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Services légaux gratuits au Kenya

Des étudiants en droit participent au développement agricole kényan.

Eileen Davidson

Depuis début 2021, les élèves de McGill en étude de droit ont la possibilité de fournir des services légaux gratuitement au Kenya. Fondée par Matthieu Chemin, professeur associé en économie à l’Université McGill, l’organisation non gouvernementale EvaLuation IMpact Unit (ELIMU) a mis en place ce projet d’aide légale à distance entre le Kenya et le Canada (Kenya-Canada Remote Legal Aid Project).

Le projet ELIMU

Les étudiants de McGill jouent un rôle clé dans le projet. En effet, ces derniers sont mis en binôme avec des étudiants en droit de l’Université Kenyatta de Nairobi : les étudiants de cette université apportent leurs connaissances du droit kényan et permettent ainsi aux étudiants de McGill d’aider de manière concrète des familles kényanes avec leurs connaissances légales. Les binômes communiquent par visioconférence pour servir leurs bénéficiaires.

« Les personnes sélectionnées au hasard parmi les habitants ont la possibilité d’avoir recours à de l’aide légale gratuite concernant les droits de propriété »

Au total, 10 étudiants de McGill participent au projet en collaboration étroite avec 10 étudiants de l’Université Kenyatta. Le recrutement d’élèves, initialement complexe, est facilité par le département légal de McGill, qui aide à mieux faire connaître le projet. Depuis la mise en place du projet, entre 50 et 70 affaires judiciaires ont été prises en charge par ELIMU. Lors d’une entrevue avec Le Délit, Angela Gitahi, la responsable de projet, nous a affirmé que « la plupart des affaires sont en cours, cependant déjà deux ou trois affaires sont des succès majeurs ».

Ce projet est important pour de nombreuses raisons. À petite échelle, ce projet a un impact direct sur les participants. Ceux-ci sont des habitants de Kianyaga, une zone rurale, dont la population est majoritairement composée de petits agriculteurs, située dans la province centrale du Kenya. Les personnes sélectionnées au hasard parmi les habitants ont la possibilité d’avoir recours à de l’aide légale gratuite concernant les droits de propriété. C’est une opportunité majeure, car de nombreux agriculteurs cultivant à petite échelle n’ont pas de documents officiels de propriété, et sont victimes de puissants propriétaires, qui violent leurs droits. En effet, il est estimé que 30% des terres agricoles sont sujettes à des conflits liés à la propriété. De plus, l’illettrisme et la corruption des institutions limitent la possibilité d’avoir recours à la justice par eux-mêmes. Ainsi, l’aide légale gratuite permet aux agriculteurs d’avoir accès à des conseils légaux, ce qui ne serait pas possible autrement. En effet, les frais d’avocats au Kenya équivalent à 82% des revenus annuels d’un agriculteur. Cet accès est aussi une source d’émancipation pour les agriculteurs, car ils ont la capacité d’agir. Selon Angela, les clients sont touchés de voir que leur situation suscite un intérêt à l’international.

De plus, le projet ELIMU permet aux étudiants mcgillois de mettre en application leurs connaissances. D’après Angela, la pratique permet aux étudiants d’apprendre le métier d’avocat en « apprenant par exemple ce qu’il faut dire ou non ». L’expérience est également enrichissante pour les étudiants sur le plan social. Noémie Richard, assistante cheffe de projet et coordinatrice des étudiants de McGill depuis 8 mois, a été interrogée par Le Délit. Elle affirme que les étudiants ont « l’impression de faire une différence pour des clients qui n’ont pas d’alternatives ».


Au-delà d’ELIMU


Le projet possède également un potentiel important pour le développement à grande échelle. En effet, l’ONG cherche à savoir si l’accès à des services légaux par visioconférence contribue au développement. En augmentant la sécurité des droits de propriété, chacun est incité à investir dans ses terres, car il sait qu’il pourra bénéficier des retours sur son investissement, contribuant ainsi au développement local. Le projet pilote a été prévu pour durer environ cinq ans afin de voir l’impact à long terme de l’accès à des services légaux. ELIMU se base sur une méthode d’essais contrôlés aléatoires. Comme nous l’a indiqué le professeur Chemin, cela signifie que le projet s’articule sur une comparaison entre un groupe traitement qui bénéficie de l’aide d’ELIMU, contrairement à un groupe de contrôle qui n’en bénéficie pas, afin de déterminer les différences entre les deux. Avec l’appui de questionnaires, l’ONG essaie de déterminer si la mise en place du projet a eu un impact significatif sur le développement, en comparaison avec le groupe de contrôle. Cette rigueur scientifique pourrait permettre de déterminer si l’accès aux services légaux est un facteur significatif du développement.

« L’illettrisme et la corruption des institutions limitent la possibilité d’avoir recours à la justice par eux-mêmes »

Si les résultats s’avèrent concluants, le projet pourrait avoir un impact immense. Ce point de vue, partagé par Angela, Noémie et le professeur Chemin, est dû à la reproductibilité de l’initiative. En effet, s’il s’avère que les étudiants ont un impact sur l’accès au droit des agriculteurs, qui encourage l’investissement et le développement du village, alors ce concept pourrait être reproduit dans de nombreux endroits. Le projet pourrait être dupliqué « à travers le Kenya, ou même dans le monde » nous a confié Angela. De plus, cela pourrait s’appliquer à d’autres secteurs que le domaine légal. Comme l’explique Angela, la réplication de ces projets par visioconférence peut mener à « une plus grande collaboration au niveau des échanges d’idées » servant d’« égaliseur ».

En plus de sa grande capacité à être reproduit s’il est concluant, le projet peut avoir un impact sur les politiques gouverne- mentales liées au développement. En effet, des résultats concluants permettraient de recommander des politiques pour les gouvernements de pays en voie de développement. Après l’obtention des résultats de l’expérience, Angela pourra « parler des politiques à mener dans le gouvernement, avec l’aide de données chiffrées ». 

Il est important de noter que ce projet, prometteur, est encore à la phase préliminaire. Cela ne fait que deux ans qu’il a été mis en place. Comme le souligne le professeur Chemin : « Il est encore trop tôt pour avoir des résultats. » Néanmoins, même si les résultats du projet ne permettent pas pour le moment de conclure que l’aide dans le domaine légal contribue directement au développement, cette initiative singulière démontre que les nouveaux moyens de communications jouent un rôle clé dans le partage de connaissances et d’idées.


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