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L’eau, ressource commune ou commerciale ?

Célia Pétrissans | Le Délit

Le Québec jouit sans doute d’une situation hydrographique enviable par sa possession de 3% des réserves en eau douce renouvelables de la planète. Si ce chiffre représente une capacité exceptionnelle de production et d’exportation hydroélectrique, les tenants et les aboutissants de la gestion de l’eau québécoise sont imprécis, et les implications de la privatisation d’une ressource qui relève en principe du bien commun demeurent inexplorées. On doit rappeler que l’eau du Québec représente à l’heure actuelle un marché d’investissement plus qu’intéressant pour les entreprises, les taxes perçues sur l’eau étant minimes par rapport aux quantités d’eau prélevées. À ce titre, le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a annoncé l’an dernier vouloir imposer des redevances plus importantes aux embouteilleurs, comme Amaro, Pepsi et Coca-Cola, qui s’abreuvent dans les sources d’eau du Québec sans payer leur juste part. Bien que cette initiative ait été critiquée, elle permettrait d’établir un suivi plus rigoureux et transparent quant aux quantités d’eau puisée au Québec.

La divulgation des chiffres plus précis de l’attribution de l’eau au secteur privé doit mettre en lumière les enjeux trop peu discutés de l’appropriation et de la commercialisation de l’« or bleu ». L’adoption de la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau en juin 2009 reconnaît que l’eau fait partie du « patrimoine commun ». La Loi admet également « la nécessité de satisfaire en priorité les besoins de la population et de concilier ensuite les besoins des écosystèmes et des activités à caractère économique ». Or, l’eau appartient-elle vraiment à tout le monde comme on le prétend ? Son utilisation est-elle trop contrôlée ou trop peu réglementée par la sphère publique ? L’article « Eau Québec, quel avenir pour l’or bleu ? » écrit à l’Université de Sherbrooke révèle que l’exploitation lucrative des réserves d’eau aurait souvent été privilégiée au détriment de la préservation des milieux humides.

En dépit du flou qui persiste quant au respect des quotas d’eau prélevée par les embouteilleurs, on peut – et avec raison – se demander quel serait l’impact si des sociétés d’actionnaires avaient une mainmise sur la gestion des ressources d’eau disponibles. Le professeur au Département de géographie de l’Université Laval Frédéric Lasserre souligne par exemple que le pompage par les embouteilleurs, dans certaines régions, peut avoir un impact significatif sur les populations locales, qui doivent composer avec des réserves d’eau grandement réduites. L’eau est une ressource renouvelable mais limitée, et octroyer des permis privés pour son exploitation peut se faire aux dépens des communautés qui sont directement touchées par cette problématique.

Maintenant, que pouvons-nous faire pour garantir une répartition plus équitable de cette ressource naturelle sur tout le territoire du Québec, notamment pour les communautés autochtones qui ont toujours un accès limité à l’eau potable ? Une plus grande transparence quant aux quantités d’eau pompée par des compagnies privées doit être saisie comme une opportunité de raviver le débat public autour du partage de cette ressource collective. Nous réalisons peu le privilège que représente le fait de posséder un réservoir abondant d’eau potable situé dans le bassin du fleuve Saint-Laurent. Si notre consommation individuelle d’eau au Québec est certainement à revoir, l’enjeu de sa privatisation ne se limite pas à l’embouteillage. Les partenariats publics-privés (PPP) pourraient jouer un rôle grandissant dans la gestion des services d’eau au Québec, et il nous revient d’en surveiller l’expansion. 


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