Abondance
À Montréal, lorsque vous vous installez à table au restaurant ou dans un bar, on vous apporte automatiquement un verre d’eau fraîche. Cette eau, particulièrement précieuse en été, est gratuite. Bien que cela puisse nous sembler complètement naturel, cette coutume n’est en rien universelle. Tandis que la province du Québec considère l’eau comme un bien commun, de nombreux pays font payer l’eau servie, et il n’existe pas d’obligation d’offrir aux client·e·s la possibilité de se désaltérer. En Belgique par exemple, commander une bouteille d’eau minérale peut coûter jusqu’à 8€ environ (11,57 CAD). En revanche, ces différences de coutumes impliquent une subtilité non négligeable. Il serait inadmissible de faire payer à des client·e·s de l’eau tiède du robinet à peine rafraîchie par des glaçons. Alors qu’au Québec, on part du principe que les client·e·s préfèrent l’eau du robinet, les incitant ainsi souvent à ne pas prendre l’eau embouteillée, d’autres pays n’offrent pas d’eau gratuite et la seule eau servie est donc minérale. Or, l’eau minérale n’a pas les mêmes émissions de carbone que l’eau du robinet, elle nécessite un traitement, un emballage et un transport, et génère des déchets pour l’environnement. Pourquoi les Canadien·ne·s et les Québécois·e·s doivent-ils·elles alors profiter avec sagesse de ce cadeau ? La crise écologique que nous vivons implique des pénuries de ressources, et tandis que l’eau est l’un des biens les plus précieux des êtres humains, nous allons parler dans cet article de consommation d’eau, gratuite et payante.
« L’eau est abondante, elle est ainsi peu chère, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas précieuse »
Le cheval bon marché est cher
« Tout ce qui est rare est cher. Un cheval bon marché est rare, donc un cheval bon marché est cher ».
Il me semble que cette phrase ironique résume bien la fixation du prix de l’eau au Québec. En effet, la province compte 3% des ressources d’eau douce mondiales, des dizaines de milliers de rivières et plus de trois millions de plans d’eau. L’eau est abondante, elle est ainsi peu chère, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas précieuse. La coutume d’apporter automatiquement un verre d’eau aux clients est à l’image de cette abondance d’eau douce, dont tout le monde devrait pouvoir bénéficier sans en abuser.
Les différences entre eau embouteillée et eau du robinet n’existent parfois même pas. Conformément au Règlement sur les eaux embouteillées du Québec, il est autorisé de vendre des bouteilles avec de l’eau directement extraite des ressources du Québec, et les marques qui le font ne paient que de faibles redevances à la municipalité. Au contraire, les différences de coûts énergétiques sont significatives : en 2005, selon les données de RecycQuébec, seules 57% des bouteilles en plastique ont été recyclées. La consommation d’eau du robinet gratuite au Québec dans les restaurants et bars est ainsi une pratique précieuse, à l’image de l’abondance de la ressource dans la province.
La gratuité de l’eau facilite également sa distribution lors des événements impliquant de la distribution d’alcool comme ceux organisés par l’Université McGill. L’eau permet de limiter l’effet « déshydratant » de l’alcool, et cela peut également remplir l’estomac et inciter à boire moins d’alcool. La consommation d’eau est également primordiale pour la santé pendant les canicules, bien connues de Montréal. 56 canicules ont été enregistrées à Montréal depuis 1970, dont 26 depuis 2000. Pour ses bienfaits écologiques, et parce que se désaltérer ne relève pas du désir arbitraire, la gratuité de l’eau potable dans les bars et restaurants semble difficile à remettre en question.