Le projet du Nouveau Vic, entrepris en partie par McGill dans le but de rénover et de développer l’Hôpital Royal Victoria, devait pouvoir accueillir une nouvelle infrastructure permettant la recherche, l’enseignement et l’apprentissage autour de systèmes de durabilité et de politique publique. Entamé en 2014, ce projet d’envergure représente un investissement d’un peu moins d’un milliard de dollars réparti entre McGill et le gouvernement du Québec.
En mars 2022, le collectif des mères Mohawks (Kanien’keha:ka Kahnistensera) a déposé une plainte contre l’Université McGill et les autres acteurs du projet : la Société Québécoise des Infrastructures (SQI), l’Hôpital Royal Victoria, le Centre Universitaire de Santé de McGill (CUSM), la ville de Montréal et enfin le procureur général du Canada. Dans leurs plaintes, les mères Mohawks ont notamment exposé le fait que le projet du Nouveau Vic prend place sur un espace suspecté de contenir des tombes non marquées d’enfants autochtones, qui auraient subi les expériences scientifiques du projet de recherche MK-Ultra au cours des années 1950.
Le 27 octobre 2022, la cour supérieure du Québec tranche en faveur des mères Mohawks en ordonnant une injonction temporaire du projet. Cela signe l’arrêt temporaire des travaux, jusqu’à ce que les parties parviennent à un accord en vue d’éclaircir la situation concernant la présence potentielle de sépultures non marquées. La cour supérieure a sommé les mères Mohawks et les parties prenantes de rétablir le dialogue afin de s’assurer que le projet demeure le plus respectueux possible d’un esprit de réconciliation.
L’entente d’avril 2023
Le 6 avril 2023, après plusieurs mois de dialogue, les acteurs du projet du Nouveau Vic et les mères Mohawks sont parvenus à une entente. Cette entente met en place un panel d’experts en archéologie ayant pour mandat d’ « évaluer et identifier les techniques archéologiques appropriées à utiliser dans les différentes zones du site pour détecter la présence de tombes non marquées ». McGill et la SQI s’engagent à se faire guider par les recommandations du panel, mais gardent néanmoins un certain pouvoir discrétionnaire. De plus, l’entente stipule qu’un ou plusieurs moniteurs culturels pourront être nommés par les mères Mohawks pour assister à l’exécution des techniques de recherches archéologiques, dans le but de permettre au collectif de pouvoir superviser les fouilles.
McGill et la SQI se sont également engagés à, au cours des six premiers mois, tenir les mères Mohawks informées de l’avancement des techniques toutes les deux semaines. Enfin, l’article 17 établit que « si, après l’exécution des techniques, aucune tombe n’est identifiée dans une zone donnée, les travaux d’excavation pourront commencer au fur et à mesure, d’une manière sensible, avec une surveillance appropriée ». Une fois les recommandations préliminaires du panel émises, le 8 mai 2023, les premières investigations ont pu commencer.
Les fouilles archéologiques
Le 9 juin 2023, trois équipes de chiens détecteurs ont entrepris les premières recherches sur le site, alertant sur la potentielle localisation de restes humains. Néanmoins, cela ne confirme pas nécessairement la présence de sépultures selon le panel. Ce dernier a donc prescrit des investigations plus approfondies, notamment une fouille manuelle sur un rayon de 10 mètres autour du point d’alerte.
Un mois plus tard, du 10 au 12 juillet, des sondages Ground Penetrating Radar (GPR) ont été réalisés dans la zone prioritaire, conformément aux recommandations du panel. Au cours de ces recherches, neuf emplacements « potentiels » de tombes non marquées ont été signalés, et ont donc été soumis à des investigations approfondies. Néanmoins, il est à noter que sur leur site internet, les mères Mohawks contestent ces résultats, et jugent que « les bulletins d’information de la SQI et de McGill ont induit le public en erreur en lui faisant croire que seules neuf anomalies avaient été trouvées dans le rapport GPR (tdlr).» Le collectif affirme qu’« un nombre bien plus important de cibles “inconnues” ont été détectées par l’équipe [de recherche, ndlr] GPR, qui suggère “qu’il est possible que certaines des cibles inconnues soient des tombes non marquées” ». Le panel et les mères Mohawks, malgré des demandes à McGill et à la SQI, n’ont pas eu accès aux données brutes du GPR. Il ne leur a donc pas été permis d’étudier en détail chaque cible inconnue, et seules les neuf signatures ont été jugées comme indiquant potentiellement des tombes anonymes et ont donc fait l’objet de fouilles archéologiques.
Entre-temps, un incident survenu le 25 juillet 2023 a ravivé les tensions entre les parties. Un membre de la sécurité choisi par la SQI a verbalement agressé les moniteurs culturels représentant les mères Mohawks, un événement condamné par McGill et la SQI. À la suite de cet épisode, les procédures de recherche ont été mises en pause, jusqu’à ce qu’une compagnie de sécurité plus adaptée soit choisie. Les recherches ont ensuite pu reprendre.
