Sur la scène scientifique internationale, les phéromones sont encore aujourd’hui un sujet qui soulève des débats. Bien que leur existence et leurs effets soient largement acceptés au sein du règne animal, leur rôle chez les êtres humains reste hautement contesté. Le Délit a choisi d’investiguer la perception des phéromones chez la communauté étudiante mcgilloise dans le cadre de son édition sur la sexualité : le journal a rencontré un étudiant de l’Université, Alexandre, qui a témoigné de son expérience avec « le mystère des phéromones », et un professeur de l’Université McGill, Dr David Morris, qui nous a partagé son expertise dans le domaine afin de nous aider à naviguer ce débat.
À la suite d’un bref sondage mené sur le campus mcgillois cette semaine, deux conclusions sautent aux yeux : bien que la plupart des étudiant·e·s de l’Université McGill ignorent ce que sont les phéromones, ils·elles semblent pourtant enclin·e·s à croire en leur existence. En effet, la grande majorité des étudiant·e·s interpellé·e·s se positionnent en faveur de l’existence des phéromones chez les humains – certain·e·s disant même en avoir vécu les effets. Toutefois, l’étude scientifique du phénomène est loin de confirmer l’intuition de la population étudiante.
Les phéromones : sujet controversé
Chez les animaux et les insectes, les phéromones sont des sécrétions chimiques qui permettent une communication entre les membres d’une même espèce. Les phéromones jouent ainsi un rôle non seulement dans la reproduction, mais aussi sur le plan des communications intraspécifiques pour la défense, la préservation, le pistage et de nombreuses autres fonctions. Selon le biologiste Tristram D. Wyatt, enseignant au sein du département de zoologie de l’Université Oxford, les phéromones sont des facteurs clés de la sélection sexuelle puisqu’ils jouent le rôle d’indicateurs de santé, de la génétique et du statut reproductif entre les membres d’une espèce. Ils participent donc activement au processus de reproduction, en initiant l’attraction entre deux possibles partenaires.
Bien que leur influence chez les animaux fasse consensus au sein du milieu scientifique, l’influence des phéromones chez les humains demeure un mystère. Les êtres humains, étant des mammifères, devraient être soumis au pouvoir des phéromones au même titre que les autres espèces. Selon le chimiste Normand Voyer, chez les hommes, ce sont les glandes auxiliaires situées au niveau des aisselles qui seraient le centre de production et d’émanation des phéromones. Pour les femmes, ce serait au niveau de l’entrejambe que les phéromones seraient libérées. Toutefois, il rappelle que l’obsession de l’être humain moderne avec l’hygiène aurait pu nous « désensibiliser aux phéromones ». À la lumière des circonstances, peut-on donc affirmer avec certitude que les humains produisent des phéromones, ou même qu’ils sont réceptifs à leurs effets ?
Pseudoscience de l’attraction
Le Délit a demandé l’avis de Dr David Morris, professeur agrégé de la Faculté de Médecine spécialisé en endocrinologie, de mettre en évidence ce qui est actuellement connu des phéromones et de leur possible impact sur la sexualité humaine. Selon lui, « les preuves concernant le rôle de l’odorat dans les relations entre humains sont pas convaincantes (tldr) ».
Selon Dr Morris, « chez les humains, la plupart des études ont été concentrées sur le contenu de la sueur axillaire – principalement ce qui produit l’odeur lorsqu’on sue des aisselles -, les stéroïdes nommées 16-androstènes, le plus commun étant l’androstadienone, qui est hautement concentrée dans la sueur des hommes. Certaines études controversées ont suggéré que cette substance pouvait rehausser l’humeur et augmenter le désir sexuel. D’autres études ont associé les phéromones avec la sélection de partenaires sexuels en fonction de facteurs génétiques prédéterminés (tldr) ». Il est possible que les études auxquelles Dr Morris fait référence expliquent ces moments d’attraction inexplicables entre deux individus qui n’auraient jamais prédit ce genre d’attirance. Toutefois, Dr Morris met l’accent sur le manque d’études crédibles au sujet des phéromones chez les humains.
