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Mobilisation pour la communauté trans

Des manifestant·e·s interrompent une conférence jugée « transphobe » à la Faculté de droit.

Béatrice Vallières | Le Délit

Le mardi 10 janvier dernier, plus d’une centaine de manifestant·e·s se sont réuni·e·s dans la Faculté de droit de l’Université McGill pour protester contre la tenue d’une conférence donné par le professeur Robert Wintemute. Celui-ci est critiqué pour son association avec l’Alliance LGB, un groupe qualifié de « haineux » et « transphobe » par les manifestant·e·s. Ces dernier·ière·s ont fait irruption dans la salle de conférence, forçant l’interruption de l’événement. Des étudiant·e·s ont débranché le projecteur du conférencier invité, qui s’est également vu lancer de la farine au visage, mettant fin à la conférence.

L’événement, intitulé « Le débat entre sexe et (identité de) genre au Royaume-Uni et le divorce entre LGB et T » (tdlr), était organisé par le Centre pour les droits humains et le pluralisme juridique (CHRLP) de la Faculté de droit de l’Université McGill. Le professeur Wintemute est diplômé de l’Université McGill et professeur spécialisé en droits humains au King’s College à Londres. Il est également administrateur de l’Alliance LGB, qualifiée de « transphobe » et de « groupe haineux » par plusieurs figures politiques britanniques et par de nombreuses associations militantes LGBTQ+.

« La Faculté de droit de McGill, en donnant activement une plateforme à l’avocat anti-trans Robert Wintemute, contribue directement au retour en arrière des droits humains qui afflige notre monde ces derniers temps »

Lettre ouverte signée par plus de 500 personnes et organisations

Fondée en 2019, l’Alliance LGB se présente comme une organisation qui vise à « protéger les droits des lesbiennes, gais et bisexuels ». Elle se décrit comme « critique du genre » et s’est opposée à plusieurs projets de loi défendant les droits des personnes trans au cours des dernières années. 

La description de l’événement, qui a depuis été retiré du site du CHRLP, faisait état d’un « débat » au Royaume-Uni sur « l’opportunité ou non de modifier la loi pour faciliter le changement de sexe légal d’une personne transgenre par rapport à son sexe de naissance » (tdlr), ainsi que sur « les situations exceptionnelles, comme les espaces réservés aux femmes et les sports, dans lesquelles le sexe de naissance de la personne doit primer sur son identité de genre indépendamment de son sexe légal ». L’Alliance LGB y était décrite comme une association qui « rejette la coalition politique entre LGB et T et remet en questions certaines revendications trans qui sont en conflit avec les droits des femmes lesbiennes et bisexuelles ».

La Faculté de droit sous le feu des critiques

Selon Céleste Trianon, activiste trans et organisatrice de la manifestation, le but de cette mobilisation était de dénoncer la décision du CHRLP et de la Faculté de droit de McGill d’offrir au professeur Wintemute une plateforme qui pourrait « lui permettre d’importer la transphobie britannique au Québec ». « La Faculté de droit de McGill, en donnant activement une plateforme à l’avocat anti-trans Robert Wintemute, contribue directement au retour en arrière des droits humains qui afflige notre monde ces derniers temps », peut-on lire dans une lettre ouverte signée par plus de 500 personnes et organisations.

La manifestation était co-organisée par la Communauté juridique radicale de McGill (RadLaw) et Queer McGill. De nombreuses associations étudiantes mcgilloises, incluant l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM), l’Association des étudiant·e·s en droit de McGill et le Réseau des étudiants noirs de McGill (BSNM), ont exprimé publiquement leur soutien aux manifestant·e·s.

Pour Céleste Trianon, la décision du CHRLP d’offrir une plateforme de discussion au professeur Wintemute est d’autant plus significative qu’elle s’inscrit dans un contexte où les droits de la communauté trans ont subi plusieurs reculs législatifs importants dans les dernières années. Aux États-Unis notamment, un projet de loi récent interdirait aux moins de 26 ans l’accès aux soins d’affirmation de genre en Oklahoma, ce qui pourrait forcer certaines personnes à inverser leur transition par voie médicale contre leur gré. L’année 2021 a également été nommée « l’année la plus meurtrière pour les personnes trans » (tdlr) aux États-Unis par le Time. « Alors que la violence anti-trans devient de plus en plus répandue à travers le monde et que la reconnaissance légale du genre est menacée au Royaume-Uni, aux États-Unis et ici-même au Québec, chaque minute supplémentaire de temps d’antenne accordée à un militant anti-trans peut entraîner un recul supplémentaire » (tdlr), peut-on lire dans la lettre ouverte.

« Si la personne avec qui vous débattez ne vous voit même pas comme méritant des droits humains de base, il n’est pas possible d’avoir un vrai débat intellectuel »

Abe Berglas, représentant·e de Queer McGill

Dans un courriel envoyé aux étudiant·e·s avant la manifestation, le doyen de la Faculté de droit, le professeur Robert Leckey, a rappelé que la présence du professeur Wintemute lors de l’événement ne signifiait pas que l’Université adhérait à ses points de vue. Le doyen a affirmé son désir de faire de la Faculté un « lieu inclusif où des personnes aux identités et expériences diverses peuvent apprendre ensemble et s’épanouir, ainsi qu’un lieu où nous pouvons entendre et critiquer des points de vue avec lesquels nous sommes fortement en désaccord. » (tdlr)

Béatrice Vallières | Le Délit

« Pas de place pour la haine »

Dans un second courriel envoyé aux étudiant·e·s de la Faculté de droit au lendemain de la manifestation, le doyen Leckey a exprimé sa tristesse quant à la tournure des événements, qui auraient « largement dépassé les bornes de la manifestation pacifique », citant notamment des instances de bousculades, d’insultes et de vandalisme qui constitueraient des violations du Code de conduite étudiant. Il a également déploré l’interruption de la conférence par les manifestant·e·s : « Dans un endroit où nous nous réunissons pour éduquer de futurs avocats, quel est notre engagement envers l’échange d’idées, incluant celles avec lesquelles nous sommes en désaccord et que nous trouvons répugnantes ?»

