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La Réconciliation en procès

Les mères Mohawks continuent leur combat.

Lucy Tymezuk

Le 10 février dernier, McGill et la Société québécoise des infrastructures (SQI) ont déposé une demande pour lever l’interdiction d’excaver sur le site du projet Nouveau Vic. Cette interdiction avait été accordée par le juge Moore aux mères Mohawks au terme d’une longue bataille juridique sur la recherche de tombes non marquées d’enfants autochtones sur les lieux de l’ancien hôpital Royal Victoria (RVH). Au cours d’une table ronde organisée dans les bâtiments de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) à l’occasion de la Journée internationale des femmes, les mères Mohawks sont revenues sur leur combat, et leur vision de la Réconciliation.

Déterminer un « plan archéologique approprié »

Les kanien’kehá:ka kahnistensera sont un collectif de mères autochtones de la nation mohawk, engagées depuis le 30 août dernier dans une bataille juridique contre McGill et la SQI pour stopper les travaux d’excavation et de démolition sur le site du projet Nouveau Vic. Ce dernier est un projet de redéveloppement visant à convertir l’ancien hôpital Royal Victoria en un futur campus de l’Université McGill. Selon les mères Mohawks, le site du projet Nouveau Vic abriterait des tombes non marquées d’enfants autochtones, victimes des expériences du Dr Cameroun dans les années 1950 et 1960.

Au terme de près de deux mois de procès, le juge Moore avait rendu un jugement qualifié d’« historique (tdlr) » par les mères Mohawks, ordonnant l’arrêt des travaux sur le site du RVH et invitant les partis à déterminer un « plan archéologique approprié ».

L’injonction interlocutoire – consistant en une décision temporaire de la cour devant permettre aux deux parties de parvenir à un accord – repose sur quatre piliers : l’apparence de droit, des dommages irréparables, l’urgence de la situation et la balance des inconvénients. Cette dernière, accordée par le juge aux mères Mohawks, ordonnait l’arrêt immédiat des travaux d’excavation sur le site du Nouveau Vic, qui avaient commencé deux jours avant la tenue du procès, « jusqu’à ce que les parties aient terminé les discussions, entreprises dans un esprit de réconciliation, concernant les recherches archéologiques qui doivent être effectuées ».

Le jugement du 27 octobre reconnaissait que « les meilleures pratiques archéologiques incluent le principe que toute action visant à localiser les enfants autochtones disparus doit être menée par les communautés autochtones », répondant aux demandes des mères Mohawks de conduire le travail de fouille.

Le jugement précisait aussi que les parties peuvent demander la révocation de la présente injonction lorsque le plan archéologique aura été établi, sans toutefois en préciser la nature.

Les demandes de McGill et de la SQI

Après sept rencontres depuis le jugement d’octobre dernier avec les mères Mohawks en dehors de la Cour pour négocier les termes d’un plan archéologique, McGill et la SQI ont toutes deux déposé le 10 février dernier une demande pour lever l’interdiction d’excaver. Dans leurs demandes respectives, McGill et la SQI adressent les changements supposés dans la situation depuis le jugement, qui favorisent désormais leurs positions. Ils allèguent que « l’ordonnance de sauvegarde a rempli son objectif de permettre une discussion ouverte et une négociation entre les parties », mais qu’elle « n’a malheureusement pas mené à un accord malgré les meilleurs efforts des Défenderesses [McGill et la SQI, ndlr] ». Le Délit a eu accès à ces documents.

« Selon McGill : “Il n’existe aucune preuve que le site du projet Nouveau Vic soit une scène de crime”. Cette déclaration fait fi des 141 pièces réunies par les mères Mohawks […] appuyant leur position »

Dans sa demande de levée de l’ordonnance de sauvegarde, McGill affirme que la situation a changé depuis le jugement du 27 octobre, avançant que la prolongation de l’ordonnance de sauvegarde créerait une situation où les plaintifs disposeraient d’un « droit de veto illimité » pour imposer leur vision de la conduite des fouilles, que l’Université qualifie d’« unilatérale ». De plus, McGill conteste les allégations avancées par les mères Mohawks durant le procès, que l’Université considère « sans fondements ». Selon McGill : « Il n’existe aucune preuve que le site du projet Nouveau Vic soit une scène de crime. » Cette déclaration fait fi des 141 pièces réunies par les mères Mohawks en amont du procès, et des trois déclarations sous serment appuyant leur position. De son côté, la SQI, société en charge du redéveloppement du projet Nouveau Vic, avance que le maintien de l’ordonnance de sauvegarde aurait pour conséquence « le gaspillage de fonds publics ».

Selon McGill et la SQI, la prolongation de l’interdiction d’excaver mettrait en péril la viabilité du projet Nouveau Vic : elles défendent que « l’ordonnance de sauvegarde pourrait arrêter complètement le redéveloppement du Site », et causerait de « réels préjudices immédiats qui entraîneraient des délais supplémentaires et potentiellement l’abandon total du projet Nouveau Vic ».

