Cette semaine, Au Féminin s’est entretenu avec Marie-Claire Cousineau et Isabelle Bélanger-Southey, deux violonistes inspirantes qui joueront dimanche prochain, le 26 mars à 16 heures à l’église Saint-Pierre Apôtre, une pièce d’Eugène Ysaÿe, rarement interprétée dans le monde étant donné son niveau de difficulté élevé. Elles nous parlent de musique, mais aussi de féminité et de leur expérience en tant qu’enseignantes à l’école Les Petits Violons fondée par le père de Marie-Claire Cousineau. Une école qui vise à accompagner les élèves et à leur apprendre à jouer ensemble, plutôt que de les mettre en compétition.
Le Délit (LD) : Pouvez-vous vous présenter brièvement et résumer votre parcours en quelques mots ?
Marie-Claire Cousineau (MCC) : Je suis la directrice de l’école Les Petits Violons mais aussi la fille du fondateur. Quand j’étais plus jeune, le violon était mon activité préférée de la semaine, de loin. Pour autant, je ne pensais pas que j’allais devenir violoniste dès le début. Au début, j’enseignais pour donneR un coup de main, puis je suis allée à l’université étudier le violon, et tout est venu naturellement. Quand on fait de la musique classique, plusieurs portes s’ouvrent : on peut décider de faire des concours, des auditions pour être dans un orchestre symphonique, faire de la musique de chambre. J’avais décidé de faire de l’enseignement tôt, j’ai donc poursuivi dans cette voie. À côté, je suis musicienne à l’Orchestre Métropolitain.
Isabelle Bélanger-Southey (IBS) : Moi, j’ai commencé ici, aux Petits Violons, et je ne suis jamais partie. J’ai appris avec le père de Marie-Claire, Jean Cousineau, et éventuellement avec Marie-Claire. J’ai commencé à faire de l’orchestre symphonique au secondaire et je ne me suis jamais arrêtée parce que j’aime vraiment ça. Je suis allée à l’Université de Montréal étudier le violon d’interprétation, où j’ai étudié avec Yukari, la sœur de Marie-Claire, violon soliste à l’Orchestre Métropolitain de Montréal. Je n’ai pas quitté le nid ! J’enseigne aux Petits Violons depuis quelque temps et j’ai commencé récemment à jouer à l’Orchestre Métropolitain.
LD : Est-ce que jouer la sonate pour deux violons en la mineur, Op. posth. d’Eugène Ysaÿe dimanche 26 mars prochain est un accomplissement pour vous ; et si oui, en quoi ?
MCC : Oui, c’est un accomplissement parce que c’est une œuvre difficile et longue, et aucune d’entre nous ne l’a déjà jouée. Quand on prend une œuvre que l’on a jamais déchiffrée, c’est un long processus, parce qu’au-delà d’en jouer les notes, il faut décider ce que l’on veut exprimer, pour que cela nous ressemble. Pour la petite histoire de l’œuvre, elle a été composée par Eugène Ysaÿe pour une de ses élèves, qui s’avérait être la reine de Belgique et qui devait être vraiment douée parce que la sonate est très difficile. En réalité, elle l’était même un peu trop, car ils ne l’ont finalement pas jouée. Il était difficile de trouver des versions de référence, nous avons donc travaillé avec plusieurs partitions, parce qu’il y avait des erreurs dans certaines mais aussi parce que nous avons préféré des parties de différentes versions. Mais oui, c’était une grosse entreprise.
IBS : Personnellement, c’est la première fois que je me plonge dans l’univers d’Ysaÿe pour jouer une pièce. Je trouve magnifique ce qu’il fait, mais de là à le jouer en concert… C‘était un travail de longue haleine, cela fait depuis septembre qu’on se retrouve pour travailler.
LD : Pouvez-vous nous parler d’une figure de la musique que vous admirez ou qui vous a influencée ? Peut-être une femme ?
MCC : Dans mon cas, c’est certainement ma sœur, Yukari. Ma sœur est plus âgée que moi, de quatre ans, donc elle a toujours été mon idole à tous les niveaux, parce que c’est ma grande sœur tout simplement ; mais aussi parce que Yukari a réussi à faire un peu tout dans le violon, au-delà d’être violon soliste à l’Orchestre Métropolitain. J’ai eu la chance une fois de jouer à côté d’elle dans un orchestre, où elle était invitée en tant que violon solo. J’ai pu voir de près ce qu’implique le travail qu’elle fait, les choses qu’elle essaye de dire, les choses qu’elle ne dit pas mais qu’elle indique, des choses invisibles pour le public mais impressionnantes pour une violoniste.
