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Guerre entre Israël et le Hamas

Une nouvelle escalade du conflit israélo-palestinien.

Marie Prince | Le Délit

Le 7 octobre dernier, date marquant le début des fêtes juives Sim’hat Torah et Shabbat, le Hamas lance à l’aube l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » depuis la bande de Gaza. Par des moyens terrestres et par les airs en utilisant des paramoteurs, les forces du Hamas traversent les barrières, clôtures et murs qui séparent la bande de Gaza et Israël. Au même moment, le Hamas débute un lancement important de roquettes à l’encontre du territoire de l’État hébreu. C’est la première fois depuis l’établissement du Hamas à Gaza que ce dernier attaque Israël en entrant directement sur son territoire.

Au sol, les brigades du Hamas ouvrent le feu sur les premiers civils israéliens dans les kibboutz (villages communautaires) frontaliers, comme Be’eri, Nahal Oz et Réim. Les combattants parviendront par la suite à s’introduire dans Ofakim, ville de 30 000 habitants, où ils assassinent de nombreuses personnes jusqu’à leur départ le 8 octobre. Au moment de leur incursion, les combattants de Hamas se sont aussi attaqués à une rave party de 3 500 personnes, organisé à seulement cinq kilomètres de la bande de Gaza. Lors de cette rave, 270 personnes sont tuées et plusieurs personnes sont kidnappées et prises en otage dans la bande de Gaza. Dans une allocution publiée au cours de l’offensive, Mohammed Deïf, le chef d’État-Major des Brigades Al-Qassam (branche armée du Hamas), affirme que ses forces ont tiré 5 000 roquettes et obus au cours des 20 premières minutes de l’offensive. Des missiles ont touché plusieurs parties d’Israël, dont sa capitale, Tel- Aviv, située à 71 kilomètres de Gaza. 90% de ces roquettes ont été interceptées par la défense anti aérienne israélienne « Dome de Fer », financée en grande partie par les États-Unis. Au 15 octobre, en comptant les différentes attaques menées par le Hamas, le bilan des pertes israéliennes s’élève à plus de 1400 morts.

Les premières réactions de la communauté internationale questionnent comment cette attaque a pu s’organiser sous le radar des services secrets israéliens. En effet, le pays possède aujourd’hui un service de renseignement considéré comme l’un des plus performants au monde : le Mossad. Dans une entrevue accordée au Le Délit, l’ancien professeur d’études religieuses de McGill, Norman Cornett, a critiqué l’échec d’Israël à prévoir l’attaque en précisant que « le mot lacune est bien trop faible […] c’est une faillite monumentale ». Il a ajouté que trois jours auparavant, les Égyptiens et les Américains avaient alerté Israël sur le fait que « quelque chose de gros » était en train d’être planifié à Gaza. « Comment se fait-il que l’Égypte et les États-Unis aient vu la chose venir sans qu’Israël ne soit au courant ? », s’interroge Cornett.

Israël « en guerre »

Quelques heures après le début de l’offensive du Hamas, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’est de son côté exprimé sur les réseaux sociaux, sur lesquels il a déclaré qu’Israël était « en guerre (tdlr) ». Le nombre de pertes israéliennes a incité le gouvernement israélien à répondre de manière puissante et violente. Selon l’approche de science politique réaliste, ce processus est utilisé afin de rétablir un rapport de force avec l’adversaire et d’ainsi dissuader ce dernier d’attaquer.

« Des missiles ont touché plusieurs parties d’Israël, dont sa capitale, Tel-Aviv, située à 71 kilomètres de Gaza. 90% de ces roquettes ont été interceptées par la défense anti aérienne israélienne “Dome de Fer” »

Dès les premières heures suivant l’attaque, les services de défense israéliens ont riposté par des frappes aériennes. Plus tard dans la journée, Israël a annoncé avoir effectué un rappel massif de ses 465 000 réservistes. Puis, le 9 octobre, le gouvernement israélien a annoncé avoir enclenché un « siège complet » de la Bande de Gaza, qui faisait déjà l’objet d’un blocus partiel depuis 2007. Légalement, cette nouvelle décision représente une infraction au droit international humanitaire. Depuis, l’armée israélienne a regroupé près de 300 000 soldats aux abords de la bande de Gaza, et a ordonné à environ 1,1 million de Gazaouis d’évacuer vers le sud du territoire, laissant présager une invasion terrestre de la bande de Gaza par Israël.

L’Organisation des Nations unies (ONU) a lancé un appel d’urgence aux dons à hauteur de 294 millions de dollars pour répondre aux besoins urgents des territoires palestiniens. Le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, Stéphane Dujarric, a averti qu’une évacuation d’une telle ampleur provoquerait des conséquences humanitaires dévastatrices. Selon lui, la crise humanitaire à Gaza s’est aggravée à la suite de ces évènements, avec une population qui – selon l’OMS – manque d’eau, de nourriture et de carburant. Néanmoins, Israël poursuit sa riposte contre le Hamas, en ciblant des hôpitauxse cachent certains de leurs combattants, selon les services de renseignements israéliens. En date du 14 octobre, la réponse israélienne a causé plus de 2 215 morts à Gaza.

