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Des nuages aux abysses

Entrevue avec le duo de musique instrumentale Luminescent.

Clément Veysset | Le Délit

Le 5 octobre dernier, Luminescent sortait son deuxième album Abysses. Ce duo de musique instrumentale, formé en 2015 et basé à Montréal, est composé de deux musiciens aux instruments complémentaires : Pierre-Olivier Bolduc au handpan (percussion mélodique en métal) et Coralie Gauthier à la harpe. Le groupe se distingue par ses sonorités originales mélangeant éléments de musique contemporaine, comme le jazz, et musique ancienne. Le Délit s’est entretenu avec le groupe à l’occasion de ce nouvel album.

Le Délit (LD) : Après un premier album Nuages sorti en 2017, vous voilà de retour avec une nouvelle offre musicale. Comment vous sentez-vous après la sortie d’Abysses ?

Coralie Gauthier (CG) : C’était vraiment l’aboutissement d’un projet à long terme. Cela fait presque deux ans qu’on travaille sur cet album-là, sur l’enregistrement des pièces, le lancement… C’est le fun d’avoir pu montrer ça à tout le monde, aux gens qui nous suivaient depuis notre premier album et qui ont vu l’évolution de notre musique. Ça fait vraiment plaisir.

Pierre-Olivier Bolduc (PB) : On se sent très bien. Un peu épuisés, mais ça s’est très bien passé.

LD : Aviez-vous déjà prévu ce deuxième album après Nuages ?

PB : On savait déjà, mais ça a quand même pris plusieurs années avant que ça se manifeste concrètement. On a eu le soutien du Conseil des Arts de Montréal et du Conseil des Arts et des Lettres pour réaliser l’album, donc c’est ça aussi qui nous a donné un bon élan pour tout faire.

CG : Après notre premier album, on s’est dit qu’on allait en lancer un autre, mais la pandémie a ralenti un peu nos affaires. Finalement, c’était un mal pour un bien, parce que ça nous a permis de pousser nos pièces plus loin, d’y intégrer des musiciens invités et plus d’arrangements, ce qui a donné toute sa complexité au nouvel album.

PB : Notre premier album était vraiment plus relax, les musiques étaient plus lentes et un peu plus douces. Là on est vraiment allés plus dans des influences comme le jazz, la musique indonésienne et la musique indienne. C’est une autre aventure, complètement différente de celle du premier album.

LD : Après avoir exploré le ciel, vous vous tournez vers les océans avec Abysses. Faites-vous un lien particulier entre ces deux univers, en établissant une connexion entre vos deux albums ?

CG : C’était pas nécessairement prévu que cela donne un parallèle entre les nuages dans le ciel et les abysses dans les profondeurs, mais ce sont des univers qui se complètent bien. On est très inspirés par les éléments de la nature. C’est ce qui guide toutes nos inspirations pour nos pièces et notre univers visuel et créatif. C’est pour cela que l’on a choisi d’aller dans les abysses, parce que cela allait super bien avec notre concept de luminescence : des créatures d’océan qui produisent leur propre lumière. On trouvait cela beau comme image d’imaginer que même dans les endroits les plus sombres, on peut trouver une certaine forme de lumière. La pièce thème de notre premier album s’appelait « Nuages », cela nous faisait penser à une mélodie planante, qui flotte.

« On trouvait cela beau comme image d’imaginer que même dans les endroits les plus sombres, on peut trouver une certaine forme de lumière »

PB : On s’est aussi mis dans le mood avec cet album-là. On est allés faire une résidence de création à Marsoui en Gaspésie, au bord de la mer. On a essayé de se mettre dans le contexte des abysses en essayant d’aller chercher des éléments pour nous inspirer. Certaines couleurs musicales évoquent certaines émotions que l’on peut ressentir par rapport aux abysses.

LD : Avez-vous déjà fait de la plongée ?

PB : Je fais beaucoup de snorkelling en surface, mais j’adore l’eau, les sports d’eau. Mon signe astrologique c’est Poissons.

CG : Moi, j’en ai déjà fait une fois et je ne suis pas allée très loin. Je n’ai pas plongé dans les abysses ! C’est une expérience qui a beaucoup marqué mon imaginaire.

LD : Avez-vous une relation particulière avec la nature ?

PB : J’adore la nature, le plein air pour me ressourcer, me connecter. On est proche de la nature.

CG : C’est pareil pour moi. C’est en partie pour me ressourcer, mais c’est aussi une grande source d’intérêt. Je suis une ornithologue amatrice. Quand je vais faire des marches en forêt avec des amis, je suis toujours derrière, parce que je m’arrête partout pour observer et essayer d’identifier les plantes et les insectes. C’est une source infinie de découvertes.

LD : Quelles sont vos inspirations, à part la nature ? Est-ce que les voyages que vous avez fait ont une influence sur vos créations ?

PB : Oui, c’est sûr. Aussi, avec la diversité culturelle qu’il y a à Montréal, on a la chance de rencontrer des gens qui viennent de partout dans le monde. C’est ça, la beauté de la chose. On a pu rencontrer des gens qui viennent de loin, et qui ont pu ajouter des couleurs spéciales à notre album.

