Le mercredi 25 octobre dernier, les étudiants de McGill se sont rassemblés pour exprimer leur solidarité envers la cause palestinienne et demander à l’administration « d’écouter les avis des étudiants et d’agir en conséquence (tdlr) ». Le groupe de Solidarité pour les Droits Humains Palestiniens (SPHR) a organisé ce rassemblement sur le campus de McGill pour dénoncer les bombardements israéliens, qui ont causé plus de 8 000 morts palestiniennes. Le siège total imposé par Israël a jusqu’à présent forcé 1,4 million de Gazaouis à se déplacer au sein même de la bande de Gaza.
McGill et le gouvernement canadien sous pression
Ce mercredi, vers 14 heures, devant le bâtiment des arts McCall MacBain de McGill, des centaines de personnes ont répondu à l’appel de la SPHR en se réunissant pour montrer leur soutien à la Palestine. Le groupe a appelé au « désinvestissement immédiat de l’Université vers les fabricants d’armes qui soutiennent le génocide israélien à Gaza » et demande que McGill se positionne en faveur de l’arrêt du siège de Gaza, et l’arrêt du soutien financier canadien et américain pour Israël. Enfin la SPHR appelle à « cesser les programmes d’échanges avec les institutions israéliennes et couper les liens avec les donateurs sionistes ».
Du début à la fin de la marche, des membres de la SPHR ont déclaré dans un microphone « Libérez, Libérez », laissant place à la réponse « Palestine », de la foule. Plusieurs personnes – y compris des étudiants, d’anciens élèves de plusieurs associations et des professeurs – ont pris parole afin de questionner ce qui peut être fait pour réellement s’éduquer et participer activement à la justice sociale. Parmi les orateurs, Lucas*, un membre de La Riposte Socialiste, a pris le micro pour dénoncer ce qu’il considère comme une deuxième Nakba – en référence à l’exil de 700 000 Palestiniens en 1948. Lucas a appelé les étudiants qui souhaitent soutenir la lutte palestinienne à se joindre à des groupes syndicalistes, et a souligné le fait qu’un cessez-le-feu ne suffit pas. Il a affirmé : « Je ne veux pas revenir au statu quo du 6 octobre. Ce n’était pas la paix, c’était la guerre sous un autre nom. » Il pointe du doigt le gouvernement canadien ainsi que le Conseil d’administration de McGill. Lucas considère que ces derniers « profitent de l’assujettissement, de l’oppression et du meurtre continus des Palestiniens ». L’un des orateurs a fait référence à d’autres combats, comme celui contre la colonisation des continents de l’Amérique et de l’Afrique. « Notre mémoire collective est terriblement courte et nous oublions souvent les atrocités commises au nom de la conquête de territoires. » Entre ces discours, des chants et des slogans tels que « McGill, McGill, prends position, ne soutiens pas les terres volées » et « Solidarité avec la Palestine » ont résonné sur le campus.
Un peu plus tard dans l’après-midi, les manifestants se sont dirigés vers le bâtiment des Arts pour de nouveaux discours. Des participants considèrent qu’il y avait environ 700 personnes présentes à ce moment-là. Au même moment, les Mères Mohawk, un collectif de mères autochtones présentement en procès contre McGill, sont intervenues pour afficher leur solidarité avec la Palestine. Kwetiio, l’une des Mères Mohawk, sortait d’une conférence d’information à McGill, et a rejoint le rassemblement palestinien. Invitée aux côtés des orateurs, elle a fait un lien entre la cause menée par les populations autochtones – y compris les Mères Mohawk – et celle des Palestiniens face à Israël. « Nos terres sont violées et c’est inacceptable. C’est pour cela que nous sommes là, pour nos terres. » Leur combat a été grandement honoré par des orateurs du rassemblement pro-palestinien, qui leur ont dit : « Vous nous apprenez le sens de la résilience. Nous avons de l’admiration pour vous. » Ensuite, les manifestants ont marché et se sont rassemblés devant l’entrée du bureau de l’administration James, où ils ont continué les discours et ont entrepris un sit-in pour confronter l’administration. Une dizaine d’étudiants – pour la plupart masquant leur visage pour cacher leur identité – se sont assis devant les portes du bâtiment pour empêcher l’administration de sortir. Un manifestant a grimpé sur les échafaudages du bâtiment pour y accrocher un drapeau palestinien. La professeure d’histoire islamique, Rula Abisaab, a exprimé une grande fierté de la jeunesse présente, « qui lève la voix et dit “non” au génocide, “non” à l’injustice raciale, “non” au colonialisme et “non” à l’apartheid ». Le professeur en sciences politiques et philosophie, William Clare Roberts, a également effectué un discours condamnant le manque de réactivité de nos gouvernements : « Nous devons nous adresser aux humains et non aux États qui ne réagissent pas. Nous devons les réveiller. Nous devons obliger notre gouvernement à arrêter la guerre ». L’Association étudiante des études du monde islamiques et du Moyen-Orient (WIMESSA) s’est exprimée lors d’un discours pour dénoncer l’administration de McGill, qui a appelé à « faire preuve de compassion en ces temps de grands tumulte » mais qui, selon WIMESSA, n’a pas, une seule fois condamné explicitement le génocide commis par l’État d’Israël. L’association a rappelé le rôle majeur des associations étudiantes et de l’activisme étudiant dans l’histoire de McGill. Dans une entrevue avec Ruby, nouvelle membre la SPHR, elle a affirmé avoir assisté à la manifestation, car « il est nécessaire que McGill comprenne que nous ne resterons pas les bras croisés pendant que notre Université soutient un génocide ».
