« Les jeunes lisent moins qu’avant ». Bon nombre d’entre nous avons déjà entendu cette phrase réductrice nous être adressée par les générations plus âgées lors d’un repas de famille ou au détour d’une discussion. D’ailleurs, il n’a pas été très difficile de trouver des articles ou entrevues alarmistes sur le sujet lorsque j’ai entamé mes recherches. Mais peut-on réellement dire que les jeunes lisent moins qu’avant ? En réalité, ne lisent-ils pas sous des formats plus diversifiés que les décennies précédentes ?
Des études plus modérées
La lecture de livres en version papier occupe toujours une place importante chez les jeunes. L’Enquête sur les pratiques culturelles du Québec (EPC) effectuée par le gouvernement sur un échantillon de la population québécoise entre 1979 et 2014 permet de poser des chiffres sur l’évolution de la lecture. En 2004, 54% des 15 à 24 ans considèrent lire des livres papiers « très souvent » (au moins une fois par semaine) et « assez souvent » (une fois par mois) et que 46% lisent « rarement » (quelques fois dans l’année) ou « jamais » de livres. 10 ans plus tard, en 2014, 66,9% des 15 à 24 ans considèrent lire au moins un livre papier entre une fois par semaine et une fois par mois et 33,1% ne lisent qu’une fois par an ou jamais de livres. Au cours de la décennie étudiée, les chiffres de cette enquête vont à l’encontre de ce que nous avons eu l’habitude d’entendre puisqu’ils sont en hausse plutôt qu’en baisse. Néanmoins, si l’EPC permet une étude des pratiques culturelles des Québécois sur plus de trois décennies, ses résultats sont à prendre à la légère. Sa méthodologie d’étude et d’échantillonnage par entretiens téléphoniques demeure limitée car elle n’a pas suivi l’évolution du marché culturel au cours du temps, c’est-à-dire la multiplication d’institutions culturelles et des moyens de production davantage tournés vers les données économiques. De plus, la dernière enquête datant de presque 10 ans, il nous est difficile de juger les pratiques plus récentes de la lecture au sein de la jeunesse québécoise.
« En 2014, 66,9% des 15 à 24 ans considèrent lire au moins un livre papier entre une fois par semaine et une fois par mois et 33,1% ne lisent qu’une fois par an ou jamais de livres »
En France, le Centre national du livre (CNL), qui effectue une enquête tous les deux ans, offre des chiffres plus récents. Les résultats collectés sont proches de ceux de l’EPC puisqu’en 2021, 80% des français de 15 à 24 ans se déclarent lecteurs (pour 80,2% au Québec en 2014). Et si le chiffre est en effet en baisse comparé à 2019 où il s’élevait à 92%, le CNL rappelle que 2021 était une année particulière en raison du confinement. Sa recherche publiée en 2022, intitulée « Les jeunes Français et la lecture », a d’ailleurs permis de montrer que même si un tiers des jeunes affirment avoir lu davantage pendant le confinement, ce dernier a grandement profité aux écrans, en particulier pour les 20 à 25 ans, étudiants ou dans la vie active qui devaient travailler à distance. À travers les écrans, ce sont aussi des grandes entreprises, comme Netflix ou Facebook, qui ont profité du confinement. Si l’un des freins à la lecture est le manque de temps, en particulier pour les étudiants, comme le soulignent l’EPC et le CNL, ce sont aussi les activités liées à Internet qui la limitent.
