Avertissement : cet article traite des sujets du viol et des violences sexuelles.
Depuis le 7 octobre dernier, les idéologies se fracassent et le monde se polarise. Depuis le 7 octobre, les dirigeant·e·s du monde choisissent leur camp, Hamas ou gouvernement israélien, ils condamnent les violences, s’accusent ou s’allient. Et, quand seulement 26 pays sur 195 dans le monde ont pour chefs d’État une femme, il n’est pas étonnant que les figures du conflit soient masculines. Les chefs d’État des grandes puissances occidentales telles que les États-Unis ou la France, les principaux pays du Moyen-Orient impliqués dans le conflit comme l’Égypte ou l’Iran, et bien sûr les protagonistes du conflit, le gouvernement de Netanyahou et les dirigeants du Hamas, sont des hommes. Ce sont les visages de ces dirigeants que l’on voit défiler dans les médias, des visages qui animent un conflit au sein duquel les femmes ont été oubliées.
Tandis que les femmes jouent un rôle majeur dans la préservation de la paix et des communautés locales, qu’elles sont les premières victimes des conflits armés (en raison de leur statut au sein de la société et de leur sexe), elles sont encore sous représentées et majoritairement exclues des résolutions de conflits, des médiations, des négociations et de la signature des traités de paix. La violence des combats est historiquement masculine, et les corps des femmes deviennent des « champs de bataille », selon Rachel Mayanja, conseillère spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la parité des sexes et la promotion de la femme. Ce n’est qu’en 2000 que l’Organisation des Nations unies (ONU) rédige une résolution qui reconnaît l’impact exacerbé des conflits armés sur les civils, en particulier les femmes et les filles, et réaffirme l’importance indéniable de leur rôle dans la préservation de la paix et les résolutions de conflits. L’ONU rédige alors la résolution 1325, qui vise à garantir la protection et la pleine participation des femmes aux accords de paix. Bien que des progrès aient été faits, encore aujourd’hui, les horreurs de guerre qui touchent les civils, au Proche-Orient et en Ukraine par exemple, maltraitent doublement les corps des femmes et des filles.
Violences au Proche-Orient
La violence s’abat sur les israélien·ne·s et palestinien·ne·s depuis le 7 octobre dernier. Des femmes, des hommes et des enfants sont assassiné·e·s et torturé·e·s. Les femmes et les filles sont également victimes de violences sexuelles et de viols, des actes qui en plus d’être la cause de polytraumatismes individuels, ont des conséquences terribles à long terme sur les populations. Lors de son opération « Déluge d’Al-Aqsa », lancée le 7 octobre depuis la bande de Gaza par le Hamas, de nombreux·ses isréalien·ne·s sont pris·e·s en otages, dont de nombreuses femmes et des enfants, notamment lors de l’attaque de la rave party. Le Hamas publie ensuite des images horrifiantes des enlèvements et des assassinats des femmes retenues en otages, dur rappel que cette guerre en est aussi une d’images. Les violences envers les femmes ont longtemps été utilisées comme arme de guerre, pour humilier l’adversaire. En filmant ses victimes, le Hamas matérialise le pouvoir qu’il tente d’avoir sur la population israélienne, dans un contexte où les femmes incarnent une certaine vulnérabilité aux yeux de toutes les sociétés et cultures historiquement patriarcales.
Le 9 octobre, en réponse aux attaques du Hamas contre Israël, le gouvernement de Netanyahou annonce un « siège complet » de la bande de Gaza, soit un blocus sur les entrées de nourriture, de carburant et d’eau, et la fermeture de tous les points de passage. La bande de Gaza était déjà assujettie à un blocus partiel depuis 2007. Ce siège empêche ainsi l’aide humanitaire de venir en aide à la population locale, et réduit considérablement les capacités des hôpitaux. L’ONU Femmes, qui vient en aide aux femmes et filles de Gaza depuis 1997, a publié un rapport selon lequel la crise mène à « des risques et degrés plus élevés de violences envers les femmes et les filles , des pertes de terres et de logements qui impactent plus sévèrement les foyers dirigés par des femmes (notamment en raison de lois en Palestine qui imposent aux femmes d’être sous la protection et la tutelle des hommes (tdlr) ». Il y aurait également des « risques plus élevés d’exploitation sexuelle, de trafic de personnes et de mariages forcés ».
