En ce début de session d’automne, en observant défiler sur le campus plusieurs groupes d’élèves de première année fraîchement arrivés à Montréal, j’ai fait un travail introspectif sur ma propre première année. Au cœur de cette réflexion sur mes expériences et mes apprentissages depuis mon arrivée, je ne pus m’empêcher de penser à la place cruciale qu’occupait dans ma vie la résidence que j’avais choisie, et qui m’avait été assignée en premier choix : La Citadelle. Ces pensées m’ont poussé à écrire cet article, qui cherche à peser le pour et le contre du système de résidences à McGill.
Dans toute université nord-américaine, les résidences sont considérées comme des points de passages fatidiques, presque obligatoires. Au sein du narratif partagé par beaucoup sur l’idéale trajectoire académique, pour nombre d’élèves, la résidence apparaît comme un lieu de sociabilisation et d’échange majeur, au sein duquel les élèves peuvent se forger, faire des expériences, et pleinement profiter de leur vie étudiante. Forcé de reconnaître le charme des résidences, qui semblent avoir toutes les qualités, je suis moi-même tombé dans leur piège : la promesse d’une année formidable où les rencontres ne manqueraient pas, et où l’émancipation serait complète. En somme, une promesse de liberté. Après tout, on ne cesse de nous le répéter : « Ce sont les plus belles années de ta vie. » Cependant, j’estime que cette promesse de liberté n’est qu’une illusion. Mon année en résidence était loin d’être ce à quoi je m’attendais, et très loin d’être « la plus belle année de ma vie ».
« Dans toute université nord-américaine, les résidences sont considérées comme des points de passages fatidiques, presque obligatoires »
Pénurie de social
Après quelques semaines de vie à La Citadelle, j’ai progressivement commencé à regarder les choses en face. Je devais affronter une immense désillusion, qui éradiqua toutes mes attentes : la mentalité de la résidence ne correspondait pas à ce que j’imaginais. Je pense que ce phénomène fait partie d’un ensemble plus global : l’existence dans l’imaginaire collectif d’un fantasme partagé, forgé par les films, les séries, et autres contenus culturels traitant du milieu étudiant. Au cœur de ces œuvres, les résidences jouent un rôle de ville dans la ville, de microsociété à part entière, où tout le monde se connaît et profite de cette inestimable expérience. Bien que j’aie eu l’occasion de me faire de très bons amis – bien moins que ce à quoi je m’attendais, cependant – la grande majorité des habitants de La Citadelle m’étaient inconnus. Je voyais en permanence les mêmes visages et entendais les mêmes voix, mais toujours dans un contexte très trivial : dans l’ascenseur, au café de la résidence ou dans la salle de lavage. S’enchaînaient alors regards gênés et sourires crispés, à travers lesquels toutes ces personnes m’apparaissaient comme peu chaleureuses, voire socialement hostiles. Je veux dire par là que je ressentais comme un sentiment d’indifférence frappant de la part des résidents, qui ne se montraient que très rarement aimables, ou qui seraient atteints d’une curieuse maladie de fainéantise qui les empêchait systématiquement d’aller chercher plus loin qu’un simple « salut ». C’était l’affaire de la résidence, l’ambiance était morne, quasi sans vie. Établir un contact était presque impossible.
Je ne pense pas être introverti, et encore moins avoir une quelconque phobie sociale. Je pense que le principal obstacle fut celui de la langue. J’avais des légères lacunes à l’oral en anglais, et je pense que cela a été le principal élément qui m’a empêché de complètement sociabiliser. Cependant, la langue n’est pas le problème des résidences : c’est une chance que d’être dans une université tournée vers l’international, je suis le premier à le penser. Mais au fond, la base de cette affaire réside dans une problématique comportementale. Une fois qu’ils ont une routine, ou une habitude, les êtres humains s’y cramponnent si fort que les faire changer se révèle souvent être une tâche ardue. Ainsi, une fois que des groupes sont créés (souvent sur la base de la langue ou du pays d’origine puisque ce sont d’importants facteurs de rapprochement social dans des contextes muticulturels), ils ne vont que très rarement chercher à accueillir de nouveaux « membres ». D’un autre côté, si le groupe est entièrement anglophone, l’intégrer est extrêmement difficile, surtout pour un francophone qui, comme moi, avait du mal à faire la conversation.