L’Université et la SQI affirment avoir – dans un esprit de « collaboration et de Réconciliation » – « grandement amélioré leur approche concernant les travaux archéologiques » et avoir soumis « une proposition qui favorise l’utilisation des techniques les moins invasives » conformément au jugement d’octobre dernier. Elles rejettent cependant l’usage de chiens renifleurs et les demandes des mères Mohawks de réaliser un travail de cueillette de témoignages et d’archives en amont des fouilles, dénonçant le manque d’échéances qui pourrait compromettre l’avenir du Nouveau Vic. Dans leurs demandes respectives, McGill et la SQI précisent aussi ne pas pouvoir parvenir à un accord sur l’implication des mères Mohawks dans la surveillance des lieux et la direction des fouilles. Ces revendications des mères Mohawks sont pourtant inscrites dans les recommandations de l’Association canadienne d’archéologie et du rapport final sur la vérité et la Réconciliation : « Les efforts pour localiser les enfants disparus doivent être menés par les autochtones et suivre les autorisations et les protocoles des communautés autochtones. »

« “Pardon est un mot vide de sens”, […]“il n’y a pas de mot pour dire pardon dans notre langue. Tu dois faire en sorte de changer les choses, tu ne dis pas seulement pardon” »

En s’opposant aux demandes des mères Mohawks de mener elles-mêmes les fouilles archéologiques, McGill et la SQI rejettent les recommandations officielles pour la recherche de tombes non marquées à proximité des pensionnats autochtones, prétendant qu’« il n’y a aucune preuve démontrant un lien entre l’hôpital Royal Victoria et des pensionnats autochtones » et que le risque de découvrir des sépultures anonymes sur le site est « faible, voir inexistant ».

« Vous avez la responsabilité de savoir »

Au cours de la table ronde du 8 mars organisée par l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) à l’occasion de la Journée internationale des femmes, les mères Mohawks ont présenté leur vision de la Réconciliation et leur combat à la communauté mcgilloise. Elles ont insisté sur la nature de ce dernier, qui ne s’apparente pas à de l’activisme ou du militantisme, mais à un devoir inné qui leur incombe : « Ce n’est pas de l’activisme, c’est de la survie », « nous sommes toujours en guerre, tous les jours, et les gens ne s’en rendent pas compte. » Il s’agit selon elles d’une « responsabilité vis-à-vis de la terre et des générations à venir » qui leur revient en tant que kanien’kehá:ka kahnistensera, et qui leur dicte leur combat pour « découvrir les tombes non marquées de [leurs, ndlr] enfants, afin de leur offrir une cérémonie et un enterrement appropriés ».

À l’occasion de cette table ronde, qui s’est déroulée en présence de Line Thibault, avocate générale et directrice du service juridique de l’Université, les mères Mohawks ont livré leur vision de la Réconciliation, sans toutefois aborder les négociations qui se poursuivent avec McGill et la SQI. Selon elles, « pardon est un mot vide de sens », précisant qu’« il n’y a pas de mot pour dire pardon dans notre langue. Tu dois faire en sorte de changer les choses, tu ne dis pas seulement pardon ».

Les mères Mohawks ont profité de l’occasion à McGill pour interpeller la communauté étudiante : « Vous avez la responsabilité de savoir », « nous sommes toujours victimes d’un génocide. » Elles ont également souligné que « les gens ont peur d’en entendre parler, de découvrir l’affreuse vérité ». Kahentinetha, l’une des aînées Mohawks a alors posé une question qui s’adresse à tous : « Qu’allez-vous faire face à la situation ? Allez-vous rester muets ? » Kwetiio, une autre mère Mohawk, a précisé : « Si vous ne ne faites pas partie de la solution, vous faites partie du problème. »

L’avenir de l’injonction interlocutoire

Contactées par Le Délit, les mères Mohawks nous ont confié : « Nous ne pouvons pas parler des négociations car nous espérons toujours pouvoir arriver à un accord en dehors de la Cour, sans avoir à prolonger l’injonction. » Elles nous ont toutefois affirmé : « Nous pensons qu’il est essentiel que les meilleurs pratiques archéologiques soient utilisées pour s’assurer qu’aucune tombe non marquée ou artéfacts de nos ancêtres ne soient détruits par des excavations et démolitions sur le site. »

De son côté, McGill, par l’intermédiaire de l’agente des relations avec les médias, Frédérique Mazerolle, nous a assuré que « l’Université reste engagée dans des discussions de bonne foi avec les mères Mohawks dans l’espoir de parvenir à une résolution sur la question concernée ». Cependant, Mme Mazerolle a précisé que « si une telle résolution n’est pas atteinte, l’affaire se poursuivra devant le tribunal étant donné que l’ordonnance émise par le juge Moore le 27 octobre 2022 est en vigueur pour une période de six mois ».

« Les mères Mohawks ont profité de l’occasion à McGill pour interpeller la communauté étudiante : “Vous avez la responsabilité de savoir”, “nous sommes toujours victimes d’un génocide” »

Les parties auront l’occasion de parvenir à un accord lors d’une conférence de règlement à l’amiable qui se tiendra le 22 mars prochain. Si aucun terrain d’entente n’est trouvé, les demandes de McGill et de la SQI seront examinées le 26 avril prochain par le juge Moore, qui décidera de lever ou prolonger l’injonction interlocutoire.

Voir aussi :

Victoire historique pour les Mères Mohawks devant la Cour supérieure – Le Délit (delitfrancais​.com)

Des tombes autochtones non marquées sur le campus de McGill ? – Le Délit (delitfrancais​.com)



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