Le 10 janvier dernier, le journal français Le Monde publiait un article intitulé « Pour les jeunes Français LGBTQIA+, Montréal, “un havre de paix”». À travers les témoignages de trois jeunes Français·es de la communauté, le Québec y était dépeint comme une « terre promise » pour la communauté 2SLGBTQIA+ française. La réputation de Montréal auprès des jeunes Français·es est-elle méritée, ou est-elle idéalisée ? Le Délit a enquêté auprès de la communauté 2SLGBTQIA+ de l’Université McGill, et les réponses obtenues ont dressé un portrait un peu plus complexe de la situation.
La fuite des Français·es
Depuis une dizaine d’années, des vagues d’étudiant·e·s français·e·s déferlent sur Montréal. Entre 2005 et 2018, le nombre de jeunes français·e·s venu·e·s poursuivre leurs études au Québec a plus que triplé. À l’Université McGill, on compte actuellement un peu plus de 2000 étudiant·e·s français·e·s, ce qui représente environ 5% de la population étudiante et 15% du nombre total d’étudiant·e·s étranger·ère·s.
En effet, beaucoup de jeunes étudiant·e·s français·es qui souhaitent quitter le nid familial se tournent vers le Québec, qui, en plus d’offrir des frais de scolarité avantageux, apparaît comme un exemple de tolérance et d’ouverture auprès de la jeunesse française. Inès, étudiante queer à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, affirme que Montréal représente pour elle un endroit « où la sexualité est plus libérée et où les lois sont plus avancées, ou du moins plus pointilleuses, concernant les discriminations envers les minorités sexuelles et de genre. »
En ce qui concerne la communauté 2SLGBTQIA+, plusieurs médias français ont fait état d’une vague d’immigration queer vers Montréal en 2013 à la suite des nombreuses manifestations contre le mariage pour tous·tes en France. Malgré les avancées scientifiques et légales notables de ces dernières années, notamment avec la légalisation de l’application de la Procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de même sexe en 2021, il persiste toujours en France une forte opposition au mariage homosexuel et à l’homoparentalité. En comparaison, le Québec, où le mariage homosexuel est légal depuis 2004, semble avoir une longueur d’avance sur le plan législatif.
« Dès que je suis arrivé à Montréal, je me suis aperçu que j’aimais les filles et les garçons et je n’ai jamais vraiment eu de problèmes liés à ça. Je ne ressens pas de jugement des autres, et c’est bien mieux accepté par les gens en général »
Raphaël, étudiant en génie à McGill
« Ici, je peux être qui je veux »
Pour plusieurs jeunes étudiant·e·s français·es passé·e·s en entrevue, le fait de venir étudier à Montréal représentait une opportunité d’explorer plus librement leur orientation sexuelle et leur identité de genre.
Raphaël, un français venu étudier le génie informatique à McGill, compare l’arrivée à Montréal à un éveil pour beaucoup d’étudiant·e·s français·es par rapport à leur identité 2SLGBTQIA+. Pour lui, partir vivre à Montréal a été l’opportunité de faire son « coming out ». « En France j’étais pas “out”, mais je le savais depuis longtemps. […] Dès que je suis arrivé à Montréal, je me suis aperçu que j’aimais les filles et les garçons et je n’ai jamais vraiment eu de problèmes liés à ça. Je ne ressens pas de jugement des autres, et c’est bien mieux accepté par les gens en général », témoigne-t-il. Raphaël, qui vient d’un milieu rural en France, mentionne que plusieurs facteurs entrent en jeu dans le sentiment d’acceptation qu’il a ressenti à Montréal. Selon lui, le monde urbain offre plus de représentation à la communauté 2SLGBTQIA+ que dans son village natal. L’étudiant cite en exemple le Village gai
de Montréal et ses nombreux drapeaux de la fierté. « Ici, (à Montréal, ndlr) je peux être qui je veux », affirme-t-il. Raphaël souligne également avoir trouvé au sein de la vie associative queer de l’Université McGill des ressources ainsi qu’un sentiment de communauté bienveillante.
