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Limiter les admissions d’étudiant·e·s étranger·ère·s

Est-ce une solution durable au problème de la crise du logement ?

Rose Chedid | Le Délit

Lors de la dernière retraite du Cabinet fédéral de Justin Trudeau, tenue du 21 au 23 août dernier à Charlottetown, nous avons reçu une nouvelle proposition du Parti Libéral dans le dossier de la crise du logement. Le ministre fédéral du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, Sean Fraser, a proposé d’instaurer une limite sur les admissions d’étudiant·e·s étranger·ère·s aux niveaux postsecondaires, ce qui permettrait à son avis d’alléger la crise qui sévit actuellement à travers le pays dans le milieu locatif. Cette proposition a su retentir au sein des sphères gouvernementale et universitaire, et crée à présent un tollé au sein des deux milieux, qui jugent qu’une telle proposition pourrait engendrer plus de conséquences indésirables que de bénéfices. La question est donc la suivante : l’imposition d’un plafond sur les admissions d’étudiant·e·s étranger·ère·s au Canada a‑t-elle réellement le potentiel de remédier à la crise du marché du logement ?

La crise du logement est un phénomène qui s’est intensifié au cours des vingt dernières années et qui se traduit par « une pénurie de logements locatifs et la surenchère immobilière, les coûts des loyers qui explosent, les “rénovictions”, et [de plus en plus de] (ndlr) locataires victimes de fraude », selon la définition du Devoir. Ces vingt dernières années, plusieurs métropoles canadiennes ont connu une montée fulgurante des prix des loyers : durant cette même période, le nombre d’étudiant·e·s étranger·ère·s aurait lui aussi crû de façon importante, atteignant une hausse de 325 pourcents entre 2001 et 2021, selon Statistique Canada.

Actuellement, il n’existe pas de limite sur les admissions universitaires d’étudiant·e·s internationaux·ales. Néanmoins, sachant que la plupart d’entre eux·elles vivent en location, le gouvernement a choisi de désigner comme boucs émissaires les étudiant·e·s étranger·ère·s, en associant leur nombre plus important à la crise du logement actuelle. Selon les analystes du marché locatif, il faudrait tripler les nouvelles constructions au cours des sept prochaines années afin de compenser notre retard et assurer des logements plus abordables dans les grandes métropoles canadiennes.

Opposition chez les Libéraux

Depuis l’annonce du ministre Fraser, plusieurs ministres ont soulevé leur réticence vis-à-vis de la mise en place d’un maximum d’admissions universitaires d’étudiant·e·s étranger·ère·s. C’est le cas du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui juge que limiter l’entrée de nouveaux·elles arrivant·e·s serait problématique puisque cela freinerait l’acquisition de nouveaux talents via l’accueil d’étudiant·e·s étranger·ère·s. Il juge que ces migrant·e·s éduqué·e·s représentent un groupe de nouveaux·elles arrivants·es très convoité dans le milieu de l’emploi, mais croit aussi que le Canada se doit de s’assurer d’avoir les infrastructures nécessaires pour les accueillir de façon durable. Pour sa part, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, juge que la solution serait plutôt la construction de nouveaux logements locatifs. Finalement, le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, a soulevé que réduire les nouveaux objectifs d’admission en immigration serait une « solution simpliste », qui ne réglerait probablement pas l’entièreté du problème de la crise du logement.

« Selon les analystes du marché locatif, il faudrait tripler les nouvelles constructions au cours des sept prochaines années afin de compenser notre retard »

Solution à long terme ou remède miracle ?

Quand le ministre Sean Fraser a soulevé cette idée, pensait-il réellement à régler le problème de la crise du logement, ou s’attaquait-il de façon superficielle aux critiques répétées visant l’inaction libérale dans ce secteur ? Il me semble raisonnable d’assumer que les Libéraux savaient ce qu’ils·elles faisaient en lançant une telle proposition : en recentrant le discours sur les étudiant·e·s étranger·ère·s, le gouvernement gagne du temps précieux qui lui permettra de trouver une solution réellement viable pour potentiellement régler la crise du logement. Actuellement, il existe peu de législation sur les loyers, ce qui fait qu’ils sont uniquement soumis à la dominance de l’offre et de la demande, alors qu’ils pourraient faire l’objet de limitation sur les hausses de loyers annuellement imposées aux locataires. C’est notamment ce que Québec Solidaire a proposé à l’échelle provinciale, avec son projet de registre des loyers, une option peu coûteuse qui permettrait à tous·tes d’avoir accès au loyer payé pour n’importe quelle unité sur le marché.