Les femmes âgées, particulièrement celles vivant avec un handicap, feront face au degré de violence et de négligence le plus élevé. Les structures sociales et économiques palestiniennes et israéliennes aggravent les conséquences du conflit pour les femmes, notamment les femmes déplacées. L’ONU Femmes révèle également le 20 octobre 2023 que 50 000 femmes situées dans la bande de Gaza sont enceintes, dont 5 522 qui devraient mettre au monde leur enfant dans le mois qui vient.
Malgré les condamnations des organisations internationales, les violences envers les femmes dans les conflits armés de nos jours sont particulières et renforcent leur vulnérabilité face au conflit, même lorsqu’elles ne sont pas le produit de stratégies de guerre.
Le viol comme arme de guerre
Les viols massifs en temps de guerre ne sont pas seulement les conséquences des barbaries et cruautés des soldats plongés dans la violence ; ils constituent également une stratégie de guerre délibérée pour inciter la population ennemie à se soumettre. Ces atrocités, qui brisent silencieusement les populations féminines, constituent un « secret » de l’histoire qui touche toutes les cultures. Margot Wallström, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies chargée de la violence sexuelle en situation de conflit entre 2010 et 2012, avait justement dénoncé que « le viol n’a pas de culture, il n’y a que des cultures de l’impunité ». Pramila Patten, qui occupe la même position que Margot Wallström en 2023, affirme dans un documentaire Arte que les chiffres référençant les violences sexuelles et les viols ne reflètent jamais la réalité, car il s’agit d’un des crimes les plus silencieux, auquel la communauté internationale ne prête pas assez attention, et qui reste ainsi, dans la majorité des cas, impuni. Les viols systématiques des femmes et des filles furent notamment perpétrés en Bosnie, au Congo, en Syrie, en Irak, au Nigeria et en Ukraine.
« Le viol n’a pas de culture, il n’y a que des cultures de l’impunité »
Margot Wallström, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies
En 1949, le viol comme stratégie de guerre est reconnu et condamné pour la première fois dans la Convention de Genève, sans pour autant qu’un plan d’action pour lutter contre l’horreur soit mis en place. La première condamnation concrète remonte à 1994 lorsque la Cour Pénale Internationale, qui reconnaît le viol comme crime de guerre, juge le génocide rwandais, et parle de « viols systématiques ». Des centaines de milliers de femmes avaient alors été victimes de viols et les conséquences dévastatrices de ces horreurs sont difficiles à quantifier. Néanmoins, cette arme de guerre des plus inhumaines ne s’est pas arrêtée.
« Les mots pleins d’humanité et de raison n’ont aucun pouvoir face à la violence brutale des armes, tant que l’impunité perdure et que les violences demeurent invisibilisées »
À partir de 2009, au Nigeria, Boko Haram, une secte djihadiste armée, capture des milliers de femmes qui deviennent des esclaves sexuelles, sont mariées de force et soumises à des violences extrêmes. Puis, après avoir libéré de nombreuses femmes, l’armée nigérienne les soumet, à partir de 2013, à des avortements forcés, considérant les enfants des viols de Boko Haram comme de potentiels futurs terroristes. Les femmes et filles nigériennes se sont ainsi retrouvées piégées entre des violences sexuelles systématiques, infligées par des groupes ennemis aux idéologies patriarcales pourtant sœurs.
Aujourd’hui, en Ukraine, de nombreux témoignages, tout aussi glaçants les uns que les autres, commencent à dénoncer les violences sexuelles et viols que les femmes ukrainiennes subissent. Comme le révèlent certains récits, il pourrait aussi s’agir de violences systématiques.
Le féminisme devient une préoccupation moindre en temps de guerre, quand les populations tentent avant tout de survivre. Le combat féministe est alors souvent annihilé. La cruauté humaine, exacerbée en temps de guerre, laisse libre court à la domination physique masculine. Les mots pleins d’humanité et de raison n’ont aucun pouvoir face à la violence brutale des armes, tant que l’impunité perdure et que les violences demeurent invisibilisées. Le corps des femmes ne peut pas toujours être le déversoir de la haine, et tandis que l’on s’arrache à justifier les actes des uns et des autres ; ce sont toujours les civils, les femmes, les enfants et les classes sociales défavorisées qui en subissent les conséquences à long terme.