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Féminismes pluriels

Comment se porte le féminisme intersectionnel au Québec et à McGill ?

FéminismeLaura Tobon | Le Délit

Avec la Journée internationale des droits des femmes tout juste derrière nous, la discussion entourant l’état du féminisme au Québec semble tout naturellement avoir refait surface. Les événements des dernières semaines ont mis en lumière la question de la pérennité d’un féminisme inclusif, fort et intersectionnel au Québec. Le Délit s’est entretenu à ce sujet avec quelques étudiant·e·s de l’Université McGill.

L’intersectionnalité au Québec

« Intersectionnel », c’est le terme qui a initié une vague de réactions incendiaires à la fin du mois de février dernier en provenance de féministes québécois·e·s à l’égard de la Coalition Avenir Québec (CAQ). En vue de la Journée internationale des droits des femmes qui arrivait alors à grand pas, Québec Solidaire (QS) avait introduit une motion à l’Assemblée nationale du Québec qui cherchait à « encourager l’analyse différenciée selon les sexes dans une perspective intersectionnelle afin de défendre les droits de toutes les femmes ». En guise de réponse, la CAQ s’était opposée à la mention de « l’intersectionnalité » et avait demandé qu’elle soit retirée, mettant fin à la discussion en refusant catégoriquement d’en débattre. Ainsi, la CAQ s’en est tenue au discours mettant de l’avant une mention aseptisée du féminisme, sans souci d’y inclure la variété de femmes qui font toutes autant partie de la société québécoise. Ce sont en effet les femmes se trouvant à l’intersection de plus d’une identité minoritaire qui se voient vulnérables à la marginalisation.

« Ainsi, la CAQ s’en est tenue au discours mettant de l’avant une mention aseptisée du féminisme, sans souci d’y inclure la variété de femmes qui font toutes autant partie de la société québécoise »

La tentative de QS d’inciter l’Assemblée nationale à prendre position et à reconnaître l’importance de souligner la pluralité de femmes qui composent notre société, ainsi que la mise en lumière de l’importance de poursuivre le combat pour un féminisme inclusif, a échoué. Martine Biron, ministre caquiste responsable de la Condition féminine, avait répondu à la proposition de QS que le féminisme intersectionnel, « ce n’est pas notre vision du féminisme ».

À la suite du rejet de la proposition de QS, les médias québécois se sont à leur tour enflammés sur la question du féminisme intersectionnel et surtout sur sa validité. Selon Richard Martineau, chroniqueur au Journal de Montréal qui prétendait presque être une sommité de la question féministe dans son article publié le 27 février dernier, il s’agit d’un « débat qui a l’air abscons, abstrait et aussi pertinent que la question de savoir combien d’anges peuvent danser la Macarena sur une tête d’aiguille ». D’autre part, Rima Elkouri de La Presse mentionne notamment que « le féminisme intersectionnel est un outil essentiel pour penser (et repenser) le monde, mieux comprendre les rapports de pouvoir dans toute leur complexité et mieux s’attaquer aux inégalités ».

Féminisme problématique

Au sein de la fachosphère, une question qui domine les discussions est celle de la validité d’inclure la défense des droits des femmes trans dans le combat féministe. Le discours Trans-Exclusionary Radical Feminism (TERF), notamment associé à la « féministe » française Dora Moutot, ancre sa rhétorique dans une vision exclusive de la femme qui rejette les femmes trans des combats féministes. De plus, le féminisme blanc, un courant de pensée centré sur les luttes féministes concernant les femmes blanches, mais omettant les femmes marginalisées pour d’autres facettes de leur identité, connait une montée rapide. De tels mouvements, qui revendiquent la défense des droits des femmes comme leur priorité, affaiblissent aux yeux de plusieurs la crédibilité – et pour certains, la validité – des combats féministes puisqu’ils dépeignent un féminisme de nature discriminatoire. Ceux-ci ne transcendent pas l’ensemble des femmes, et vont donc fondamentalement à l’encontre des valeurs d’inclusion et d’égalité véhiculées par le féminisme.

