Le Parti conservateur du Canada (PCC) est un parti avec une histoire riche. Après tout, c’est le parti derrière la Déclaration canadienne des droits (Bill of Rights) et de l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain). Pourtant, il se cherche une nouvelle identité, il courtise une partie de l’électorat qui se sent négligée à grand coup de slogans populistes et de mesquines attaques contre les minorités sexuelles et de genre. Ce changement populiste s’est incarné sous nos yeux tout récemment lors de la dernière convention du parti à Québec.
Un parti en mutation
Dernièrement, les membres conservateurs des quatre coins du pays se sont rassemblés à Québec dans le cadre de leur convention politique, qui se tient tous les deux ans. L’exercice démocratique avait pour but de laisser la parole à la base conservatrice afin de voter des politiques qui pourraient éventuellement se retrouver dans le programme du Parti conservateur du Canada lors du prochain scrutin général prévu pour 2025. Cependant, cette convention ne ressemblait en rien à ce à quoi les conservateurs nous avaient habitués dans les dernières années, témoin indéniable du changement s’opérant au cœur même du Parti conservateur.
Cette année, les membres se sont exprimés sur certaines politiques tout droit sorties des bas-fonds du Parti républicain américain : interdire aux personnes trans de participer aux compétitions sportives, empêcher les chirurgies de changement de sexe chez les mineurs, abolir les ateliers obligatoires de sensibilisation à la diversité et à l’inclusion en milieu de travail et abolir les obligations vaccinales en temps de crise. Voici certaines des politiques débattues et adoptées par les membres à Québec. Après des années de radicalisation, ces politiques se sont finalement frayées un chemin au centre de convention de Québec, allant jusqu’à se tailler une place sur les bulletins de vote. En gros, casser du sucre sur le dos des minorités de genres et sexuelles et répandre impunément de la désinformation à grand tour de bras sur les avancées médicales, c’est ça être conservateur en 2023. Être conservateur, c’est vouloir l’adoption de politiques d’extrême droite qui pourraient donner des sueurs froides à quiconque ayant une affection à l’État de droit.
Mais qu’est-ce que le chef conservateur répond à l’adoption de ces politiques par les participants au congrès, me direz-vous ? Pierre Poilièvre affirme qu’il n’est tenu en rien d’incorporer ces politiques à sa future plateforme. En d’autres mots, voici une admission venant du chef conservateur qui n’est en rien anodine. Il s’agit ni plus ni moins d’une reconnaissance même de la fracture existant entre la base conservatrice et ses ambitions moralisatrices traditionnelles avec le reste de la population canadienne. Poilièvre, en affirmant qu’il risque de ne pas suivre la volonté de ses membres, reconnaît la nature extrémiste émanant des politiques votées par les membres conservateurs.
« Être conservateur, c’est vouloir l’adoption de politiques d’extrême droite qui pourraient donner des sueurs froides à quiconque ayant une affection à l’État de droit »
Renier son passé
Mais que se passe-t-il chez les conservateurs ? Qu’est-il advenu des valeurs conservatrices qui prônent la rigueur économique ? Qu’est-il advenu de ceux qui militent pour un État moins interventionniste ? Où sont passés les conservateurs qui ont voté pour Clark, Mulroney, Campbell, et même Harper ? Je vais vous le dire : ils ont disparu. Maintenant, c’est une nouvelle garde qui n’a rien à voir avec le style des anciens chefs du parti. Il s’agit aussi d’une nouvelle base qui a été attirée par le style populiste des conservateurs post-Harper. Je vous parle de tous ces législateurs néo-conservateurs qui vont manifester avec des groupes radicaux qui demandent la fin des mesures sanitaires devant le Parlement canadien, de ces parlementaires conservateurs tels que Leslyn Lewis, Dean Allison et Colin Carrie, qui vont souper avec des élus européens connus pour leurs positions antisémites et xénophobes. Les conservateurs d’aujourd’hui ont délaissé les questions économiques au détriment d’une bataille culturelle, pour une quête sans fin d’un retour aux belles vieilles valeurs traditionnelles. Ce sont des moralisateurs sans morale qui s’en prennent à ceux et celles qui sont sur la ligne de la marginalité au Canada.
