison de célébrer l’accord Kunming-Montréal, même s’il n’est pas parfait. Si la France a déjà atteint cette cible, la grande majorité des pays en sont très loin. Par exemple, le Canada a encore du chemin à faire : seuls 13,5% de la zone terrestre et 13,9% de la zone marine sont protégés à travers le pays. Il reste à déterminer quelles seront les actions concrètes du fédéral quant à sa mise en œuvre et dans quelle mesure les communautés locales seront impliquées. Le suivi et la surveillance des progrès (ou détériorations) seront clés, et la société civile jouera un rôle primordial pour s’assurer que le tout soit réalisé de façon éthique et respectueuse.

Le précédent cadre adopté à Aichi en 2010 était venu à terme en 2020, et aucune de ses cibles n’avait été atteinte. Avec des objectifs « peu chiffrés » et sans indicateurs standardisés, il était difficile d’encourager les efforts de protection et d’en suivre les progrès. Le nouveau cadre a tout de même moins d’objectifs chiffrés que souhaité initialement : « réduire progressivement » ou « augmenter significativement » telle ou telle pratique, c’est bien beau, mais comment déterminer ce qui est significatif ou progressif ? C’est une déception de voir les mêmes erreurs, responsables en partie de l’échec du précédent cadre, se reproduire. Heureusement, ce n’est pas le cas de tous les objectifs, mais d’une certaine manière, mettre des chiffres peut aussi amener son lot de questions : si l’on protège ou régule les pratiques de 30%, que se passe-t-il avec les 70% restants ?

Parmi les annonces phares, le Secrétariat de la CBD a mandaté le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) d’établir un nouveau fonds pour soutenir la mise en place du cadre mondial. On y prévoit aussi la mobilisation, d’ici 2030, d’au moins 200 milliards de dollars par an en financement lié à la biodiversité, provenant tant du secteur public que du secteur privé. En effet, l’objectif de protection de 30% des territoires terrestres et marins d’ici 2030 engendrerait des coûts astronomiques qui ne pourraient être uniquement soutenus par les gouvernements. Toujours est-il que ces 200 millions restent nettement insuffisants pour combler le déficit de financement actuel de la biodiversité, évalué à 700 milliards de dollars par an.

Sur le plan des actions gouvernementales, la cible 18 consiste à « éliminer, supprimer progressivement ou réformer les incitatifs, y compris les subventions nuisibles à la biodiversité […] en les réduisant substantiellement et progressivement d’au moins 500 milliards de dollars américains par an d’ici 2030 (tldr) ». Actuellement, plus de 1800 milliards de dollars d’argent public sont octroyés chaque année en subventions pour des pratiques néfastes pour la biodiversité. La plus grande portion est accordée à l’industrie pétrolière, suivie de près par le secteur agricole. Le libellé traitant explicitement des subventions de pratiques non durables accordées à l’agriculture et à la pêche a toutefois été supprimé. Pourtant, ces deux secteurs font partie des principaux moteurs de la perte de biodiversité dans le monde. Où est donc passée l’ambition des gouvernements ?

« Si près de la moitié des entreprises ont pris des engagements pour la nature, seulement un tiers d’entre elles ont mis en place des mesures pour les respecter au cours de la dernière année »

Les entreprises font leur entrée officielle à la COP15

Constat similaire du côté du milieu des affaires. En 2019, les institutions financières ont investi plus de 2600 milliards de dollars dans des secteurs responsables de la destruction des écosystèmes. Les investissements dans les industries pétrolière, minière, forestière et agricole – des industries de plusieurs milliards de dollars – encouragent ces dernières à accroître leurs propres activités, au détriment des écosystèmes, de la biodiversité et des populations locales. Si ces industries continuent d’être financées par le public et le privé, sans conditions et sans transparence, elles ne changeront pas leurs pratiques et comportements destructeurs. Leur présence à la COP15 est vivement critiquée, et avec raison, considérant leur responsabilité dans la crise de la biodiversité et leur lobbying agressif pour apporter de fausses solutions.

