Cette semaine au Délit, nous mettons la sexualité à l’honneur en lui dédiant une édition entière. Part importante de la vie humaine et animale, la sexualité ne se limite pas à la reproduction. En réalité, le terme est vaste et englobe une multitude d’aspects de notre vie comme notre identité, notre orientation sexuelle, nos fantasmes ou nos croyances. La dimension socioculturelle de la sexualité a autant d’importance, voire plus, que son aspect biologique, en particulier à notre époque. Il semble que les nouvelles générations se soient émancipées de l’impératif de la reproduction et des croyances concernant les rapports intimes : elles se sont ouvertes à d’autres fantasmes, désirs et orientations sexuelles, en bref, au plaisir intime tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Il est important de souligner que nous parlons ici des nouvelles générations dont la sexualité serait moins influencée par des facteurs comme la religion ou la politique. Nous ne devons pas oublier que notre vision de la sexualité n’est pas forcément celle des autres, et dépend d’une foule de facteurs individuels et collectifs influencés par l’environnement dans lequel nous avons grandi. Établir une nette distinction entre la dimension socioculturelle de la sexualité et son aspect biologique, notamment lié à la reproduction, nous empêcherait de rendre compte du phénomène de l’influence réciproque qui unit les besoins sexuels innés de l’humain et ses fantasmes, qui sont en partie construits socialement.
Est-ce que les fantasmes se sont vraiment émancipé ? Selon une étude, la génération Z, incluant toute personne née entre 1996 et 2012 environ, serait plus ouverte et inclusive que les générations précédentes en ce qui concerne l’identité individuelle. Elle serait davantage respectueuse et compréhensive des membres de la communauté LGBTQIA+, ce qui transparaît par exemple dans l’émergence de mouvements de lutte pour les droits de cette communauté, ayant notamment permis de réduire au nombre de 67 les pays dans lesquels les relations homosexuelles sont criminalisées. D’après une enquête de 2021 menée par l’entreprise française de sondages Ipsos, la génération Z serait un pourcentage plus important ayant une orientation sexuelle autre qu’hétérosexuelle comparativement aux générations précédentes. Mais si la génération Z est véritablement plus ouverte dans ses valeurs, ses pratiques et son plaisir intime, comment expliquer qu’elle soit plus abstinente que les générations précédentes ? Pourquoi le pourcentage d’adolescents ne pratiquant pas d’activité sexuelle est passé de 28.8% à 44.2% pour les hommes et de 49.5% à 74% pour les femmes entre 2009 et 2018 ?
Parmi les causes principales de cette abstinence, le visionnage de pornographie pourrait être cité comme inhibiteur. Cette dernière s’est largement transformée et développée depuis l’avènement d’Internet dans les années 2000, au point d’occuper une part non négligeable du net. Les recherches de contenu pornographique constituent une recherche sur huit sur ordinateur et une recherche sur cinq sur mobile, et l’un des plus gros sites pour adultes, Pornhub, aurait d’ailleurs fait l’objet de 42 milliards de visites en 2019. Dans son sondage effectué sur les étudiant·e·s du campus en 2015, le journal étudiant en ligne The Bull and Bear avait estimé que 38% des étudiant·e·s regardaient du porno plusieurs fois par semaine à une fois par jour.
La pornographie joue un rôle majeur dans la découverte des fantasmes et désirs, et donc dans la construction de l’identité sexuelle. Son visionnement n’est pas sans conséquences, d’autant plus qu’il se fait maintenant de plus en plus jeune. En 2018, 62% des adultes affirmaient avoir vu des images pornographiques pour la première fois avant l’âge de 15 ans. L’accès à ces sites est extrêmement aisé car il n’existe pas de véritable vérification de l’âge des utilisateur·rice·s ; les jeunes peuvent donc y accéder dès qu’ils ont accès à Internet, souvent très jeunes. On pourrait se demander si la banalisation des pratiques présentées dans ces vidéos peut avoir un impact sur les taux d’abstinence. Au lieu de laisser libre cours à la découverte de sa sexualité individuelle, ces vidéos ne nous inciteraient-elles pas à adhérer à des schèmes fantasmés collectivement ? On peut notamment citer des performances éloignées de la réalité, l’image de la femme soumise, les acteurs·rices intégralement épilé·e·s ou encore les hommes aux sexes surdimensionnés, qui impactent grandement la sexualité des jeunes, potentiellement incapables de séparer les films X de la réalité.
La pornographie n’est évidemment pas la seule raison justifiant une abstinence plus importante dans la génération Z. La société contemporaine est marquée par la hustle culture (culture de surperformance, tdlr), donc des emplois du temps très chargés, ainsi que l’usage accru des réseaux sociaux et autres applications – comme les plateformes de films sur demande qui priment parfois sur les relations intimes. Ainsi, depuis quelques années, les jeunes font face à une intensification du discours entourant la sexualité, cette dernière étant impactée autant positivement – par une plus grande importance accordée au consentement, une diversification de l’orientation sexuelle et une déconstruction des tabous – que plus négativement – avec le visionnement des vidéos pornographiques.