Le 27 mars 2023, la pilule bleue, aussi appelée Viagra, a fêté ses 25 ans. Cette pilule en forme de losange est petite, mais elle a pourtant une drôle d’histoire. Tout commence en 1998, lorsque des chercheurs du laboratoire américain Pfizer développent une pilule pour traiter les maladies cardiaques comme l’hypertension, grâce à une molécule appelée citrate de sildénafil, qui au lieu d’augmenter la circulation sanguine vers le cœur, l’augmente vers le pénis. Cette erreur a finalement été bénéfique pour des milliers de personnes.
Bénédiction scientifique…
En ce qui concerne son mécanisme d’action sur les dysfonctionnements érectiles, la molécule de sildénafil relaxe le muscle lisse du pénis et augmente ainsi l’influx de sang dans le corps caverneux, permettant au sang d’arriver plus rapidement et d’ainsi obtenir une érection plus forte. Néanmoins, le Viagra ne traite pas le désir sexuel, les problèmes d’éjaculation ou les difficultés de couple. À 15 dollars l’unité à sa sortie sur le marché, le prix a gonflé à plus de 50 dollars jusqu’en 2017, où une version générique est arrivée, faisant chuter le prix à environ un dollar le cachet. Son concurrent, le Cialis, sorti en 2011, est un médicament à base de molécule de tadalafil, qui a relativement les mêmes fonctions, favorisant la circulation sanguine dans le pénis.
Cette pilule est cependant associée à des risques, notamment sur ses effets secondaires et sa potentielle influence sur la maladie d’Alzheimer. La dose habituellement recommandée est de 50 mg, à prendre approximativement 30 minutes à une heure avant l’activité sexuelle. Le médicament peut toutefois être pris de quatre heures à 30 minutes avant l’activité sexuelle, étant donné qu’il y a un temps moyen de 27 minutes avant d’agir. Selon l’efficacité du médicament et ses effets secondaires, la dose peut être augmentée jusqu’à 100 mg, ou diminuée jusqu’à 25 mg. Néanmoins, ces pilules ont un désavantage ; les effets secondaires associés au sildénafil et au tadalafil incluent des migraines, maux de tête, des rougeurs au visage, une irritation ou congestion du nez, des problèmes de digestion, des étourdissements ou encore une modification temporaire de la perception des couleurs, encore plus si la prise du médicament est combinée à une consommation d’alcool ou de drogue. Cependant, l’utilisation du Viagra est en hausse pour les personnes consommant des drogues dures, afin de contrer les effets néfastes des drogues sur la fonction érectile, comme la cocaine, la MDMA ou le cannabis. Les consommateur·rice·s voient le médicament comme une solution pharmaceutique simple au défi de maintenir une érection, tout en utilisant des drogues.
…ou tabous de performance ?
Depuis la mise sur le marché du Viagra aux États-Unis – qui a connu un succès immédiat – 65 millions d’ordonnances ont été prescrites dans le monde. Les utilisateur·rice·s se sont jeté·e·s sur le produit dans l’espoir de démultiplier leurs performances, de faire durer leur plaisir et celui de leurs partenaires. Pour certains, l’utilisation du Viagra est synonyme de solution facile permettant de libérer la libido des individus ayant un appareil génital masculin. Toutefois, une aussi grande popularité pour la pilule bleue pourrait être symptôme d’une société qui s’accroche à la performance. La dysfonction érectile est également appelée « impuissance sexuelle » par certains – focalisant le plaisir sexuel autour d’une pénétration par un pénis. Cette pression liée aux prouesses sexuelles touche majoritairement les hommes.