IBS : De mon côté, Yukari a aussi été un modèle. Elle était ma professeure récemment, mais même plus jeune, j’allais voir l’Orchestre Métropolitain et je la voyais jouer sur scène. Et puis, Marie-Claire est aussi un modèle pour moi, depuis que je suis plus jeune, en tant que professeure. Puis maintenant, j’admire le travail de direction que Marie-Claire fait ainsi que son travail à l’orchestre. Il y a tellement de choses que je reçois d’elle, musicalement mais aussi dans la vie de tous les jours.
« C’était un travail de longue haleine, cela fait depuis septembre qu’on se retrouve pour travailler »
LD : Est-ce que vous pensez qu’il existe des barrières pour évoluer dans le monde de la musique en tant que femmes ? Si oui, pouvez-vous nous parler de votre expérience personnelle, d’une anecdote peut-être ?
MCC : Il y en a, c’est sûr, mais je ne suis pas sûre qu’elles soient spécifiques au monde du violon. Personnellement j’en ai peu ressenti, mais j’ai eu un parcours un peu particulier. Quand je suis arrivée dans le monde de la musique, mon chemin était déjà plus ou moins tracé car j’étais la fille du fondateur des Petits Violons. L’Orchestre Métropolitain fait aussi des efforts pour mettre au programme des œuvres de compositrices. C’est un choix qu’il faut faire pour rendre justice à toutes les œuvres de femmes qui ont été perdues à travers le temps.
IBS : Je n’ai pas non plus beaucoup ressenti cela. À Montréal, les barrières sont plus subtiles. Par contre, j’ai eu des discussions avec des amies qui me parlaient des barrières physiques de performance. Je vis avec des instrumentistes qui, à certaines périodes du mois, perdent complètement leur soutien de respiration, qui est à la base de leur instrument. Il faut compenser, parvenir à être la meilleure même lorsque certaines de nos capacités sont altérées, et cela demande plus d’efforts.
« C’est un choix qu’il faut faire pour rendre justice à toutes les œuvres de femmes qui ont été perdues à travers le temps »
LD : Pensez-vous que votre identité de femme influence la façon dont vous faites de la musique ? Et d’une façon plus générale, quels sont les éléments de votre vie qui vous inspirent et ont forgé votre sensibilité musicale ?
MCC : Je n’ai pas envie de rentrer dans le cliché de la sensibilité féminine. D’une façon générale, il y a des moments dans nos vies où nous sommes plus ou moins émotives, et parfois nous jouons quelque chose et avons accès à des sentiments différents. Si on est ouvert à ce que cela nous inspire, cela peut modifier notre façon de jouer et être une grande richesse. Pour ce qui est de mon travail d’enseignante, avoir eu des enfants a profondément changé ma compréhension des enfants ; après, j’ai eu beaucoup plus de facilité à communiquer avec mes élèves.
IBS : Je pense que cela s’exprime plus dans l’enseignement, c’est vrai. Il me semble qu’en tant que femmes, nous sommes plus habituées à être entourées, à nous soutenir dans notre vie en général. J’ai l’impression que cela rend plus facile la création de liens avec les élèves, quel que soit leur genre. C’est une généralité, mais je pense avoir plus de facilité à construire une relation proche, de confiance, avec les élèves. On parle beaucoup ces dernières années des hommes qui se sentent isolés parce qu’on ne leur a pas appris à construire autour d’eux un réseau assez fort et sincère, parce qu’on leur apprend moins à se confier, parce qu’il faut être « fort ». Ici, tout le monde peut trouver sa place, sans prise en compte de son genre, on voit évoluer et on accompagne tout le monde individuellement.
Vous pouvez aller voir Marie-Claire Cousineau et Isabelle Bélanger-Southey dimanche à l’église Saint-Pierre Apôtre à 16 heures jouer la merveilleuse et intrigante pièce d’Eugène Ysaÿe. L’entrée est libre et gratuite.