« Un pour tous, tous pour un ! », clament en chœur Athos, Porthos, et Aramis, les mousquetaires du roi Louis XIII, accompagnés du tout jeune cadet de Gascogne, d’Artagnan. Sorti le 5 avril en France et le 28 avril au Québec, le nouveau film de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan, est toujours à l’affiche. Le réalisateur est connu pour son film Eiffel, qui retrace l’histoire de la construction du célèbre monument parisien. Avec D’Artagnan, Bourboulon se lance dans un nouveau film d’époque en proposant une nouvelle adaptation du roman appartenant aux classiques de la littérature française.
Les mousquetaires auraient-ils perdu le sens de l’humour ?
En 1898 paraissait la première adaptation en film du roman Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, réalisée par des Britanniques. Depuis, on ne compte pas moins de 46 autres films basés sur la même histoire, plus ou moins réussis, se déployant sous différentes formes, allant du cinéma muet en noir et blanc à l’extravagance hollywoodienne. Tandis que les derniers films adoptaient un ton léger et comique, cette nouvelle adaptation est plus solennelle et sérieuse. Elle suit le jeune d’Artagnan qui, dans son parcours initiatique, a l’ambition depuis toujours de devenir mousquetaire au service du roi. Son audace et son arrogance lui attirent les foudres des trois mousquetaires qui le provoquent en duel. Après cette rencontre, les quatre camarades se lient d’amitié et se laissent entraînés dans des aventures folles. Ils se retrouvent alors au cœur des intrigues politiques et amoureuses de la Cour ; alors que le cardinal de Richelieu souhaite compromettre la reine, qui a une liaison amoureuse avec le duc de Buckingham d’Angleterre, les mousquetaires et d’Artagnan se chargent de sauver son honneur. Leur mission : récupérer les ferrets que la reine a offerts au duc, avant qu’ils ne soient dérobés par la malfaisante Milady, envoyée par le cardinal. Ce vol empêcherait la reine de les porter au prochain bal, comme l’exige le roi. À l’instar du roman, les péripéties s’enchaînent et donnent un rythme effréné au film, d’une durée de deux heures. La musique épique de la bande originale, composée par Guillaume Roussel, rend le film encore plus dynamique : il est difficile de trouver le temps long ! On peut néanmoins reprocher au film la pléthore d’actions, qui nous laisse peu de temps pour assimiler chaque nouveau rebondissement et apprécier la profondeur des personnages. Ceux-ci sont interprétés par une distribution hors pair qui participe à la réussite du projet.
D’Artagnan joué par François Civil est un personnage très attachant pour son impétuosité et son courage. Il a tout du héros imparfait dans lequel on peut se reconnaître, notamment dans ses tentatives d’abord peu fructueuses de séduction de la belle Constance de Bonacieux. Les autres mousquetaires sont interprétés par Vincent Cassel, Romain Duris et Pio Marmaï. Louis Garrel est très crédible dans le rôle du roi Louis XIII au charisme timide. Finalement, Eva Green est brillante dans le rôle de la vicieuse Milady.
Si les scénaristes ont cherché à garder l’esprit de Dumas, ils se sont permis de prendre des libertés dans l’écriture pour adapter l’histoire à un public plus moderne. L’une des modifications majeures est la condamnation à mort d’Athos pour un crime qu’il n’a pas commis. Cet événement, central dans le film, motive d’Artagnan et les mousquetaires à se démener pour sauver leur ami. L’accent est ainsi mis sur l’amitié puissante des quatre hommes et nous donne envie d’appartenir à la bande. Martin Bourboulon réussit à donner un point de vue différent à l’histoire, évitant ainsi l’écueil de tomber dans une imitation des œuvres précédentes. Le travail des acteurs pour rendre le texte de Dumas plus accessible au public moderne est donc un succès.
Bourboulon a voulu d’abord refléter avec plus de réalisme le 17e siècle, en prenant en compte les enjeux politiques de l’époque. Ainsi le contexte historique et les fortes tensions religieuses sont rappelés. L’intrigue se déroule en 1627 pendant la guerre de Trente Ans, qui oppose les puissances européennes dans une lutte du pouvoir et une guerre de religion. À l’origine, il s’agissait d’un conflit entre les États allemands protestants et les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche catholiques au sein du Saint-Empire Germanique. La guerre s’est ensuite diffusée à l’ensemble du continent européen avec l’intervention de la Suède et de la France du côté des protestants, pour contrer l’hégémonie des Habsbourg. Au même moment, la France est ravagée par le clivage entre catholiques et protestants sur son territoire.