En entrevue avec CBC, le professeur Wintemute s’est pour sa part défendu d’avoir des opinions transphobes et a qualifié la réaction à son discours d’« hystérique ». Il maintient que sa conférence avait pour but de dire que « les femmes ont des droits humains, elles aussi, mais se sentent intimidées par la communauté trans » (tdlr). « C’est extrêmement anti-démocratique d’interrompre une conférence dans une université simplement parce que l’on est en désaccord avec les opinions exprimées », a‑t-il déclaré à CTV News.

« Pour plusieurs étudiant·e·s, les événements de la semaine dernière représentent une désillusion par rapport aux engagements de l’Université McGill pour la diversité et l’inclusion »

Pour Céleste Trianon, les convictions véhiculées par l’Alliance LGB ne relèvent pas de l’opinion, mais plutôt du discours haineux, et posent un enjeu de sécurité pour les personnes trans. « Je pense qu’il est important de faire une distinction entre discours libre et discours haineux. Et ici, il s’agit d’un discours purement haineux », affirme‑t ‑elle, ajoutant que les positions de l’Alliance LGB représentent « une attaque contre la dignité, la sécurité et l’intégrité des personnes trans ». « Si la personne avec qui vous débattez ne vous voit même pas comme méritant des droits humains de base, il n’est pas possible d’avoir un vrai débat intellectuel » (tdlr), renchérit Abe Berglas, représentant·e de Queer McGill. « Il est important de laisser de la place à la controverse sur le campus, mais je ne crois pas qu’il faille faire de place pour la haine », ajoute-t-iel.

Laura Doyle-Péan, membre de RadLaw, est d’avis que les appels à la liberté académique de la part des organisateur·rice·s de l’événement et des critiques de la manifestation sont issus d’une mauvaise compréhension du concept même de liberté académique. « Ça détourne complètement la conversation et l’attention (du public, ndlr), qui, selon moi, devraient être dirigées vers les dangers que cet événement posait », affirme-t-iel. Iel souligne également que certains de ces dangers se seraient déjà concrétisés, puisque plusieurs organisateur·rice·s associé·e·s à la manifestation auraient reçu des vagues de messages haineux sur les réseaux sociaux.

Contactée par Le Délit, Frédérique Mazerolle, agente de relation avec les médias de l’Université McGill, a indiqué que l’Université respectait le droit de ses étudiant·e·s à manifester pacifiquement sur le campus. Elle a fait savoir que « la liberté académique est au cœur de la mission de l’Université McGill […] », tout en rappelant que « chaque membre de la communauté universitaire doit respecter la dignité des autres membres de cette communauté et les traiter de façon juste et équitable ».

Désillusion de la communauté étudiante

Pour plusieurs étudiant·e·s, les événements de la semaine dernière représentent une désillusion par rapport aux engagements de l’Université McGill pour la diversité et l’inclusion. En entrevue avec Le Délit, Jacob Williams, étudiant à McGill et membre de Trans Patient Union (TPU), a exprimé sa déception vis-à-vis de l’Université. « Cela (la conférence, ndlr) crée un climat dans lequel les personnes trans ne se sentent pas du tout soutenues par l’administration » (tdlr), déplore-t-il. « Avant, je croyais que McGill se souciait beaucoup de l’équité, de l’inclusion et de la diversité. […] Pour être honnête, maintenant, je ne suis pas sûr que l’équité (à McGill, ndlr) ne veuille dire quoi que ce soit au-delà d’être une forme de marketing intéressé » , ajoute l’étudiant.

Sal Cuthbertson, spécialiste en équité et politique à l’AÉUM récemment diplômé·e de McGill qui était présent·e à la manifestation, partage ce sentiment de désillusion : « Je suis une personne que McGill invite tout le temps aux comités d’accessibilité. Et chaque fois que j’y suis, ils essaient de véhiculer cette idée que j’ai le droit d’être qui je suis, que je devrais écrire mes pronoms… Mais c’est dans des moments comme ceux-ci que je me dis : c’est de l’activisme performatif. Ils me disent qu’ils me soutiennent, qu’ils me voient, qu’ils utilisent les bons pronoms. Et, d’un autre côté, ils nous disent qu’ils ne croient pas en notre identité, et que notre existence est sujette à débat. »

Même si les derniers jours ont été mouvementés pour la communauté trans mcgilloise, Laura Doyle-Péan garde espoir : « C’est beau de voir que malgré tout ça, il y a des gens qui nous soutiennent et qui amplifient nos voix. On y est un peu gagnants malgré tout. »

Le CHRLP et ses directeur·rice·s n’ont pas répondu aux demandes de commentaire du Délit


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