« Si l’un des freins à la lecture est le manque de temps, en particulier pour les étudiants, comme le soulignent l’EPC et le CNL, ce sont aussi les activités liées à Internet qui la limitent »
Des nouvelles formes de littérature
Il est vrai qu’Internet a eu un impact sur la quantité de livres papiers que nous lisons. Comme le montre l’enquête du CNL, pour la majorité des jeunes, lorsqu’il est question d’occuper notre temps libre, ce sont la télévision ou le téléphone, et à travers lui les réseaux sociaux, qui l’emportent. Ces derniers sont en particulier la cause d’une baisse de l’attention chez leurs usagers, comme sur TikTok, où les vidéos de plus d’une minute sont souvent considérées comme trop longues, ce qui impacte grandement la pratique de la lecture. Désormais, la moindre notification entraîne une perte d’intérêt pour le livre entre nos mains. Néanmoins, Internet n’a pas eu que des points négatifs. En effet, il a permis l’apparition de nouvelles formes de lecture, dont l’appartenance à la littérature est encore discutée, comme les fanfictions. Pour rappel, les fanfictions sont des récits fictionnels écrits par des adeptes de personnages ou de situations issues de films, de livres, de séries ou de la réalité. Ces dernières années, de nombreuses fanfictions populaires sur Internet ont été publiées en format papier comme la trilogie Cinquantes nuances d’E.L. James, inspirée de l’univers de Twilight, ou la série de livres After d’Anna Todd, dont le physique du personnage principal est inspiré du chanteur Harry Styles. Ces deux exemples sont les plus connus, mais il en existe de nombreux autres qui montrent qu’avec l’arrivée d’Internet et de la technologie, le genre de la fanfiction prend davantage de place sur la scène littéraire.
« Une très grande majorité des jeunes aiment toujours lire puisque le CNL dévoile qu’en 2021, 84% d’entre eux aiment ou adorent la lecture »
Les récits sont à la fois plus accessibles – notamment en raison de leur gratuité – mais aussi parce qu’ils se trouvent sur nos téléphones sur des applications comme Wattpad ou sur des sites tels que Fanfiction.net ou Archive of Our Own. Ils offrent aussi une visibilité à un grand nombre de petits écrivains ainsi qu’un accès simplifié à des histoires qui correspondent à nos goûts, dans lesquelles nous pouvons retrouver des célébrités ou des personnages fictifs que nous apprécions. Si Internet a contribué à l’apparition de ce nouveau type d’écriture, il a aussi permis de promouvoir la littérature dite plus « classique ». En effet, les réseaux sociaux regroupent une véritable communauté de lecteurs qui échangent et se conseillent entre eux à travers des comptes Instagram, TikTok ou encore Youtube. Cette pratique s’est accélérée pendant le confinement et, désormais, il n’est pas rare de croiser un rayon « phénomènes TikTok » dans les librairies. D’ailleurs, l’enquête du CNL précise qu’Internet est un véritable critère d’influence chez les étudiants français, puisque 46% d’entre eux révèlent avoir une préférence pour un livre après en avoir entendu parler sur la toile numérique.
Enfin, l’engouement récent pour les bandes dessinées et les mangas est souligné dans de nombreuses études, notamment celle du CNL. Ces derniers l’emportent sur tous les autres genres, étant les livres les plus lus à 73% chez les 7–19 ans et 47% chez les 20–25 ans, même si pour cette dernière tranche d’âge, le roman arrive toujours bien en tête. Ils deviennent des genres phares de la littérature jeunesse, mais sont régulièrement peu et mal considérés par les générations plus âgées, qui refusent de les faire entrer dans la définition de littérature et estiment que les jeunes ne lisent pas réellement à travers ces oeuvres-là.
Ainsi, s’il existe bel et bien une baisse du nombre de jeunes lecteurs ces dernières années, en particulier en raison de l’apparition d’autres manières d’occuper son temps libre comme les jeux vidéo ou les séries, on peut difficilement s’en alarmer. Une très grande majorité des jeunes aiment toujours lire puisque le CNL dévoile qu’en 2021, 84% d’entre eux aiment ou adorent la lecture, ce chiffre étant même en augmentation chez les 7 à 19 ans depuis la précédente enquête en 2016 où il était à 77%, ce qui pourrait s’expliquer par l’apparition de formes nouvelles et diversifiées de littérature. Et si les jeunes lisent moins de livres papiers, cela ne signifie pas qu’ils ne lisent plus. Internet et les réseaux sociaux, généralement désignés comme les principaux responsables de cette baisse, sont aussi des vecteurs d’échanges et de découvertes littéraires.