« Notre mémoire collective est terriblement courte et nous oublions souvent les atrocités commises au nom de la conquête de territoires »
Des réactions variées à McGill
Cette manifestation n’a toutefois pas fait l’unanimité au sein de la communauté étudiante de McGill. La communauté juive pro-israélienne de McGill a démontré sa solidarité avec Israël, à la suite des 1 400 morts, victimes des attaques du Hamas. À côté du rassemblement, des étudiants présents sur le campus ont débattu avec des petits groupes de manifestants sur la notion de génocide et sur la convenance de certains messages inscrits sur des pancartes. Un des étudiants n’était pas d’accord avec la pancarte inscrivant « Israël est un État d’apartheid », et a ainsi déclaré que « nous existons [la communauté juive, ndlr] depuis 3 000 ans, et nous avons été expulsés d’Israël ». Quelques heures plus tard, Le Délit s’est entretenu avec Julia*, une étudiante juive prenant régulièrement part aux événements de Chabad – une organisation qui offre des dîners de Shabbat, met en place des événements pour les fêtes juives et d’autres activités sociales pour les étudiants juifs de McGill et de Concordia.
Julia nous a fait part de ses inquiétudes quant à la croissance de l’antisémitisme sur le campus et à Montréal depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas. Interrogée sur son sentiment de sécurité sur le campus, Julia a d’abord mentionné : « J’ai récemment commencé à m’habiller plus visiblement comme une femme juive et je porte fièrement mon collier en forme d’étoile de David. Je ne vois aucune raison de cacher mon appartenance à la communauté juive. » Puis, elle nous a fait part d’un événement qui a eu lieu la semaine dernière sur le campus : « Alors que je participais à une table d’information avec Chabad la semaine dernière, la plupart des passants étaient respectueux, mis à part un incident qui m’a choquée ; plusieurs étudiantes portant des keffiehs (foulards traditionels arabes, dont la déclinaison en noir et blanc est utilisée comme symbole national palestinen) se sont subtilement rassemblées autour du stand et ont commencé à prendre des vidéos de nous. Quinze minutes plus tard, un étudiant est passé devant la table et a crié “les Juifs sont dégoûtants, Israël devrait mourir” en arabe, puis a commencé à cracher sur nous.»
Selon Julia, l’administration et la sécurité du campus ont ouvert une enquête.
La SPHR condamnée par McGill
Dans un courriel adressé à toute la communauté mcgilloise par le vice-principal exécutif, Christopher Manfredi, le 10 octobre dernier, McGill a annoncé s’être dissociée de la SPRH. L’administration de McGill a condamné des publications faites par la SPHR, considérant que celles-ci célébraient des actions de terreur et de violence, et a révoqué le droit de la SPHR d’utiliser le nom de l’Université. Les participants de la manifestation ont exprimé que cette décision met en évidence la position pro-israélienne de l’Université. SPHR a souligné l’importance
de la liberté d’expression dans le milieu académique, et aussi dans des lieux publics, au sein et hors du campus. Ruby estime qu’« en affirmant que la SPHR soutient le terrorisme, McGill ignore le contexte de violence historique exercée sur les Palestiniens par l’occupation israélienne depuis 75 ans ». Interrogée sur sa réaction face à la réponse de l’Université, Julia a observé que « la déclaration du vice-principal Manfredi était justifiée, et je suis heureuse qu’il ait reconnu qu’elle était nécessaire. Je pense que l’administration doit faire davantage pour responsabiliser les étudiants qui tiennent des propos haineux. »
Contactée par Le Délit pour réagir sur les accusations portées lors de la manifestation, l’Université nous a répondu qu’à l’heure actuelle, « notre priorité porte sur le maintien d’un discours respectueux et sur la préservation du bien-être de notre communauté universitaire ».