Aubrey est un étudiant français queer diplomé de l’Université McGill en 2022. Pour lui, les questionnements relatifs à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre sont beaucoup plus ouverts au Québec qu’en France : « C’est bien plus facile d’explorer son genre et sa sexualité à Montréal par rapport à la France, où la question queer n’est clairement pas suffisamment abordée publiquement (tdlr)», souligne-t-il. Pour Aubrey, le tabou et les idées préconçues sur le genre et la sexualité sont beaucoup moins présentes dans la plus grande ville francophone canadienne qu’en France. Il décrit Montréal comme un endroit regroupant une multitude de « safe spaces » (espaces sécurisés). « Il y a différents clubs, différents bars de drag, des ‘‘kiki balls’’; il y a des événements queer pour des identités spécifiques comme Black&Queer, des open mics saphiques ou lesbiens, ou encore des groupes arabes non conformes au genre ». Pour lui, c’est cette diversité au sein même de la communauté 2SLGBTQIA+ qui aide les jeunes queers à découvrir leur genre et identité. « Une fois qu’ils découvrent ces cercles, un nouveau monde s’ouvre à eux », ajoute-t-il.
« C’est bien plus facile d’explorer son genre et sa sexualité à Montréal par rapport à la France »
Aubrey, diplômé de McGill en 2022
Emma est étudiant en sociologie à l’Université McGill. Elle a fait son « coming-out » non-binaire quelques années après son déménagement à Montréal. Comme plusieurs étudiant·e·s passé·e·s en entrevue par Le Délit, elle critique un climat de conformisme en France et décrit la pression sociale qui y est associée. « Je pense que si j’étais resté en France, je n’aurais pas été dans un climat propice pour me poser ces questions (sur mon identité de genre, ndlr). Je me demande même […] si je serais arrivé à un “coming out” non-binaire », explique-t-elle.
«Là où j’ai grandi, il y avait des personnes qui se faisaient tabasser dans la rue parce qu’elles étaient queer », se rappelle-t- elle. Bien qu’elle souligne que ce ne soit pas la réputation de « tolérance » du Québec qui l’ait attiré à McGill, elle note plusieurs facteurs qui ont aidé à son questionnement, notamment l’éloignement familial, l’utilisation quotidienne de la langue anglaise, moins genrée que le français, ainsi que le soutien de ses proches à Montréal. « Quand j’ai commencé à questionner mon genre, j’en ai parlé à des amis autour de moi. Et j’ai notamment un ami qui m’a dit : “Est ce que tu veux que j’essaye d’utiliser d’autres pronoms pour toi et voir toi comment tu te sens?” […] Je n’ai pas été accueilli avec du jugement, mais avec énormément de bonté et beaucoup de patience […], et je pense que ça a été vraiment déterminant », se rappelle-t-elle.
Plusieurs étudiant·e·s dénoncent également le fait que les discussions sur le genre et l’orientation sexuelle semblent avoir un train de retard dans les écoles et les universités françaises en comparaison avec celles du Québec. « C’est toujours un peu tabou », note Raphaël. « Si un·e professeur·e français·e mentionne ses pronoms en se présentant, c’est super rare ! Alors qu’à McGill, c’est assez courant », remarque-t-il. Inès, étudiante à Paris 1 Sorbonne, dénonce un manque de proactivité au sein des institutions françaises. « Toutes les mesures d’inclusion émanent des revendications étudiantes », souligne-t-elle.
Tout n’est pas rose à Montréal
Si tous·tes s’accordent pour dire que le climat montréalais est beaucoup plus favorable aux questionnements sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle que le climat français, certain·e·s se montrent sceptiques quant à la représentation de Montréal comme une sorte de « terre promise » pour les jeunes français·e·s 2SLGBTQIA+.