« L’omission de la vérité est un mensonge »
Le 28 août dernier, quelques jours après la reprise des fouilles, les exécutifs de l’Association des Étudiants de l’Université McGill (AÉUM) ont envoyé une lettre ouverte à la communauté mcgilloise, exigeant davantage de transparence de la part de l’Université à propos du projet du Nouveau Vic. La lettre, écrite en collaboration avec les mères Mohawks, accuse l’Université de ne plus être une « source d’information fiable », car « l’omission de la vérité est un mensonge ». Cette déclaration fait référence à des accusations portées par les mères Mohawks contre McGill dans leur communiqué du 11 août dernier, où elles dénoncent l’attitude de l’Université, qui propage selon elles des « informations trompeuses qui doivent être corrigées ». En conséquence, dans sa lettre, l’AÉUM appelait les étudiants à se renseigner sur le projet du Nouveau Vic directement auprès des mères Mohawks et des autres éditeurs Mohawks.
Interrogé sur la nature de cette lettre par Le Délit, Liam Gaither, vice-président des affaires extérieures de l’AÉUM, nous a confié : « Je ne pense pas que beaucoup d’étudiants soient au courant de la situation ou y prêtent attention. […] Donc, il s’agissait en grande partie d’informer les étudiants sur l’évolution de la situation du Royal Vic ainsi que sur l’histoire de McGill sur un territoire autochtone non cédé. »
De leur côté, Pierre Major, directeur executif du projet du Nouveau Vic, et sa collègue, professeure Angela Campbell, vice-principale exécutive adjointe de McGill (équité et politiques académiques), ont dit regretter l’attitude des exécutifs de l’AÉUM. En entrevue avec Le Délit, Pre Campbell nous a confié trouver « la façon par laquelle l’AÉUM a communiqué […] un peu regrettable. […] Notre projet, nos démarches, sont inspirés d’un engagement vers la vérité et la réconciliation ». De son côté, Pierre Major nous a dit que le mieux était de « laisser le terrain parler » et que : « La meilleure façon de faire c’est de laisser les archéologues faire leur travail. »
Invités par l’administration mcgilloise pour une rencontre sur le sujet du Nouveau Vic, les exécutifs de l’AÉUM devraient avoir l’occasion de discuter avec les responsables du projet cette semaine.
La fin de phase initiale des fouilles
Conformément à l’entente du mois d’avril, un moniteur culturel choisi par les mères Mohawks était présent sur le site du Nouveau Vic au moment de l’exécution des techniques archéologiques. Le 6 septembre, huit des neuf zones identifiées comme présentant « potentiellement » des restes humains par le GPR avaient été fouillées, mais aucune découverte n’avaient encore été faite, comme nous l’avait assuré Pierre Major lors d’une entrevue.
Présent sur place au moment des fouilles, le moniteur culturel a indiqué plusieurs lacunes dans le processus. Contrairement aux recommandations du panel et aux directives de l’Association canadienne d’archéologie, les fouilles dans la zone prioritaire auraient été réalisées sans tamisage de la terre retirée. En effet, les couches de terre enlevées auraient dû être passées au tamis afin de trouver de l’évidence qui serait passée inaperçue au moment des fouilles.
L’alerte des chiens dépisteurs, indiquant la présence potentielle de restes humains, n’a quant à elle toujours pas été éclaircie, malgré l’achèvement des fouilles sur cette zone depuis la semaine dernière. Les fouilles manuelles dans cette zone ont été réalisées, tel que recommandé par le panel, dans un périmètre de 10 mètres. Ce périmètre qui entoure la zone signalée par les chiens, inclut une partie du pavillon Hersey, situé sur l’avenue des Pins, à proximité de la jonction avec la rue University. Or, ce pavillon n’a pas fait l’objet d’une investigation, et l’alerte émise par les chiens reste inexpliquée.
À l’heure actuelle, les fouilles actives sur les zones sensibles identifiées par le panel touchent à leur fin. Dans un courriel adressé à la communauté mcgilloise le 11 septembre dernier, Christopher Manfredi, vice-principal exécutif et vice-principal aux études de l’Université, a annoncé que « la phase initiale de l’excavation archéologique est ainsi terminée », et qu’à ce jour « aucune trace de restes humains ni de sépultures anonymes n’a été détectée pendant cette phase des recherches ». Contactée par Le Délit, les mères Mohawks nous ont affirmé « qu’elles ne souscrivaient pas à l’hypothèse que les fouilles initiales seraient terminées ». Elles vont contester la clôture de la phase initiale des fouilles archéologiques devant la Cour supérieure du Québec en urgence cette semaine.