Une analyse géopolitique

Bien que les accords d’Oslo de 1993–1995 aient permis une reconnaissance bilatérale de l’existence d’Israël et de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), le contexte politique récent entre Israël et Palestine ralentit tout processus envisageable de paix. La scène politique israélienne voit l’influence de mouvements d’extrême droite s’accroître depuis quelques années, avec une intensification de la colonisation des territoires palestiniens et l’instauration en 2022 d’un gouvernement conservateur juif et ultraorthodoxe.

La multiplicité des acteurs politiques palestiniens et l’émergence du Hamas ont complexifié les travaux pour la paix. Fondé en 1987, le Hamas est une organisation islamiste investie dans la lutte contre Israël, qu’il ne reconnait pas comme État. En 2006, le Hamas gagne les élections législatives palestiniennes et prend le contrôle total de Gaza, en chassant dès l’année suivante l’OLP du territoire. Le Hamas est aujourd’hui considéré comme une organisation terroriste par plusieurs États, dont le Canada, les États-Unis, et l’ensemble de l’Union Européenne. Ces divisions internes palestiniennes ont limité la capacité de l’OLP à interagir avec Israël. De leur côté, les relations entre Israël et le Hamas ont historiquement été marquées par des conflits intermittents et d’intensité variable. En janvier 2009, l’armée israélienne est intervenue dans la bande de Gaza après avoir été ciblée par des lancements de roquettes du Hamas ; l’intervention avait causé plus d’un millier de morts. Des conflits similaires avaient suivi en 2012, 2014 et en 2021. Encore en juillet dernier, une rixe avait éclaté à Jénine, en Cisjordanie sous l’occupation israélienne.

Ce conflit est d’ampleur à la fois régionale et mondiale. Pour les militaires israéliens, il s’agit d’une guerre sur trois fronts ; aux frontières de Gaza, de la Cisjordanie et du Liban, où est présent le Hezbollah (autre organisation terroriste hostile à Israël financée par l’Iran). Cela implique donc un besoin matériel majeur, et les États-Unis ont répondu à l’appel d’Israël en accroissant l’aide militaire et matérielle américaine depuis les attaques. Selon le professeur Cornett, « pour les États-Unis, l’Union européenne, l’OTAN, et les Occidentaux : Israël est une forteresse occidentale au sein du Moyen-Orient ». Cette attaque a eu lieu à un moment extrêmement stratégique pour la région. Norman Cornett explique quatre principales raisons. La première, une instabilité politique israélienne, due à la récente réforme judiciaire qui divise et fragilise le pays. Pour Cornett, « si malheureusement cette attaque affreuse a réussi, c’était en partie à cause d’un manque de vigilance lié à cette division ». Deuxièmement, l’attaque a été orchestrée un jour de fête religieuse, 50 ans après la guerre du Yom Kippour, un moment symbolique chargé d’émotion, ce qui capte l’attention israélienne. Ainsi, l’attaque émet une onde de choc massive et emblématique, qui marque terriblement les esprits. Enfin, le moment était également stratégique vis-à-vis des relations diplomatiques grandissantes israélo-saoudiennes. Selon le professeur, le Hamas a sans doute voulu briser cette potentielle entente, qui allait changer la géopolitique du Moyen-Orient.

Un manque d’humanité ?

Pour Cornett, il y a ce concept d’altérité, une déshumanisation du rival réciproque, qui entraîne des atrocités des deux côtés. Netanyahou a dit dimanche dernier devoir combattre « des monstres assoiffés de sang » ; de son côté, le Hamas revendique fièrement le massacre de centaines de personnes. Il est certain pour Cornett que cette guerre psychologique a une force de frappe affective massive, et « va renforcer le terrorisme et ainsi faire vaciller les valeurs démocratiques occidentales ». Il s’agit d’un dilemme moral et éthique de « prétendre que l’attaque du Hamas justifie les crimes contre l’humanité ». Pour le professeur, « la justice est une chose, la vengeance en est une autre ». L’annonce de Netanyahou « Nous sommes en guerre » enclenche ce que le professeur Cornett appelle « la tyrannie de l’urgence », ce qu’il définit comme le fait de laisser de côté les valeurs, la justice, le droit international et humain, et de le justifier par une question de survie.