Odeurs de faux-semblants
Alexandre, un étudiant en physiologie à l’Université McGill, a accepté de témoigner sur son expérience avec les phéromones. Bien qu’il soit réticent à se prononcer définitivement sur la question de l’existence des phéromones chez les humains, Alexandre se dit être « plutôt neutre sur la question des phéromones » : « J’ai étudié dans le domaine des sciences et dans plusieurs de mes cours, notamment en endocrinologie, j’ai été amené à étudier les hormones et les phéromones des mammifères, de certains mollusques et des insectes. J’ai pu y voir à quel point les phéromones affectaient le comportement de ces derniers. Toutefois, comme je l’ai vu dans mes cours, les phéromones demeurent un mystère en ce qui a trait à leurs effets sur les êtres humains. On n’est pas définitif sur la production de phéromones chez les humains, ni sur notre réceptivité à leurs effets. C’est réellement un mystère. »
Alexandre, malgré ses réserves, a tout de même tenu à partager ses expériences avec les phéromones : « En effet, il y a eu des instances où j’ai pu croire que les phéromones avaient un effet sur moi. Malgré tout, je ne sais pas si c’était réellement leur effet ou si ce n’était pas simplement l’odeur de la transpiration ou celle de la personne, parce que les deux sont dissociables et que j’ai de la difficulté à identifier laquelle des deux me faisait effet. Dans le passé, j’ai été en couple avec un homme, et on s’était entendu mutuellement pour ne pas porter de déodorant parce que les secrétions corporelles de l’un et de l’autre nous excitaient beaucoup. […] Il y a beaucoup de fétichismes et de pratiques sexuelles qui sont basés justement sur les odeurs corporelles, et même les odeurs déplaisantes comme celles des pieds. Dans des contextes sexuels particuliers, ces odeurs vont avoir une incidence sur le niveau d’excitation du partenaire ». La question persiste : les humains sont-ils réceptifs aux phéromones, ou n’ont-ils en réalité aucun effet sur les humains ?
« Dans le passé, j’ai été en couple avec un homme, et on s’était entendu mutuellement pour ne pas porter de déodorant parce que les secrétions corporelles de l’un et de l’autre nous excitaient beaucoup »
Alexandre, étudiant en physiologie à McGill
Un attrape-nigaud ?
Récemment, les phéromones ont gagné en popularité sur des plateformes comme TikTok, où on vantait leurs mérites en ce qui a trait à l’attraction du sexe opposé. Ces utilisateurs faisaient la promotion de produits contenant supposément des phéromones, et qui, conséquemment, devaient avoir l’effet d’augmenter le niveau d’attrait des individus les utilisant. Ceci étant dit, la vente d’huiles aphrodisiaques ou de parfums qui contiendraient des phéromones n’est pas régulée et n’a pas produit de résultats concluants quant à ses prétentions. Dr Morris mentionnait d’ailleurs au Délit le manque de preuves scientifiques appuyant la commercialisation des phéromones.
Selon Alexandre, « il est ridicule de capitaliser sur le mystère. La création de produits autour de ce genre de mystères scientifiques, en les vendant parce [que les phéromones, ndlr] auraient potentiellement un effet chez les humains qui en feraient usage, contribue à un schème dangereux et impertinent. » Il compare la commercialisation des phéromones à celle du CBD ou celle du safran, qui aurait potentiellement des bienfaits pour la digestion, ou encore à la distribution commerciale de remèdes homéopathiques, tous des produits qui sont vendus à la population sans réels fondements scientifiques. Il mentionne que bien que ces « remèdes miracles » réussissent parfois à provoquer des effets perceptibles pour le·la consommateur·rice, ils sont trop souvent le fruit de l’effet placebo. Il est donc tout naturel qu’on se questionne sur les implications de l’ignorance – ou de la crédulité – de certain·e·s quand il en vient aux pseudosciences et à leur mise en marché.
Mythe ou réalité scientifique ?
En ce qui a trait à la question des phéromones et à leur ésotérisme, Alexandre a confié au Délit : « J’aimerais bien avoir une réponse définitive. En fait, je ne sais pas si je voudrais la connaître parce qu’il y a des mystères qu’on aime ne pas percer. Si on en venait à se positionner catégoriquement sur la question et qu’on jugeait que les phéromones n’existent pas, ça me décevrait un peu. » Comme Alexandre le souligne, il y a des questions qui gagnent à rester sans réponse, puisqu’elles peuvent ainsi garder leur magie. Sachant que l’étude des phéromones est encore récente, nous pouvons espérer qu’un jour, une réponse nous soit donnée concernant le fondement de leur existence chez les humains – ou un possible démenti des théories existantes proposant leur effet sur l’Humain. Pour l’instant, nous devrons nous contenter de la magie des phéromones.