Le Délit a rencontré Martin*, un jeune homme de 23 ans, pour discuter de la pression associée à l’érection masculine lors des relations sexuelles. En questionnant Martin sur cette pression, il répond avec certitude que l’anxiété et l’appréhension s’appliquent à la fois à l’érection et à la performance lors de l’expérience globale. De façon générale, la pénétration – et donc l’érection – est perçue comme la source principale de plaisir sexuel. Pour Martin, « avoir une érection n’est pas non plus la seule manière de se procurer du plaisir, mais c’est primordial ». Ce qui est projeté dans les médias et dans l’opinion sociale, c’est que le plaisir sexuel est basé sur la pénétration d’un pénis dans un vagin. De manière très crue, « il y a cette idée que – même si on sait que c’est pas la seule source de plaisir chez les femmes – ton pénis doit faire plaisir à tes partenaires sexuel·le·s· » explique Martin.
Il est déconseillé d’utiliser le Viagra chez les jeunes hommes qui ne présentent pas de problèmes d’érection, et pourtant, beaucoup de jeunes comme Martin pensent que le médicament permet d’avoir une érection plus dure et plus longue. Pfizer, l’entreprise qui produit le Viagra, a confirmé que l’âge moyen d’un utilisateur typique de ce médicament est de 53 ans, sachant que la société ne détient pas de registre pour les utilisateurs de moins de 33 ans, vu qu’ils n’expérimentent généralement pas de dysfonction érectile. Martin affirme ne pas avoir discuté de l’utilisation du Viagra avec ses amis proches, parce que « chez les hommes en général, c’est un peu tabou. C’est vu comme une forme de faiblesse de devoir recourir à cette pilule plutôt que de naturellement bander ». Si l’effet placebo du médicament peut faire monter la tension sexuelle des utilisateur·rice·s, le fait de devoir prévoir à l’avance ses rapports sexuels enlève l’aspect authentique et fougueux de ces derniers.
« Chez les hommes en général, c’est un peu tabou. C’est vu comme une forme de faiblesse de devoir recourir au Viagra plutôt que de naturellement bander »
Martin*
Et pourquoi pas une pilule rose ?
Le révolution sexuelle et médicale a pendant longtemps négligé les femmes souffrant de dysfonctionnements et de perte de libido, comme la sécheresse vaginale due à la ménopause, qui peut causer des douleurs pendant les rapports sexuels. Le Vyleesi, ce nouveau médicament améliorant la libido des femmes, est considéré comme le « Viagra féminin ». Ce produit, destiné aux femmes pré-ménopausées souffrant d’un faible désir sexuel, a été approuvé en 2019 par l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). Cependant, il est question de son efficacité réelle ainsi que des préoccupations de santé qui y sont associées. Cette innovation a été considérée comme une avancée majeure pour la santé sexuelle des femmes alors qu’un manque d’intérêt régulier et persistant pour l’activité sexuelle touche entre 6% et 10% des femmes en âge de procréer aux États-Unis. Cependant, la pilule rose a également ravivé le débat sur le rôle des médicaments dans des questions aussi complexes que le désir sexuel et la libido. Le médicament vise à réduire l’anxiété et à améliorer le désir sexuel en contrôlant les niveaux de deux neurotransmetteurs : la présence de dopamine et la libération de sérotonine, souvent appelée « l’hormone du bonheur ». Le nouveau médicament Vyleesi sera en concurrence directe avec l’Addyi, vendu par Sprout Pharmaceuticals, qui est pris sous forme de pilule quotidienne et a été approuvé par la FDA en 2015. Les utilisateur·rice·s d’Addyi affirment vouloir des effets secondaires plus doux et une action plus rapide, car la nausée a été signalée chez 40 % des sujets, souvent dans l’heure suivant l’injection de la dose, impactant ainsi le rapport sexuel.
Si le Vyleesi et l’Addyi sont surnommés « Viagra féminin », leur mécanisme est bien différent étant donné qu’il agit directement sur le cerveau. Même si certain·e·s des utilisateur·rice·s retrouvent plus de désir grâce à l’activation de neurotransmetteurs, les scientifiques avertissent qu’il ne faut pas s’attendre à un miracle et que son efficacité n’égale en aucun cas celle du Viagra.
*Nom fictif