À l’affiche depuis le 31 mars dernier, le documentaire 2012/Dans le cœur retrace les événements majeurs des grèves étudiantes contre le Plan Nord, initiative minière dans des territoires autochtones, proposée par le gouvernement de Jean Charest. Les images offrent un tableau cru des violences policières et des propagandes médiatiques déployées pour minimiser et faire taire les revendications de milliers d’étudiants québécois. Le Délit a rencontré l’un des coréalisateurs du film, Arnaud Valade, afin qu’il réponde à nos questions quant au processus de création de cette œuvre commémorative.
Le Délit (LD) : En guise d’introduction, pouvez-vous me dire comment vous avez vécu les grèves étudiantes de 2012 ?
Arnaud Valade (AV) : En 2012, j’avais 16 ans, j’étais en secondaire 5. Mon frère, Maxence, et ma sœur étaient déjà très impliqués dans l’organisation des luttes étudiantes depuis 2011. Quand la grève s’est généralisée dans les milieux universitaires, il y a eu un appel dans les écoles secondaires pour également se mettre en grève. C’était illégal de le faire. On s’est réunis, puis on a organisé un petit mouvement de grève sauvage dans les écoles secondaires. À ma première manifestation, j’ai fait l’expérience de la répression, de la violence policière. Comme beaucoup de monde le disait à l’époque, on est tous devenus anarchistes en trois semaines.
LD : Comment est né le projet du film ?
AV : C’est un projet qui a un embryon depuis 2015. Rodrigue Jean, le coréalisateur, voulait filmer un essai cinématographique sur ce qu’il s’est passé à Victoriaville, en mai 2012. Mais il y a eu beaucoup de réticence dans le financement de cette idée, alors, pendant un moment, on l’a mise de côté, jusqu’en début de l’année 2021, où Rodrigue et moi, on avait envie de reprendre le projet, pour commémorer les 10 ans. Pour nous, l’impor- tant c’était de marquer la mémoire de ce mouvement du côté des gens qui s’organisaient à l’époque, du côté militant. Le but du film n’était pas nécessairement d’avoir un regard nostalgique vers le passé, mais plutôt d’actualiser le mouvement et de continuer l’écriture de l’histoire de luttes et mouvement sociaux du Québec. Notre but était de montrer comment – malgré la très grande diversité du groupe, nous étions majoritairement des étudiants blancs et privilégiés – faisions l’expérience de la violence policière pour la première fois et étions désignés comme ennemis du pouvoir.
« Le but du film n’était pas d’avoir un regard nostalgique vers le passé, mais de continuer l’écriture de l’histoire de luttes »
LD : Le film est composé d’une série de vidéos prises par les différents acteurs de la grève de 2012 : des vidéos télévisées par Radio-Canada, des vidéos prises par les hommes politiques québécois, et les nombreuses vidéos des étudiants grévistes. Quel a été votre processus pour faire de toutes ces images un collage cinématographique ?
AV : On avait grappillé à droite et à gauche toutes les images des gens qui étaient présents pendant les rassemblements majeurs, au Palais des Congrès en mars, et à Victoriaville en mai, pour écrire un film qui allait démentir les communiqués qui avaient été faits par la police et relayés par les médias. Il y avait déjà un petit bassin de vidéos connues sur les réseaux, et à partir de celles-là, on a essayé de contacter les personnes qui avaient filmé, ou qui avaient été filmées, pour leur demander si elles n’avaient pas davantage d’images. On se demandait « C’est qui cette personne ? Est-ce qu’elle existe encore ? Est-ce qu’elle a encore ces images ? » On a écrit à des dizaines et des dizaines de personnes pour avoir de l’info. Finalement, on a retrouvé les gens et leurs images.
LD : Avec la voix narrative de Safia Nolin, la musique est un fil conducteur dans le déroulement du film. Pouvez-vous me parler davantage de la création de cette musique et de son rôle dans le film ?
AV : C’est un bon ami à moi qui s’appelle Jacob Desjardins, qui a composé la musique. On avait une sensibi- lité commune, car lui aussi a été très investi dans la grève de 2012 : il était très touché par notre projet et les images. Il utilise des synthétiseurs modulaires pour modifier les ondes sonores. C’est un travail d’artisan de jouer avec la matière première des ondes acoustiques. Il a composé pendant toute la durée du montage, en parallèle avec la réalisation du film. Nous, ce qu’on voulait, c’était quelque chose d’ambivalent, qui viendrait appuyer et accompagner les images, sans trop les connoter.
LD : Quel est l’effet espéré de votre film sur le public ?
AV : Le film s’adresse à la jeunesse d’aujourd’hui, qui n’a pas vécu cette grève : je veux lui montrer ce dont les étudiants étaient capables à l’époque en s’organisant en groupes révolutionnaires. Mais il s’adresse également aux gens qui l’ont vécue de près ou loin en 2012, pour remercier ceux qui y ont participé et ceux qui ont été blessés émotionnellement, économiquement et physiquement par cet engagement social. Il y a des personnes qui traînent encore ça sur le dos, des blessés dont on n’a jamais parlé, qui portent encore de graves blessures aujourd’hui. Pour nous, ce film est une garantie que la mémoire de ces gens-là n’est pas perdue, parce que ce sont eux qui ont porté à bout de bras le mouvement. Le film est à leur honneur.