La « chasse au vrai »
Le nouveau film des trois mousquetaires se veut avant tout plus authentique. Cette aspiration a poussé le réalisateur à ne vouloir tourner que dans des décors naturels et à ne rien reproduire en studio, ce qui procure des images à couper le souffle. En effet, le riche patrimoine architectural français est encore peu exploité par le cinéma. Il offre de magnifiques décors, fidèles à l’époque du roman, comme des abbayes ou des châteaux. Pour se préparer au tournage, les acteurs ont dû apprendre à monter à cheval et à manier l’épée. Les scènes de combat ponctuent le film sans être surabondantes, et plairont à un auditoire passionné par les films d’action autant qu’aux férus d’histoire. Toujours dans cette « chasse au vrai », comme la désigne Martin Bourboulon, plusieurs scènes ont été filmées en plan séquence, c’est-à-dire sans coupure, ce qui rend les images beaucoup plus concrètes mais nécessitent une grande exigence de la part des acteurs. La caméra est derrière l’acteur et le spectateur a l’impression de participer à l’action comme dans un jeu vidéo. On s’attend à ce que les héros reçoivent un coup à n’importe quel moment, ce qui met tous nos sens en alerte !
« Ce que cherche avant tout le réalisateur, c’est d’impressionner, afin de faire revenir les gens au cinéma »
L’ambition du réalisateur était aussi de changer l’aspect visuel des trois mousquetaires. Alors qu’on avait l’habitude de les imaginer élégamment habillés, portant un chapeau avec une plume sur la tête, ils ont ici des costumes très différents. Ces derniers ont été intentionnellement salis avec de la patine afin de rendre leur apparence plus réaliste aux yeux du spectateur. À ce titre, les couleurs du film ont une teinte marron, assez sombre. À cela s’ajoute la présence de nombreux chevaux ; le réalisateur parle dans une entrevue de l’ambiance western qu’il a souhaité donner à son œuvre. Il voulait défier l’allure des mousquetaires que l’on avait l’habitude de voir à l’écran, pour les rendre plus sensuels aux yeux du monde entier.
Un cinéma dans lequel la France a toute sa légitimité
Un film d’époque, d’aventure, de capes et d’épées, les adjectifs sont nombreux pour qualifier l’œuvre de Martin Bourboulon. Ce que cherche avant tout le réalisateur, c’est d’impressionner, afin de faire revenir le public au cinéma. En effet, depuis l’essor des plateformes de diffusion en continu comme Netflix ou Crave, les salles de cinéma sont de plus en plus difficiles à remplir. Avec son budget de 36 millions d’euros, le film de Bourboulon réunissait assez de moyens pour parvenir à un rendu spectaculaire : huit mois de tournage, plus de 2000 costumes, 5200 figurants et 600 chevaux. La scène du bal masqué, filmée dans le château de Saint-Germain en Laye, est splendide. Par ailleurs, le film est très chorégraphié, notamment pendant les scènes de combat, dans lesquelles les acteurs ne sont pas remplacés par des doublures, témoignant des efforts de mise en scène et de l’ampleur du projet. De plus, peu des adaptations précédentes étaient françaises, ce qui montre la volonté du réalisateur de prouver que le cinéma français peut, lui aussi, s’exprimer de manière aussi grandiose. « C’est en tout cas un cinéma dans lequel la France a toute sa place et sa légitimité, et il n’y aurait pas de raisons objectives à ce que cet espace des grands films de divertissement, d’aventures ou de spectacles soit occupé que par des productions anglo-saxonnes et que le cinéma français n’y ait pas sa place », affirme l’acteur Vincent Cassel dans le rôle d’Athos.
Martin Bourboulon réussit à nous convaincre de nous rendre à nouveau dans les salles de cinéma pour la suite des aventures des mousquetaires dans le deuxième volet du film, pour lequel le réalisateur espère accueillir autant de succès. Il sortira en décembre et placera la mystérieuse Milady sous la lumière des projecteurs.