« Est-ce qu’on est réellement ici au paradis des personnes queer ? Je trouve qu’il faut tempérer », souligne Emma. « Est-ce qu’un endroit où tu ne te fais pas tabasser parce que tu es queer, c’est un “havre de paix”?», demande l’étudiant, qui souligne au passage avoir été victime d’au moins un incident homophobe à Montréal. Elle exprime même de l’inquiétude face à ce discours : « J’ai peur qu’on se donne cette médaille d’honneur qui dit : “Montréal, c’est la ville des queers”, et qu’on arrête de faire des efforts. » Elle remet également en question l’utilité d’une telle discus- sion : « Pourquoi on ne questionne pas plus la manière dont on traite la communautéLGBTenFrance ? »
Plusieurs étudiant·e·s se montrent également critiques vis-à-vis de l’Université McGill et son apparente ouverture. Pour Aubrey, McGill demeure un établissement hétéronormatif et conformiste. L’étudiant dénonce « un système dinosaure », soulignant un « sous-financement » des associations étudiantes queer et du Département d’études de genre, sexualité et justice sociale. « Le corps administratif est très déconnecté de ses étudiants, et l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) n’a presque pas de représentants queer », déplore-t-il.
« Est-ce qu’un endroit où tu ne te fais pas tabasser parce que tu es queer, c’est un “havre de paix”? »
Emma, étudiant en sociologie à McGill
Emma formule des critiques similaires vis-à-vis de l’Université, exprimant notamment sa colère quant à la tenue récente à la Faculté de droit d’une conférence décrite comme transphobe par de nombreuses associations étudiantes. « C’est des moments dans lesquels j’ai l’impression de faire partie d’un coup de publicité (de l’Université, ndlr). […] Et moi, je refuse d’être utilisé comme ça », affirme-t-elle. De l’autre côté de l’Atlantique, Catherine, une jeune montréalaise de la communauté 2SLGBTQIA+ qui a choisi d’aller s’établir à Paris, note quelques dif- férences au quotidien dans la manière dont les gens interagissent avec les membres de sa communauté, décrivant des regards de passant·e·s curieux·euses. Malgré tout, elle se sent aussi confortable d’être « out » à Paris qu’à Montréal. Même si elle remarque que beaucoup de jeunes français·e·s idéalisent la métropole québécoise, elle demeure pour sa part réticente à employer les termes du Monde : « Havre de paix, je ne sais pas… Je crois que c’est une des meilleures villes pour la communauté LGBTQ, mais il y a encore beaucoup de travail à faire. »
Au Canada, une enquête de 2018 révélait que les personnes issues de minorités sexuelles — c’est- à‑dire toute personne ayant une orientation sexuelle autre que l’hétérosexualité — étaient trois fois plus susceptibles d’être victimes de violences sexuelles ou physiques que les personnes hétérosexuelles. Une enquête de TransPulse Canada menée au- près de plus de 2000 personnes trans ou non binaires à travers le Canada en 2019 révélait également que 40% d’entre eux·lles avaient réfléchi au suicide au cours de l’année précédente. De plus, un sondage mené par la Fondation Émergence en 2019 démontre qu’un tiers des québécois seraient « réticents » à embaucher une personne trans.
« Pourquoi on ne questionne pas plus la manière dont on traite la communauté LGBTenFrance ? »
Emma, étudiant en sociologie à McGill
Qu’en est-il du « havre de paix » ?
Parmi les étudiant·e·s passé·e·s en entrevue, il se dégage un consensus clair quant au climat de permissivité et de tolérance qui fait la réputation de Montréal en matière d’ouverture à la communauté 2SLGBTQIA+. En revanche, au-delà des promesses du Québec aux étudiant·e·s français·es queer, les institutions universitaires telle que McGill comportent toujours plusieurs lacunes quant à la représentation des personnes queer et leurs organisations respectives au sein du processus administratif, notent les étudiant·e·s. Au final, si la métropole québécoise et ses universités offrent des avantages indéniables à la communauté queer qui cherche à fuir le climat français, le portrait qui se dessine est un peu plus nuancé.
Les personnes de la communauté 2SLGBTQIA+ qui cherchent du support peuvent contacter les organismes QueerMcGill ou TransPatientUnion, ou encore la ligne d’écoute Interligne 24h sur 24 (1 888 505‑1010). Pour signaler de la discrimination, les étudiant·e·s peuvent contacter le Bureau de médiation et de signalement de McGill.