Les entreprises et institutions financières se disent malgré tout prêtes à favoriser les initiatives avec des retombées positives pour la nature. Une journée dédiée à la réconciliation de la finance et de la biodiversité a abouti à un plan d’action pour aligner les investissements au cadre mondial et transformer le paysage financier en un espace plus inclusif et bénéfique aux initiatives qui protègent et régénèrent les écosystèmes dégradés. 150 institutions financières appelaient d’ailleurs les parties présentes à la COP15 à adopter un cadre ambitieux qui établirait un mandat clair pour l’alignement des flux financiers avec la préservation de la biodiversité mondiale. 

Ces institutions demandaient aussi des lignes claires quant à l’évaluation et à la divulgation des impacts et dépendances liés à la nature pour passer d’un paysage de divulgation actuellement fragmenté vers un langage commun mondial de divulgation financière liée à la durabilité. Cependant, les parties ont retiré le caractère « obligatoire » des exigences de divulgation pour les grandes entreprises et multinationales dans la cible 15. C’est une opportunité manquée, dont les conséquences ne sauraient être correctement mesurées. En effet, si près de la moitié des entreprises ont pris des engagements pour la nature, seulement un tiers d’entre elles ont mis en place des mesures pour les respecter au cours de la dernière année. 

Une reconnaissance mais pas de protection pour les communautés autochtones

Les COP accordent de plus en plus de place à la société civile, particulièrement aux groupes de femmes, aux groupes de jeunes, ainsi qu’aux communautés locales et autochtones, qui peuvent assister aux plénières. Même en dehors des négociations formelles, leur participation est une opportunité d’échanger sur leurs expériences avec d’autres groupes, de s’entretenir avec les délégué·e·s, et d’augmenter leur visibilité et leur traction auprès des décideurs·euses.

Tout au long des documents approuvés, est soulignée la nécessité de favoriser les contributions pleines et efficaces des femmes, des jeunes, des organisations de la société civile, et particulièrement des peuples autochtones et des communautés locales. Considérant que les terres habitées par les peuples autochtones contiennent 80% de la biodiversité mondiale restante, les droits et savoirs des communautés locales et autochtones doivent être au centre des considérations et des efforts de protection.

Malheureusement, ici comme ailleurs, la protection des droits autochtones laisse à désirer, et plusieurs demandes des communautés n’ont pas été retenues dans l’accord final. Si l’objectif du 30x30 a réussi à s’imposer, il a été dépouillé des critères qui auraient exclu les activités nuisibles au sein des zones protégées. Les communautés autochtones sont plus à risque d’en faire les frais : accaparements de terres, perturbation des pratiques traditionnelles, déplacement des communautés, la liste est longue.

La violation des territoires autochtones se produit notamment en Amérique latine. Les compagnies minières canadiennes, qui représentent 50% à 70% des activités du secteur de la région, sont responsables de multiples violations envers les communautés locales en plus de la destruction environnementale, comme l’acquisition frauduleuse des terres, le déplacement forcé des communautés, les morts violentes des opposant·e·s aux projets, et l’absence de consentement préalable, libre et éclairé des communautés. Des militant·e·s vont jusqu’à se déplacer au Canada pour dénoncer ces actes illégaux et tentatives d’intimidation. La violence envers les défenseur·e·s du territoire, particulièrement les membres des peuples autochtones, révèle également la vulnérabilité des communautés aux expulsions en raison de l’absence de protection adéquate dans la législation nationale.

Natacha Papieau

Compte tenu de la longue et sombre histoire de l’exploitation minière canadienne, on pourrait s’attendre à ce que le Canada respecte pleinement ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Mais comment demander le respect des droits autochtones à l’international quand le pays ne les respecte même pas au sein de ses frontières ? Rappelons que si le Canada reconnaît le rôle primordial des gardiens autochtones, notamment avec le Fonds de la nature, et investit dans les initiatives autochtones de conservation, il continue d’autoriser et financer des projets destructeurs comme des oléoducs sans même consulter ou obtenir l’accord des communautés.