« Ce qui est un patriote aux yeux de l’un est un terroriste aux yeux de l’autre »


Norman Cornett, ancien professeur à McGill

Les médias et réseaux sociaux polarisés

Le fond médiatique montre au monde entier des images choquantes et atroces de massacres en boucle. D’après Cornett, « le grand avantage du côté israélien, c’est que tous les médias américains sont en Israël, en personne, avec des personnalités comme Anderson Cooper de CNN, filmé devant une tour qui explose. De plus, c’est tout à l’honneur des médias d’humaniser, voire de personnaliser chaque victime ». Par contre, Cornett note l’asymétrie dans l’information médiatique, étant donné que les médias ne peuvent rester à Gaza, et donc faire une couverture médiatique conséquente, qui témoigne de la quantité de vies perdues de ce côté du conflit : l’objectivité des médias est donc remise en question. « Ce qui est un patriote aux yeux de l’un est un terroriste aux yeux de l’autre », note le professeur Cornett.

« Démoniser l’autre, que cette personne soit israélienne ou paléstinienne constitue le fer de lance de la violence, voir de la guerre »


Norman Cornett, ancien professeur à McGill

Une réponse étudiante à McGill et une réaction canadienne

Une étudiante israélienne de McGill, qui souhaite rester anonyme, a expliqué que le soutien à Israël n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui. Elle dit apprécier la mobilisation des dirigeants du monde qui dénoncent les actes terroristes, mais elle reconnaît que les nombreux pays qui soutiennent Israël « tolèrent également l’oppression du peuple palestinien », ce qu’elle dénonce. Elle pense toutefois que cette conversation ne devrait pas être mélangée avec l’approbation d’un acte de révolte, qui inclut le ciblage des populations civiles. Cette étudiante dénonce une insécurité à Montréal même : « En tant qu’étudiante à McGill, je n’ai jamais craint de marcher sur le campus. Mais moi et bien d’autres avons peur en ce moment […] J’ai peur de ceux qui sont réellement d’accord avec ce que fait le Hamas. » Vendredi dernier, le Hamas avait appelé à un « jour de rage » à l’international, et l’étudiante s’est sentie « terrifiée ». Lors de cette journée, les garderies et les écoles juives de Montréal étaient fermées, malheureusement sujettes à des menaces antisémites.

Le Délit s’est également entretenu avec une autre étudiante de McGill – elle aussi souhaite rester anonyme – soutenant la cause palestinienne. Pour elle, « il est démoralisant de voir le soutien international apporté à Israël », même si elle croit qu’« il est tout à fait possible de ressentir de la peine et un deuil collectif pour Israël et la communauté juive, tout en supportant la cause palestinienne et en revendiquant une sanction internationale à l’encontre des autorités israéliennes, qui commettent des crimes génocidaires atroces depuis plus de 75 ans ». En ce qui concerne les répercussions de l’attaque, elle ne comprend pas comment « Israël a pu couper l’eau, le gaz et l’électricité à Gaza depuis plus de sept jours, sans qu’aucune sanction internationale n’ait été prise contre eux ». Pour l’étudiante, le soutien à la Palestine à la suite de ces attaques s’explique par le fait que les Palestiniens sont « encore une fois victimes d’une agression des autorités israéliennes, encore pire qu’à l’habitude ». Pour elle, cette fois-ci « le gouvernement israélien use de l’attaque du Hamas comme une raison pour reprendre le contrôle de Gaza », perdu en 2006.

À Montréal, vendredi dernier, ont eu lieu des marches en soutien à la Palestine. L’association étudiante en Solidarité pour les Droits Humains Palestiniens (SPHR) y était présente et a relayé des messages qui ont suscité beaucoup de controverse au sein de la communauté mcgilloise. François Legault, premier ministre québécois, a caractérisé de « honteu(ses) » les manifestations palestiniennes, qui selon lui « célèbrent ou justifient l’assassinat de civils ». 

Il est à noter que la politique étrangère du Canada – comme pour les autres pays de l’Occident – dans le contexte du conflit israélo-palestinien, est influencée par de nombreux facteurs complexes. Mais, pour le professeur Cornett, « il y a un dénomina- teur commun ; c’est l’argent », qui influencerait le soutien à Israël. En analysant la situation d’un point de vue de realpolitik, le professeur considère que les alliances et les prises de parti dans ce conflit ne tiennent qu’à des intérêts de pouvoir politiques et pétroliers, donc économiques.

Marie Prince | Le Délit

Vers une désescalade ?

Face à une réponse internationale massive, une question se pose : y a‑t-il un risque que la région toute entière s’embrase ? D’un autre côté, est-ce qu’une solution à deux États est encore possible ? En tant que mouvement anti démocratique, le Hamas ne cherche pas la paix avec Israël, mais bien à éradiquer la présence juive en territoire israélien.

Pour certains étudiants interrogés, tant que les questions de fond ne sont pas résolues, comme la question de la colonisation, de l’occupation, de l’appartenance de Jérusalem, le conflit ne peut se résoudre. Pour le professeur Cornett, il faut outrepasser « l’approche binaire Israël-Palestine », et aller vers « une synthèse humaniste ».


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