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France-Québec : regards croisés sur l’actualité

Layla Lamrani | Le Délit

Dans un communiqué diffusé le 2 novembre dernier, le Principal et vice-chancelier de McGill Deep Saini a expliqué que la hausse des frais de scolarité pour les étudiants canadiens hors province incite l’Université « à élargir [sa] clientèle provenant du Québec et d’autres pays du monde pour combler le manque à gagner ». Un tel objectif de la part de McGill d’accroître sa clientèle internationale, quelle que soit sa langue parlée, semble s’écarter des efforts déployés par la Coalition Avenir Québec (CAQ) pour franciser Montréal. La décision gouvernementale de ne pas augmenter les frais de scolarité pour les étudiants français, annoncée le 14 octobre dernier, semble s’inscrire dans la même lignée que l’objectif du gouvernement Legault d’atteindre une immigration 100% francophone au Québec d’ici 2026. La proportion importante de Français à Montréal ainsi que la possible augmentation de leur immigration d’ici les prochaines années soulève parfois des interrogations concernant la pérennité de la culture québécoise.

Et au Délit ?

La division sur la question de la langue permet d’interroger la place diversifiée du français au sein de McGill, mais également au sein de l’équipe du Délit. Si les étudiants français venaient à devenir plus importants à McGill, est-ce que cela créerait un enjeu de représentativité au sein de l’équipe éditoriale ? Comment les biais des étudiants français influencent-ils la couverture de l’actualité québécoise ?

Dans une université où la présence québécoise demeure majoritaire, dix des éditeurs au Délit sont français alors que seulement huit sont québécois. Ce déséquilibre peut être justifié du point de vue de la répartition linguistique, puisqu’une bonne part des étudiants québécois à McGill sont anglophones unilingues.

Cette explication est sans doute à elle seule insuffisante pour rendre compte d’une autre réalité socio-économique à McGill, qui concerne les francophones d’ici et d’outre-mer. Les frais de scolarité en France demeurent extrêmement bas en comparaison de ceux déboursés à McGill. La majorité de ces étudiants font donc le choix de payer plus cher pour poursuivre des études supérieures à l’étranger. Cette tranche d’étudiants, dont les moyens financiers sont plus élevés, peut donc davantage se consacrer à des engagements parascolaires. Les étudiants québécois, contrairement aux étudiants français, préfèrent souvent un emploi mieux rémunéré à une implication étudiante qui, bien que stimulante, s’avère chronophage.

Les journaux étudiants comme le nôtre sont également limités dans leur capacité de diffusion. La présence d’organisations étudiantes s’étend rarement en dehors de la bulle restreinte des universités, et lorsqu’elles font la une des grands médias, c’est souvent pour réaffirmer leur statut précaire. Pour Le Délit, ce défi de diffusion se double d’une mission ardue de recruter de nouveaux membres au sein des quelque 8 000 étudiants dont la langue maternelle est le français à McGill. Et au sein de cette population, 2 100 étudiants sont d’origine française et représentent un peu plus que le quart de la population totale francophone de l’Université.

Il n’est peut-être donc pas étonnant de dénombrer 4 315 visiteurs français contre 4 078 visiteurs canadiens sur le site web du Délit, selon les chiffres du mois d’octobre 2023. Mais comment expliquer une telle disparité ? Est-ce seulement parce que les étudiants d’origine canadienne sont plus portés à lire la presse étudiante anglophone, comme The Daily ou The Tribune ? Ou est-ce que les angles de couverture du Délit rejoignent davantage les préoccupations françaises ?

Il semble hâtif de trancher pour l’un ou pour l’autre. Quoi qu’il en soit, à leur arrivée au Délit, les Français semblent davantage portés vers une couverture internationale et moins intéressés par l’actualité québécoise. Cela soulève la question des choix de sujets, qui devraient être orientés vers une couverture locale. Les Français ont-ils le pouvoir d’effacer leurs biais vis-à-vis de l’actualité québécoise ?

Nous sommes d’avis que oui, mais cela demande un effort de conscientisation de ces biais. L’intérêt de faire partie du Délit pour un étudiant international, comme pour toute autre organisation étudiante, c’est de s’ouvrir aux événements et aux problématiques qui font la spécificité de la culture québécoise. Sans nécessairement s’y identifier, on peut faire le travail d’essayer de comprendre la culture de l’autre, afin d’amorcer un dialogue avec sa propre culture d’appartenance. Plutôt que de considérer l’origine française des membres du Délit comme un frein à la représentativité québécoise, nous valorisons la diversité des points de vue qui font la ligne éditoriale du Délit. Il nous importe de continuer dans cette voie en rendant compte de manière juste des différentes réalités qui constellent le contexte mcgillois.


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