« Les conservateurs d’aujourd’hui ont délaissé les questions économiques au détriment d’une bataille culturelle, pour une quête sans fin d’un retour aux belles vieilles valeurs traditionnelles. Ce sont des moralisateurs sans morale qui s’en prennent à ceux et celles qui sont sur la ligne de la marginalité au Canada »
Maintenant, les conservateurs et leurs élus s’intéressent davantage à la participation de certains jeunes marginalisés dans des sports qu’à des questions sérieuses et importantes aux yeux de l’électorat canadien. Ils accordent une plus grande importance aux questions morales qu’aux enjeux qui touchent Monsieur et Madame tout-le-monde. Comme preuve, lors de ladite convention, les membres ont à peine donné d’importance à la question qui prime actuellement à travers le pays : la crise du logement. Bien qu’en chambre, les élus de l’opposition se lèvent avec la plus grande des indignations pour dénoncer les mesures prises par le gouvernement libéral en matière de logement, aucune mention de la crise du logement n’est venue des membres conservateurs. Pourquoi ignorer une telle situation qui pourtant est bénéfique aux conservateurs, leur permettant de se démarquer des libéraux de Justin Trudeau ? Parce que, comme je l’ai mentionné plus haut, les conservateurs ne sont plus intéressés par ces enjeux. Le problème avec cette stratégie – parce que oui, c’est une stratégie qui peut fonctionner pour ce parti – c’est le risque de se dissocier de ce qu’il reste des conservateurs du clan MacKay, dernier chef du Parti progressiste conservateur – l’ancêtre du Parti conservateur moderne qui changea au tournant des années 2000 – seul vestige du temps où les conservateurs se disaient encore progressistes En effet, le style incendiaire de Poilièvre aura déjà eu pour conséquence de lui mettre à dos deux des anciens chefs de son parti : Kim Campbell et Brian Mulroney. La première, seule femme qui aura occupé le poste de première ministre du pays en 1993, semble avoir tourné le dos à la crèche et quitté le bateau conservateur. Il est extrêmement rare qu’un ancien chef de parti quitte tout simplement son ancienne formation politique. Pourtant, plus tôt cette semaine, l’ancienne première ministre conservatrice a désavoué Poilièvre sur la plate- forme X en partageant un tweet du ministre libéral François-Philippe Champagne. Dans ce tweet, on y voit Jean Chrétien, l’ancien adversaire politique de Campbell qui l’a défait en 1993 lors des élections générales, qui dénonce la rhétorique défaitiste de Poilièvre. Campbell s’en est tenu d’un petit « Yep », qui semble tout dire. Pour sa part, Mulroney, incontestablement l’un des premiers ministres conservateurs les plus populaires de l’histoire canadienne, s’en est tenu à prendre la défense du premier ministre libéral, Justin Trudeau, affirmant que les attaques de Poilièvre étaient de simples « trash, rumours, gossip (déchets, rumeurs, ragots) ». Quand un conservateur se lance à la défense d’un libéral, c’est que quelque chose cloche. Ici, c’est le style populiste de Poilièvre qui dérange la vieille garde conservatrice.
Une victoire conservatrice, une défaite canadienne
En somme, le Parti conservateur moderne est devenu une insulte au conservatisme, un affront à la riche histoire
de ce parti qui a façonné le Canada, et il s’agit d’une claque à la figure de la population canadienne. Stephen Harper a un jour dit quelque chose de brillant (il fallait bien que cela arrive au moins une fois en neuf ans au pouvoir) : « Un bon chef de parti est au centre du parti, un bon chef de gouvernement est au centre du pays. » Malheureusement pour nous, partout où Pierre Poilièvre met les pieds, il n’est au centre de rien, mais bien à la droite. Très à droite, même.