McGill féministe ?

Le Délit a sondé quelques étudiant·e·s de l’Université McGill pour en apprendre un peu sur leurs croyances, leurs perceptions de la situation féministe au Québec, ainsi que les améliorations qu’ils·elles espèreraient voir être mises en oeuvre pour un futur toujours plus égalitaire. 

Selon Dorian, un étudiant en histoire à l’Université McGill, le féminisme est « un mouvement prônant l’abolition des structures de pouvoir basées sur le genre en faveur d’une société sans dynamiques d’oppressions genrées ».

Selon Violette, étudiante en histoire de l’art, il s’agit d’un « mouvement collectif, mais aussi d’une façon de penser individuelle qui est guidée par un désir d’inclusivité et de justice ». Dorian juge impératif d’être féministe « parce [qu’il] voi[t] tous les jours les conséquences du patriarcat, que ce soit sa mère qui a dû faire deux fois plus d’efforts durant toute sa carrière ou encore des amis qui reçoivent davantage d’attaques homophobes parce qu’ils sont plus féminins ».

Selon cet échantillon d’étudiant·e·s mcgillois·e·s, la réponse est unanime : les étudiant·e·s de l’Université sont féministes. Aida, une étudiante en économie à McGill, soulève le fait que « le féminisme, bien qu’il puisse parfois sembler trop ciblé, est loin d’exclure la défense d’autres causes, et requiert donc le soutien de tous·tes afin d’assurer une société juste et égalitaire pour les générations futures ».

Pour ce qui est des attentes des étudiant·e·s, Violette croit que « le féminisme ne concerne pas seulement les femmes. Les hommes ont aussi un énorme pouvoir dans le fonctionnement des sociétés et [elle] pense qu’au Québec, bien que le sujet soit discuté plus qu’ailleurs dans le monde, les hommes devraient être mieux sensibilisés aux conséquences de leurs actions et de leurs choix ». Pour sa part, Dorian « pense qu’on devrait étendre notre compréhension du féminisme. L’existence de certaines femmes libres, qui gagnent bien leur vie et ont des relations saines avec des hommes ne constitue pas une preuve que le féminisme a réussi ; il faut penser à toutes les femmes. Les femmes pauvres, les femmes racisées, les femmes trans. Au Québec, on a tendance à n’avoir qu’une vision de la société québécoise, en oubliant que nous vivons dans une société profondément diversifiée et complexe ».

Le féminisme, c’est pour qui ?

Comme l’a souligné l’humoriste Kim Lévesque-Lizotte lors d’une émission de radio diffusée sur les ondes de Radio-Canada le 8 mars dernier, la CAQ atteint actuellement des records en termes de taux d’approbation. Kim Lévesque-Lizotte identifiait aussi ironiquement les femmes qui pourront célébrer une Journée internationale des droits des femmes selon la définition caquiste du féminisme :« les madames blanches cisgenres hétérosexuelles qui aiment prendre des mimosas en brunchant au Holt Renfrew pendant que des travailleuses étrangères font leur ménage » ou encore « des femmes blanches hétéros, cisgenres qui sont tellement libres de passer la journée au spa pendant que des femmes des minorités visibles s’occupent de leurs enfants au CPE ». Le point n’est pas de dire que ces femmes ont moins leur place au sein du mouvement féministe, mais bien que ce ne sont pas elles qui souffrent du déficit féministe existant toujours au Québec, ce dernier affectant davantage les femmes se trouvant à l’intersection de plusieurs identités.

Pour ce qui est de l’avenir, la définition du féminisme interprété par la CAQ pourrait nous être imposée pour quelque temps encore. Selon un sondage datant du 28 février dernier, si une élection devait être tenue à ce jour, la CAQ l’emporterait haut la main. Il faut donc croire que les féministes québécois·es seront tenu·e·s de continuer à se battre pour un féminisme ouvert d’esprit, accueillant pour tous·tes, et qui saura s’adapter au fil du temps.


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