Autrement dit, avec cette proposition législative, le Cabinet fédéral ne fait que repousser l’impératif de légiférer sur la question de la crise du logement. Ainsi, ils·elles détournent l’attention d’un groupe qu’ils·elles désirent épargner de la responsabilité pour la crise du logement : les propriétaires. Ceux·celles-ci sont connu·e·s pour user fréquemment de leur pouvoir à l’excès en imposant des hausses de loyer abusives. En effet, certain·e·s ont tendance à profiter du manque d’éducation des locataires sur leurs droits locatifs afin de faire plus d’argent. Par expérience, j’ai vu plus d’un·e propriétaire tenter d’imposer des mesures illégales à des locataires, comme des dépôts de sécurité, des frais liés au bail qui devraient être couverts par le locateur, ainsi que des pratiques d’éviction.

Dans le contexte d’une limitation des étudiant·e·s internationaux·ales, il est intéressant d’analyser les relations de ceux·elles qui y gagneraient – les propriétaires qui se voient épargner de toute responsabilité – et les étudiant·e·s – qui continueront de voir leur loyer augmenter annuellement – avec le gouvernement. Selon un sondage mené par Abacus Data au cours du mois d’août dernier, si une élection fédérale était tenue aujourd’hui et que seulement la Génération Z et les Milléniaux pouvaient voter, le Parti Libéral serait relégué à la seconde opposition fédérale. Le Parti Libéral a donc intérêt à maintenir son emprise sur les plus âgé·e·s, sachant que les jeunes Canadien·ne·s ne supporteraient pas le parti au pouvoir. Ainsi, considérant que les Canadien·ne·s de moins de 35 ans ont moins de chance d’être propriétaires, le parti a intérêt d’éviter les sanctions auprès des propriétaires et à trouver un coupable chez les jeunes.

Les étudiant·e·s étranger·ère·s rapportent au Canada

Toutefois, malgré les efforts du gouvernement visant à discréditer les jeunes étudiant·e·s internationaux·ales, ceux·celles-ci représentent des atouts importants au Canada. En date de 2018, il était estimé que les étudiant·e·s internationaux·ales contribuaient à environ 21.6 milliards de dollars du PIB national, et que leur présence au Canada incitait la création de près de 170 000 emplois pour la classe moyenne. Il est également non négligeable de rappeler que leurs frais de scolarité sont jusqu’à cinq fois plus élevés que ceux des résident·e·s permanent·e·s. Il est donc évident qu’il serait néfaste pour la pérennité économique et sociale de limiter le nombre d’étudiant·e·s étranger·e·s au Canada.

De plus, considérant la pénurie de main‑d’œuvre qui sévit actuellement au pays, il ne serait pas judicieux pour le gouvernement fédéral de limiter le nombre d’étudiant·e·s étranger·ère·s, puisque ceux·celles-ci représentent un atout important au milieu de l’emploi canadien. C’est Sean Fraser qui avait annoncé en octobre 2022 que la limite de 20 heures de travail hebdomadaire qui s’appliquait aux étudiant·e·s internationaux·ales pendant leurs sessions d’études était levée afin d’alléger le plein d’emploi. On peut donc questionner le ministre Fraser à savoir s’il pense aujourd’hui que le blâme qu’il place sur les étudiant·e·s étranger·ère·s est juste, alors qu’il y a moins d’un an, il les remerciait de leur contribution à l’économie canadienne.

Dernières pensées

Finalement, peut-on réellement tenir les étudiant·e·s étranger·ère·s responsables de la flambée abusive des prix dans le milieu locatif ? Peut- être est-ce un peu simpliste de ma part, mais si j’ai retenu une chose de mes cours d’économie, c’est que malgré une hausse de la demande, et la hausse des prix conséquente, il restera toujours du ressort des propriétaires – et du gouvernement – de décider des prix du marché. Une part du problème réside donc dans le manque d’intérêt du gouvernement de légiférer et de freiner la cupidité des investisseur·euse·s immobilier·ère·s, qui voient le marché de la location comme un moyen simple d’extorquer de l’argent aux moins fortuné·e·s. Dans la même veine, on ne devrait pas permettre au marché locatif, qui est de l’ordre des biens essentiels, de servir de terrain de jeux pour la spéculation immobilière.

Cynique ? Peut-être. Ceci étant dit, je pense qu’il est très improbable que les propriétaires changent volontairement leurs pratiques, en demandant des loyers simplement dictés par leurs besoins financiers et non par ce qu’ils·elles croient possible d’obtenir de locataires désespéré·e·s. Si on choisit de plafonner les admissions d’étudiant·e·s internationaux·ales, ce ne devrait pas être pour remédier à la crise du logement, mais plutôt pour s’assurer que tous·tes les étudiant·e·s admis·e·s bénéficient d’infrastructures adéquates et adaptées à leur besoin les plus essentiels. La ministre provinciale de l’Habitation France-Élaine Duranceau suggère une solution des plus intéressantes : « Que [les jeunes] (ndlr) investissent en immobilier ! » Si seulement c’était si simple, nous serions tous·tes propriétaires.


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