« Quand on est sorti·e·s du bâtiment, on s’est fait harceler et intimider par une vingtaine de policiers·ères »

Ashley Torres, jeune militante et coordonnatrice au Muskrat Collective

Des jeunes délégué·e·s autochtones ont d’ailleurs interrompu la déclaration de Justin Trudeau, lors de la cérémonie d’ouverture de la COP15, en jouant du tambour et en chantant pour dénoncer le double discours du Canada. Trudeau les a alors remerciés pour leur intervention et a déclaré que « le Canada est aussi en faveur de la libre expression (tdlr) ». Pourtant, Ashley Torres, qui a participé à l’interruption du discours et qui est coordonnatrice au Muskrat Collective rassemblant des jeunes militant·e·s autochtones, noir·e·s et de couleur, racontait au Délit que « quand on est sorti·e·s du bâtiment, on s’est fait harceler et intimider par une vingtaine de policiers·ères ». Les jeunes délégué·e·s ont même été détenu·e·s temporairement avant d’être suivi·e·s, sans motif, jusqu’à leur lieu de résidence par des membres du corps policier.

« Benoit Charette déclarait durant la COP15 ne pas rejeter la possibilité d’empiéter sur le territoire d’espèces menacées pour les projets de développement »

Le Québec fait piètre figure

Si les annonces du fédéral rendent un constat plus mitigé sur sa performance, le Québec a lamentablement échoué au test de la COP15. Seules la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et la Ville de Montréal ont affiché et démontré de l’ambition avec des actions concrètes pour les prochaines années. Bien qu’aucun autre animal n’ait reçu autant d’attention que le caribou durant la COP15, aucune annonce n’a été faite par rapport à sa protection par le gouvernement québécois. Les demandes répétées des communautés autochtones n’ont toujours pas trouvé écho au gouvernement. Pourtant, la création d’une aire protégée autochtone avait été proposée en 2020 par le Conseil des Innus de Pessamit, puis appuyée cet été par la Commission indépendante sur le caribou forestier mise sur pied par le gouvernement Legault lui-même.

En l’absence de gestes significatifs ou d’une entente avec le Québec sur la protection des espèces en péril, le gouvernement fédéral avait menacé, en avril dernier, d’imposer un décret pour protéger les dernières forêts qui subsistent dans le but d’assurer la survie du caribou. La situation du caribou, classifié comme espèce menacée depuis 2005, est d’autant plus inquiétante au Québec que certaines populations font face à un risque d’extinction. Son déclin devrait nous envoyer le signal d’alarme que la foresterie québécoise actuelle ne permet pas de maintenir la biodiversité d’origine de nos forêts boréales. Mais le Québec ne bronche pas.

La Presse révélait par ailleurs que le gouvernement ignore encore 11 recommandations de ses scientifiques et manque de transparence en matière de protection des espèces animales. Même lorsqu’il reconnaît le territoire d’espèces menacées, le Québec n’a que faire de le protéger – et pas juste celui du caribou. Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, déclarait durant la COP15 ne pas rejeter la possibilité d’empiéter sur ces territoires pour les projets de développement jugés intéressants et pertinents. L’entêtement du gouvernement québécois à passer ses projets sans égard pour l’environnement et à rejeter les initiatives constructives proposées met en péril non seulement l’atteinte de ses objectifs, mais aussi la crédibilité du Québec tout entier comme chef de file concernant l’environnement. 

Un cadre qu’il reste à mettre en place et à respecter

L’accord Kunming-Montréal est un accord historique visant à protéger la biodiversité au niveau mondial. Il pourrait contribuer grandement à réduire les émissions de carbone, à atténuer les changements climatiques et à offrir aux pays en développement la possibilité de construire des économies vertes axées sur la maximisation de l’utilisation durable des ressources naturelles par leur conservation. Néanmoins, plusieurs questions et critiques demeurent quant au rôle des communautés autochtones, au financement global relativement faible, ainsi qu’au suivi et à la responsabilité pour mettre en place les étapes clés qui mèneront vers l’atteinte des objectifs fixés.

« La mobilisation continue de la société civile demeure essentielle pour maintenir la pression sur les instances décisionnelles »

Si des engagements positifs ont été annoncés par les parties, il ne faut pas oublier le problème de fond : nous pensons être détaché·e·s et indépendant·e·s de la nature alors que nous en faisons partie. L’ambition des gouvernements et des entreprises n’est que le reflet de notre propre manque de vision. La population doit continuer à s’éduquer sur les enjeux environnementaux tels que l’écoblanchiment et le nature-positive pour assurer des avancées significatives.

La mobilisation continue de la société civile demeure essentielle pour maintenir la pression sur les instances décisionnelles, tant en matière d’environnement qu’en droit autochtone.

La prochaine Conférences des parties sur la biodiversité se tiendra en Türkiye en 2024. 


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