Dans les dernières semaines, Montréal et le Canada entier ont été témoins d’un vulgaire tsunami de haine, d’une avalanche d’hystérie inexpliquée et inexplicable, d’une triste tornade d’ignorance. En réalité, cette pitoyable tempête météorologique à laquelle je fais référence, c’est celle incarnée par toutes les manifestations organisées dans les grandes villes canadiennes par le groupe 1 Million March 4 Children. Pour ceux qui ont la chance de ne pas connaître 1 Million March 4 Children, il s’agit d’un groupe d’extrême droite qui milite pour mettre fin à la « propagation de l’idéologie de genre » dans les écoles. Bien qu’absurde, le groupe pancanadien affirme que certaines organisations scolaires tentent d’imposer un programme qui pousserait les jeunes à vouloir transitionner de genre ou « devenir » homosexuel. Le groupe base son existence sur la prémisse que les parents devraient avoir le contrôle sur ce qui est enseigné à leurs enfants dans les écoles. Si jamais l’odieux devait arriver, que par malheur leur enfant se trouvait à partager son désir de transitionner de genre à leur enseignant, ils devraient immédiatement être prévenus.
Ce faux débat sur l’identité de genre enseignée dans nos écoles et les demandes de ce groupe extrémiste sont totalement futiles à mes yeux. Je pourrais vous expliquer pourquoi le groupe a tort. Point par point, je pourrais défaire leur argumentaire. Je pourrais leur dire qu’en obligeant des enfants à sortir du placard, on brise une relation de confiance si précieuse. Je pourrais relater pourquoi sans même enseigner les différentes expressions de genre dans nos écoles, il y aura toujours des personnes trans. Je pourrais étayer mon argumentaire des multiples statistiques qui montrent la fragilité des jeunes dans la communauté LGBTQ2+ et le danger que ces manifestations posent à la sécurité de plusieurs. Calmement, avec toute ma retenue, je pourrais tenter de sensibiliser mes opposants, leur parler d’amour, d’acceptation et même d’empathie. Pourtant, ce n’est pas l’idée de mon article aujourd’hui. Je m’y refuse. Je ne débattrai pas de quelque chose qui n’est pas débattable, au même titre que je ne débattrai pas à savoir si le ciel est bleu : c’est un fait pas une opinion. Les jeunes de la communauté LGBTQ2+ existent.
Aujourd’hui, je veux rendre hommage à ceux qui ne peuvent qu’écouter ce que les autres disent. Je veux parler de ceux qui encaissent la haine ambiante sans jamais froncer un sourcil, sans jamais flancher. Je veux parler de ceux qui se font casser du sucre sur le dos, mais qui restent coincés dans le silence.
Au cours de ma vie, j’ai fait des rencontres fort intéressantes qui m’auront profondément bousculé, changé. J’ai eu la chance de rencontrer des chefs de gouvernements, des ministres, des acteurs, des personnes avec une certaine prestance et un charisme certain. Pourtant, les personnes qui m’auront toujours le plus marqué sont celles qui donnent sans compter, celles qui veulent tant faire plaisir à ceux et celles qu’elles aiment. Vous savez, ces personnes qui, à leur manière, changent le monde à grands coups de bonté, ces personnes qui ont une vision si douce de la vie, une gentillesse innée. De ces personnes sincèrement spéciales, une me revient en tête aujourd’hui. On l’appellera Clotaire. Clotaire, je ne l’ai vu qu’à deux reprises seulement. Pourtant, dès notre première rencontre, il s’est livré à moi sans complexe, sans orgueil. Après seulement trois quarts d’heure autour d’un verre, il s’était ouvert, parlant ouvertement de lui, de son passé, de son Tahiti natal, de sa famille, de son homosexualité et des défis qui viennent avec. Entouré de l’océan Pacifique, sur sa toute petite île, Clotaire avait grandi