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La version française suivra

Déclin de la langue française et augmentation des frais de scolarité.

Rose Chedid | Le Délit

Comme une grande partie de la communauté mcgilloise, j’ai appris avec une grande frustration la décision du gouvernement Legault de presque doubler les frais de scolarité des étudiants canadiens venant de l’extérieur du Québec, en plus d’établir à 20 000$ le tarif plancher imposé aux étudiants internationaux. Cette politique envoie un message bien clair aux étudiants des autres provinces : vous n’avez pas ce qu’il faut pour contribuer positivement à la société québécoise, et n’y êtes pas les bienvenus.

J’ai toujours été une amoureuse de la langue française, reconnaissante de la richesse qu’elle apporte à la société québécoise. Comme plusieurs, son déclin me préoccupe, et j’applaudis notre gouvernement lorsqu’il soutient les artistes francophones ou qu’il remet en question l’hégémonie des géants médiatiques comme Netflix et Spotify. Cependant, je ne suis pas du même avis lorsqu’il s’agit de partir en guerre contre le milieu académique. Certes, McGill est une université anglophone, mais c’est avant tout une institution d’éducation et de recherche, qui valorise les talents d’individus de toutes les origines. La protection de la langue française n’est pas une justification pour limiter le potentiel de ceux qui la fréquentent.

Le lien entre l’augmentation des frais de scolarité des étudiants non francophones et la survie de la langue française est au mieux approximatif, sinon complètement absurde. McGill continuera d’exister et de faire vibrer la communauté anglophone montréalaise qui gravite autour d’elle, malgré le risque d’une diminution des inscriptions de la part des étudiants canadiens hors Québec. Les étudiants des autres provinces qui s’y inscriront proviendront simplement de milieux plus aisés, contribuant à isoler davantage l’Université du commun des Montréalais.

Ce que j’apprécie à McGill, c’est de pouvoir côtoyer des étudiants de la Colombie-Britannique, de l’Ontario, des États-Unis, et d’ailleurs dans le monde, qui sont issus de toutes sortes de réalités sociales, incluant la classe moyenne. Nous nous rejoignons. L’augmentation des frais de scolarité produira un milieu paradoxal, où des Québécois francophones étudieront aux côtés d’étudiants canadiens fortunés, une perspective qui me rend très mal à l’aise. Un tel scénario créera une culture d’exclusivité problématique : les étudiants qui peuvent se permettre de dépenser 17 000$ en frais de scolarité n’ont pas plus de potentiel que ceux qui n’ont pas cet argent ; mais, ce qui fait la force d’une communauté étudiante, c’est la diversité d’expériences et de perspectives de ses membres. Au final, McGill continuera d’attirer sa population d’étudiants anglophones, mais celle-ci sera largement différente. Les étudiants hors Québec au potentiel académique supérieur seront pénalisés au profit de ceux plus riches, mais pas forcément plus prometteurs.

S’il est fort plausible que la hausse des frais de scolarité sera néfaste au milieu académique, elle soulève néanmoins un débat crucial : la place des universités anglophones, particulièrement McGill, au sein de la société québécoise francophone. J’invite ceux qui connaissent mal ce sujet à se pencher sur l’histoire des relations entre l’Université McGill et la population francophone du Québec. Jusqu’aux années 1970, McGill disposait d’un budget de recherche et d’une capacité d’accueil plus élevés que toutes les universités francophones réunies, et ce, malgré le poids démographique beaucoup moins important de la population anglophone. En effet, entre 1936 et 1975, 41% des diplômés universitaires de la province provenaient d’institutions anglophones, alors que la communauté anglophone ne représentait que 20% de la population québécoise.

L’accès à l’enseignement supérieur était extrêmement limité pour les cégépiens francophones, dans un contexte où il existait un fossé socio-économique important entre l’élite anglophone et la majorité francophone. Au tournant des années 1960, les francophones ne dirigeaient que 5% des grandes entreprises présentes sur le territoire, et la communauté anglophone, quant à elle, pourvoyait 70% de la main‑d’œuvre hautement qualifiée du secteur manufacturier. Dans la région de Montréal, il est estimé que les francophones gagnaient entre 24 à 38% de moins que les travailleurs d’expression anglaise. En tant qu’institution d’enseignement supérieur dans la province, l’Université McGill était vue comme un mécanisme de reproduction de ces inégalités et un symbole de la domination des intérêts anglophones sur l’économie québécoise. Un mouvement important pour la francisation de McGill a d’ailleurs eu lieu, avec le soutien notoire du journal The McGill Daily. À l’époque, laisser entrer le français à McGill revenait à démocratiser la société québécoise et à s’attaquer aux injustices perpétrées contre la classe ouvrière.