« Les chambres classiques de La Citadelle […] coûtent, en 2023–2024, 1 541$ par mois par personne. Un tarif exorbitant qui ne reflète en rien la qualité de vie offerte »
Cependant, je pense qu’il est important de faire des distinctions entre les résidences. En effet, je pense que les résidences hôtelières (La Citadelle, New Residence Hall, et Carrefour Sherbrooke) sont les plus impersonnelles et socialement compliquées. Les résidences plus traditionnelles, d’après des discussions que j’ai eues avec mon entourage, sont plus accueillantes et facilitent un peu plus l’intégration sociale. Par ailleurs, moins il y a de personnes dans la résidence, mieux c’est. Ainsi, Douglas Hall, qui accueille un nombre relativement limité d’élèves, est probablement la meilleure option pour l’interaction sociale.
Tout ça pour ça ?
Ainsi, au fil des mois, je me suis senti de plus en plus prisonnier de La Citadelle. Les cours me permettaient de penser à autre chose, mais j’en revenais toujours au même point. Je n’étais jamais heureux de rentrer. On pourrait me qualifier de capricieux : La Citadelle est probablement la résidence la mieux équipée, la plus moderne, avec des chambres agréables et assez spacieuses. En soi, cette première année m’a offert un cadeau, malgré ses imperfections : elle m’a permis de philosopher à mes heures perdues. Loin de moi l’idée de vouloir me déclarer sage penseur, mais vivre à La Citadelle m’a fait réfléchir sur les notions de bonheur et de matérialisme. Il m’est maintenant clair qu’on ne peut pas être heureux en connaissant ce que je qualifierais de « pénurie de social ». Les avantages de La Citadelle, cités ci-dessus, ont été déterminants dans mon choix. Ils m’évoquaient un grand confort, quasi luxueux dans un contexte étudiant. Cependant, sans contact social, tous ces avantages me paraissaient superflus. La Citadelle, en elle-même, n’était pas chaleureuse.
« Les élèves se retrouvent en quelque sorte piégés dans la bulle du campus, où les jours passent et se ressemblent, et où les trajets quotidiens se limitent au strict minimum »
Beaucoup diront que mes plaintes sont injustifiées, et que quand on a la chance de vivre dans une résidence en plein centre-ville de Montréal, avec une superbe vue et des chambres d’hôtel modernes, on ne fait pas la fine bouche. Arrive alors, selon moi, le problème majeur : le prix. J’ai récemment discuté avec une des rares amies que je me suis faite à résidence. Elle m’a avoué qu’elle était très contente d’avoir pu trouver un appartement où elle se sent vraiment chez elle, et que l’année passée, elle en avait eu assez de La Citadelle au bout d’un semestre. Mais elle a ajouté que le pire, c’était le tarif. Selon elle, et je suis en tout point d’accord, le prix des résidences à McGill est totalement en décalage avec la réalité. Les chambres classiques de La Citadelle, avec deux lits côte à côte dans une pièce unique, une petite salle de bain et deux bureaux, coûtent, en 2023–2024, 1 541$ par mois par personne. Un tarif exorbitant qui ne reflète en rien la qualité de vie offerte. S’ajoute à cela un Meal Plan (plan alimentaire) obligatoire pour l’année (d’un coût de 5 700$), qui restreint encore un peu plus notre liberté en nous incitant fortement à aller manger à la cantine. Résultat : les élèves se retrouvent en quelque sorte piégés dans la bulle du campus, où les jours passent et se ressemblent, et où les trajets quotidiens se limitent au strict minimum, à savoir entre résidence, campus et cantine. Tout imprévu, toute exploration, toute audace est réduite à néant.
Je vis maintenant dans un appartement bien situé avec mon colocataire près de la station de métro Saint-Laurent : pour deux, il nous revient à 2000$ par mois alors que la Citadelle nous coûtait plus de 3100$. Pourtant, ma qualité de vie a grandement augmenté, et je vis maintenant dans un lieu où je me sens vraiment chez moi. Peut-être que certains trouvent que les résidences sont une bonne manière de faire la transition vers la vie adulte, notamment en évitant aux étudiants de devoir chercher un appartement ou de se faire à manger. Je ne fais pas partie de cette catégorie. Je ne fais que parler des défauts des résidences, mais ces remarques découlent d’une expérience personnelle qui n’implique que moi. Même si mon argument peut paraître égocentrique, car de nombreux éléments de mon histoire me sont propres, me lamenter n’est pas l’objectif. Mais peser le pour et le contre est crucial, afin d’éviter tout regret et de se dire, à la fin de l’année : « Tout ça pour ça ? »