CG : On peut prendre l’exemple des gamelans balinais [orchestre traditionnel indonésien composé de xylophones, gongs et tambours, ndlr] qui se retrouvent sur notre album : j’ai découvert cela il y a peut-être dix ans lors d’un voyage en Asie. Je tenais vraiment à aller en Indonésie, parce que je voulais les entendre en direct, car ils me fascinaient. C’est ce qui m’a ouvert l’oreille par rapport à ce style particulier. J’ai aussi eu la chance, après mon baccalauréat en musique à Montréal, de prendre des cours de gamelan. Notre collaborateur Arya est le directeur de l’ensemble de l’Université de Montréal. C’est en écoutant de la musique ensemble que l’on décidait ce que l’on voulait intégrer à notre musique, en fonction de ce qui nous plaisait.

PB : Pour la musique indienne, notre autre collaborateur joue une percussion appelée tabla. Cela fait des années que je m’imprègne de cette culture-là dans ma musique ou dans mon enseignement. Par exemple, là-bas, ils enseignent par la voix, avant même de toucher à l’instrument. Cela crée des formes rythmiques intéressantes, que l’on essaye d’intégrer dans notre musique. On a la chance d’avoir un quartier indien à Montréal. Il y a beaucoup de concerts de musique indienne. Nos instruments se marient bien avec ces influences.

LD : Le handpan est un instrument peu connu, comment apprend-on à en jouer ?

PB : C’est vraiment intuitif. Cela fait des années que je suis musicien, on dirait que les percussions m’ont mené à ça. C’est le rêve d’un percussionniste d’avoir accès à la mélodie. On a l’impression de jouer du tabla ou du gamelan, mais en plus de ça, on a toutes les notes qui permettent de bien accompagner la harpe. C’est un instrument très riche qui permet beaucoup de possibilités, et c’est moins difficile que d’apprendre la harpe, le violon ou le piano. C’est un instrument qui est plus limité sur le plan des notes et des gammes. C’est un nouvel instrument unique, qui a été créé en 2001 en Suisse, puis qui s’est répandu tranquillement. Je ne sais pas si c’est par sa forme ou son son envoûtant, ou un peu des deux, mais beaucoup de gens y portent maintenant de l’intérêt. C’est un instrument intéressant à regarder visuellement et le son est doux. Il y a quelque chose de réconfortant.

« C’est le rêve d’un percussionniste d’avoir accès à la mélodie »

LD : Dans cet album vous explorez de nouvelles sonorités. Qu’est ce qui le différencie du premier ?

CG : Il y a plusieurs choses. On a rajouté cinq instruments que l’on avait pas sur le premier album : les tablas, joués par Saulo Olmedo Evans, les gamelans, joués par Arya Suryanegara, du kalimba, de l’euphone et de la batterie. Cela fait un bel ajout en termes de couleurs, cela a élargi notre palette sonore. Puis, on a voulu intégrer différentes influences. Dans notre premier album, on essayait plus d’établir notre direction artistique, notre style. Dans cet album, on a essayé de repousser nos limites sur les styles et les techniques de jeu. Notre jeu a beaucoup évolué depuis 2017. 

PB : Cela nous a permis de montrer l’évolution de notre jeu et nos influences. Lors de mes débuts au handpan, je ne savais pas trop où j’étais situé, sur le plan de mes influences. J’essayais des trucs. Est-ce qu’on arrive vraiment à se démarquer avec cet album-là ? Cela reste une musique qui est pratiquement unique. Il faut dire que l’on est l’un des seuls duos actifs de harpe et handpan à travers le monde. C’est pas une fusion qui a été vraiment développée encore.

LD : Composez-vous vos morceaux ensemble ?

CG : Cela dépend. Jusqu’à maintenant, on a beaucoup fonctionné à partir de séances d’improvisations. On identifie ce que l’on veut garder. S’il y a des parties qui nous intéressent, on les travaille plus, on les structure et cela finit par faire des pièces. Pour le dernier album, on a fonctionné un peu différemment. Pierre-Olivier composait une pièce et je rajoutais la harpe par-dessus. Puis, je composais une pièce et on ajoutait du handpan par-dessus. On se partage le travail de composition le plus collectivement possible.

« Je ne vais pas savoir ce que je joue, il faut que je fasse confiance à mes mains »

PB : Pour le premier album, je suis arrivé avec beaucoup de mes compositions que l’on a retravaillées. Coralie utilise plus les partitions, moi je suis très intuitif, je ne lis pas la musique. On a deux approches différentes, qui se complètent bien.

CG : Moi, ce projet m’a beaucoup fait travailler l’improvisation et à apprendre les pièces par cœur, parce que je viens d’une formation classique au conservatoire. Cela me fait complètement sortir de ma zone de confort, parce que dans presque toutes nos pièces il y a des longs solos, c’est tout improvisé. Je ne vais pas savoir ce que je joue, il faut que je fasse confiance à mes mains.

PB : Cet album-là m’a donné un grand défi. Cela m’a appris à faire plus de chromatisme [une échelle musicale composée de douze degrés successifs en demi-ton comme les touches d’un piano, ndlr]. Je suis plus percussionniste et on est plus limité pour les mélodies, alors cela m’a un peu appris à plus moduler, à utiliser plus de mélodies.

Vous pouvez retrouver toute la programmation de Luminescent sur leur site internet.


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