Aujourd’hui, les inégalités sociales n’ont plus cette dimension linguistique, et le Québec jouit d’un réseau universitaire francophone accessible et d’excellente qualité. Cependant, McGill est demeurée pour plusieurs un symbole d’exclusion des francophones, principalement auprès des générations qui ont connu ces luttes sociales. Selon moi, la mesure d’augmentation des frais de scolarité proposée par la CAQ, et surtout la représentation des universités anglophones comme bouc émissaire du déclin du français, peut être interprétée à travers la perspective de ce long historique d’animosité.

« L’Université McGill était vue comme un mécanisme de reproduction de ces inégalités et un symbole de la domination des intérêts anglophones sur l’économie québécoise »

J’ai aussi l’impression que plus de 50 ans après l’opération McGill Français, l’Université McGill n’a pas démontré davantage d’ouverture envers la société francophone dans laquelle elle évolue. À McGill, la langue française est au bas de la page, mal orthographiée, et des étudiants de troisième année de baccalauréat se retrouvent surpris et déçus lorsqu’ils constatent qu’il sera difficile pour eux de trouver un stage à Montréal, compte tenu du fait qu’ils ne parlent pas le français. Je suis cependant loin de blâmer les étudiants hors Québec qui sous-estiment parfois l’importance d’apprendre le français pour s’intégrer à la province : personne ne leur a expliqué. Avant de débuter ma première session, j’ai assisté à une réunion pour les nouveaux étudiants portant sur la vie étudiante à McGill et à Montréal en général. Alors que la présentatrice avait offert une description détaillée et enthousiaste des avantages de vivre dans ce milieu multiculturel et ouvert sur le monde, elle n’a évoqué la place du français au Québec qu’une seule fois : « Lorsque vous marcherez dans la rue », nous avait-elle avertis, « vous entendrez parler anglais, français, et toutes les langues du monde ! »

« Le lien entre l’augmentation des frais de scolarité des étudiants non-francophones et la survie de la langue française est au mieux approximatif, sinon complètement absurde »

En présence de futurs étudiants, dont plusieurs n’avaient encore jamais mis les pieds dans la province, le Bureau des Admissions a exprimé ce que j’ai perçu comme un profond déni de l’identité francophone de la province. Les affiches unilingues promouvant la mineure en études québécoises, un programme qui dit connecter ses étudiants à la société québécoise, a également retiré toute mention de la langue française dans sa description, qui va comme suit : « [Le Québec] est le foyer d’un mélange de cultures dynamiques, de langues, de Premières Nations et autres peuples autochtones, ainsi que d’une diversité régionale incroyable (tdlr). » Alors que je salue la place que cet aperçu réserve aux peuples autochtones et à l’incroyable diversité culturelle dont jouit la province, je me demande pourquoi on a considéré son héritage francophone comme si peu important qu’on s’est permis de l’omettre entièrement. Comment peut-on s’attendre à ce que les étudiants internationaux s’intègrent réellement au Québec si on leur cache une caractéristique élémentaire de la province, seul territoire du continent nord-américain ayant le français comme unique langue officielle ? Surtout, pourquoi McGill se prive-t-elle de mettre l’accent sur la valeur ajoutée du français dans ses activités promotionnelles ?

Augmenter les frais de scolarité des étudiants des autres provinces canadiennes n’est pas un moyen de les intégrer à l’économie et à la vie au Québec. Pour cela, il faudrait mieux les accueillir ; leur donner les outils nécessaires et leur permettre de comprendre réellement le contexte dans lequel ils sont venus s’installer. Il faut créer des ponts entre le monde francophone et les universités anglophones au lieu de les ostraciser. Du côté de l’Université McGill, il y a un long travail à accomplir pour redéfinir sa place dans la société québécoise : elle doit corriger ses erreurs du passé en ouvrant ses portes à la langue et à la culture francophone.

En recherchant des destinations pour ma session à l’étranger, j’ai remarqué que les deux universités suédoises avec qui McGill est en partenariat, Lund et Uppsala, demandaient que tous ses étudiants étrangers, à défaut de démontrer une connaissance préalable de la langue suédoise, rejoignent des cours offerts gratuitement par l’université. Des systèmes équivalents existent dans de nombreux établissements à travers le monde pour permettre à des étudiants d’exceller dans leur domaine, tout en ayant la possibilité de s’installer et de travailler dans la société d’accueil après leur graduation. On ne devrait pas réduire le potentiel d’un étudiant à la langue qu’il parle, mais bien à son excellence académique et ses qualités personnelles – l’intégration peut venir après.


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