J’ai pris la pilule contraceptive pendant quatre années consécutives, de mes 15 ans à mes 19 ans. J’ai commencé à la prendre parce que j’avais un copain et que ma maman m’avait dit qu’il fallait que j’aille chez ma médecin pour me renseigner sur les moyens de contraception. Elle m’avait prescrit, avec une facilité qui paraissait rassurante à l’époque, la pilule Leeloo, que j’ai continué à prendre jusqu’à mes 18 ans. Elle m’avait parlé de potentiels effets secondaires, mais rien qui pouvait me décourager à découvrir ma vie sexuelle, avec ce que je percevais comme une liberté, loin des préservatifs. Ma maman me le disait, la pilule était une chance et les femmes s’étaient battues pour cela. Il fallait que je l’apprécie.
Les choses se sont plutôt bien passées jusqu’à ce que je me sépare de mon premier copain, j’avais 17 ans. Pendant tout ce temps, je n’ai pas eu d’effets secondaires, mais j’ai vécu une petite dizaine de fois sur deux ans l’angoisse insoutenable de se croire enceinte. À 15 ans, je n’avais pas la maturité que nécessite la régularité avec laquelle il faut prendre la pilule. J’étais tête en l’air et emplie de choses à faire et à imaginer, ce qui menait à un nombre incalculable d’oublis de ma pilule. Je pensais pouvoir gérer cette anxiété, jusqu’à ce que les choses se gâtent… J’ai toujours aimé le sexe. Ma relation à mon corps était apaisée avant d’arriver à l’université, et j’aimais entretenir des relations avec des hommes, régulièrement, avec confiance et plaisir. Quand je suis arrivée à l’Université McGill, j’avais déjà quelques problèmes de libido qui se sont aggravés, mais que je prenais pour les conséquences de traumatismes ou d’une évolution naturelle. Je ne mouillais plus, et ma libido avait grandement diminué. J’avais souvent des sauts d’humeur, comme jamais auparavant.
Ma médecin m’a prescrit une nouvelle pilule, cette fois sans œstrogènes, la principale hormone féminine, Optimizette, et tous les symptômes que je viens de vous citer se sont exacerbés. J’étais malheureuse, je n’avais plus aucun désir, mes émotions me jouaient des tours que je ne comprenais pas, et je me croyais malade. Puis, un jour, j’en ai parlé à une de mes meilleures amies à McGill, qui s’est retrouvée dans chacun de mes symptômes. J’ai commencé à en parler autour de moi et j’étais loin d’être seule. Une copine me racontait avoir vu une psychologue pendant un an à cause de sauts d’humeur écrasants, tandis qu’elle a retrouvé son fonctionnement émotionnel normal à la seconde où elle a arrêté la pilule. Mes copines me parlaient de cette « flemme » de faire l’amour depuis qu’elles prenaient la pilule, sentiment que je comprenais si bien. Cette flemme, je la vivais dans ma chair. Ce n’était plus moi. J’aimais le sexe, j’avais envie de vivre avec fougue l’intensité de ma libido, parce que j’aimais ça, parce que j’étais jeune, parce que j’aimais. Après quatre ans de vie commune avec la pilule contraceptive, je lui ai dit que c’était fini, un jeudi après-midi, en plein milieu d’une plaquette. J’avais choisi
la date avec ma meilleure amie qui arrêtait en même temps que moi, pour nous donner du courage. J’ai gardé la plaquette dans mon portefeuille quelques jours, puis finalement, j’ai tout jeté.
« Après quatre ans de vie commune avec la pilule contraceptive, je lui ai dit que cétait fini, un jeudi après-midi, en plein milieu d’une plaquette »
Cela fait maintenant plus d’un an que j’ai arrêté la pilule. Je crois que c’était une des décisions les plus courageuses de ma vie. L’une des décisions dont je suis le plus fière. Je me suis retrouvée, comme je m’étais laissée quand j’avais 15 ans. J’ai retrouvé mon corps, ses variations et ses changements au fil de mon cycle hormonal. J’ai retrouvé ma libido, le fonctionnement normal de mon vagin, mon cerveau et ma joie de vivre. J’ai dit à mon copain d’aujourd’hui que je ne mettrai plus jamais de ma vie quelque sorte d’hormones que ce soit dans mon corps. Elles étaient bannies de ma vie, pour toujours. C’était ma décision et personne ne pouvait me faire changer d’avis. Mon plaisir vaut autant que celui de mon partenaire, et à ce que je sache le préservatif n’arrête pas le désir. Il a compris, ne m’a jamais demandé quoi que ce soit, ni même fait ressentir que ça le dérangeait. Avec la pilule contraceptive, je me suis sentie contrôlée, anesthésiée, on a tenté de m’adoucir, de me faire rentrer dans une case, alors que j’étais une jeune fille amoureuse du sexe, libre et affamée. Je ne veux plus sentir ce contrôle sur mon corps, et je voudrais que l’on parle plus de l’impact de la pilule sur la libido. Non, ce n’est pas un effet sans importance, ce n’est pas parce que nous sommes des femmes que nous n’avons pas le droit de profiter de tout ce que le sexe apporte. Je sais que certains effets de la pilule se poursuivent même longtemps après. Méfiez-vous de sa taille, elle est petite certes, mais cela ne la rend pas moins dangereuse.