dans une famille très religieuse. Une famille aimante, mais une famille qui ne comprenait pas tout, et qui, disons-le, ne souhaitait pas tout comprendre. Donc, entre deux sermons méprisant l’homosexualité, Clotaire aimait en cachette, un autre homme, plus vieux. Ils se voyaient tous les deux sans que personne ne le sache, pour ne pas déplaire, pour apaiser sa famille, sa mère surtout. Pendant que sa famille et son temple religieux accusaient ces lointains homosexuels pour tous les maux du monde, sous leurs yeux, Clotaire, lui, aimait. Je lui ai demandé si un jour il comptait en parler à sa famille. Il m’a regardé, lancé un regard qui voulait tout dire. Non, jamais il n’en parlera. Il continue de choisir le silence dans le vacarme ignorant de sa famille. Il fait don de lui-même à des personnes qui ne le méritent pas. Il choisit de préserver la paix d’esprit de ses parents au détriment de sa guerre interne, bataille qui se déroule en lui et qui le secoue perpétuellement. Il se fait violence par amour de sa famille. Il est fort, plus fort que tous ceux qui brandissent une pancarte dans la rue avec un slogan anti LBGTQ2+. Sans rien demander, sans jamais se plaindre, il protège ses parents religieux qui eux, peuvent se permettre de fermer l’œil la nuit et de dire des choses épouvantables sur les homosexuels, comme leur propre fils. Sans parler, il ne peut qu’écouter, subir.
« Je veux parler de ceux qui encaissent la haine ambiante sans jamais froncer un sourcil, sans jamais flancher. Je veux parler de ceux qui se font casser du sucre sur le dos, mais qui restent coincés dans le silence »
Là où je veux en venir, c’est que parmi nous, un peu partout, certains choisissent de s’ignorer, de se pervertir et de cacher leur vérité. Ils offrent la tranquillité d’esprit aux gens qu’ils aiment, qui peuvent se permettre de continuer leur vie tranquillement, de rester fermes dans leur jugement, et d’aller manifester contre les droits de leurs enfants, sans même le savoir. Leur ignorance haineuse est un cadeau offert par la chair de leur chair. Aujourd’hui, je pense à Clotaire. Je me demande s’il est passé par Sherbrooke et McGill College pendant les manifestations. Je me demande s’il a vu la haine, s’il a continué son chemin, le cœur secret, mais pur. Dans ce cas-ci, ce n’est pas parce que l’autre crie en plein jour qu’il a nécessairement raison. Il ne fait que crier des faussetés. Clotaire, lui, se contente de murmurer sa vérité dans l’ombre. La parole est d’argent, mais le silence est d’or. Clotaire n’est pas seul, on doit le reconnaître et faire attention. Tant que l’enfant de quelqu’un, à Beyrouth, Pékin, Nairobi, ou même Montréal, acceptera de se fermer à son potentiel amoureux pour que les autres projettent leur haine sur ses semblables, il y aura un problème. Tant que l’enfant de quelqu’un pensera qu’il est mieux mort que vivant et écoutant son cœur, il y aura un problème. Tant que l’enfant de quelqu’un cachera son amour à ses parents pour que ceux-ci continuent de détester un ennemi imaginaire, il y aura un problème.
Pendant que certains crient et crachent impunément leur haine, d’autres se taisent en cachant leur amour. En toute honnêteté, je me suis déjà tu aussi. Moi aussi, un jour dans ma vie, j’ai caché ma manière d’aimer, par peur. Une peur que je me suis créée moi- même. Maintenant, je parle. Tant que je parlerai, je tenterai d’être le porte-voix de ces personnes qui aiment tellement qu’elles oublient de s’aimer aussi. Je parlerai pour ceux qui préfèrent faire plaisir aux autres en se faisant guerre que de déranger pour se faire justice. J’aimerai pour ceux qui ne peuvent pas aimer au grand jour, et pour ceux qui ont oublié comment aimer son prochain.