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Céline Wachowski, la chute

Que notre joie demeure : Critique du dernier livre de Kevin Lambert. 

Clément Veysset | Le Délit

Que notre joie demeure paru en septembre 2022, est le troisième roman de l’écrivain québécois Kevin Lambert. Sélectionné pour le prix littéraire français le Goncourt, il a finalement remporté le prix Médicis en novembre dernier.

Que notre joie demeure est le récit d’une chute : celle de Céline Washowki, une architecte montréalaise, qui devient une icône populaire internationale jusqu’à ce qu’elle tombe subitement après des accusations sur le rôle qu’un de ses projets aurait joué dans la gentrification de la ville. Kevin Lambert nous plonge dans des trames qui se croisent et se superposent. Celle de Céline d’abord, et plus largement, celle d’une élite qui cherche à tout prix à conserver et à justifier ses privilèges ; celle d’une génération en mal d’idéaux ; et enfin, celle de Montréal, le portrait d’une ville qui vit et se transforme, de sa pauvreté à ses lofts. Le roman se déroule en trois parties : la découverte de Céline, de sa célébrité plébiscitée ; sa chute ; et enfin, ses questionnements et sa transformation.

Magnétique et froide

Lors d’une soirée « sélect » montréalaise, dans un penthouse avec vue sur le Mont-Royal, Céline fait son apparition. Respectée, crainte et haïe, son arrivée ne passe pas inaperçue. Les conversations se tarissent, les regards se tournent et restent fixés, comme magnétisés par l’élégante architecte de 70 ans. Dans sa prose ininterrompue, brisant les frontières géographiques et temporelles, Kevin Lambert nous propulse dans la peau des différents invités et inspecte les tréfonds de leurs âmes, dressant des portraits complexes, profonds et moqueurs d’un entre soi. Le commentateur radio, l’artiste en vogue, l’ex-premier ministre, la journaliste, tous craignent cette dame froide, ce « robot tyrannique » comme certains la décrivent, mais tous meurent d’envie de lui parler, rêvent d’un sourire, ou d’un mot de sa part. Céline, c’est une étoile partie de rien qui s’est élevée au-dessus de la masse. Malgré sa célébrité, elle sait d’où elle vient, elle veut inspirer une nouvelle génération d’architectes, renouveler un milieu encore trop masculin, trop macho. Céline a une conscience de classe : l’architecture, c’est pour elle « l’art du peuple » capable de s’inscrire dans l’énergie d’un quartier, d’améliorer le quotidien des gens. « Ô que sa joie demeure ».

« L’histoire de Céline est celle d’une chute que seule notre époque peut produire, une chute subite qui divise et interroge »

La chute

Dès la deuxième partie du roman, Céline chute, rattrapée par le projet qu’elle développe sur le flanc du Mont-Royal, lequel est accusé de gentrifier la ville. La polémique grossit, cristallisant les mécontentements, et Montréal se soulève, entraînant Céline avec elle, au moment où la COVID secoue la province. Du jour au lendemain, sa vie bascule ; ses amis et ses connaissances ne répondent plus à ses appels, elle est évincée de sa propre entreprise, son passé est scruté à la loupe. D’icône, Céline devient l’ennemie d’une jeunesse militante. Elle est la milliardaire responsable de la gentrification, l’oppresseur à abattre.

Désormais seule, Céline doute. Est-elle cette personne tyrannique, cruelle que l’on décrit ? Est-elle
responsable des maux dont on l’accuse ? Ce projet vient dynamiser un quartier, attirer une population qualifiée et créer de nombreux emplois, les fous qui l’accusent finiront par se réveiller. Elle est du bon côté de l’histoire et compte bien le prouver. Lors d’une soirée d’anniversaire, entourée des rares qui ont accepté l’invitation, Céline reprend goût à la vie. Mais une foule cagoulée pénètre dans son dernier refuge, sa maison, où elle a patiemment entreposé ses souvenirs, et détruit tout. Dans les dernières pages, telle une somnambule, Céline se réveille et se range du côté des opprimés. Mais la transition est imparfaite, est-ce seulement par jeu ou par facilité ?

À nouveau humaine

Si le début de Que notre joie demeure dresse le portrait d’une célébrité charismatique et froide, dans sa chute, Céline redevient humaine. Des sentiments complexes l’assaillent, elle doute, apparaît vulnérable. Dans ce portrait de l’élite montréalaise et de l’une de ses étoiles, Kevin Lambert propose une description complexe, vivante, et ambigüe de personnes qui luttent pour justifier leurs privilèges, et de leurs détracteurs. L’histoire de Céline est celle d’une chute que seule notre époque peut produire, une chute subite qui divise et interroge. Dans une prose inimitable, à la fois saccadée, précise et lyrique, ce livre nous fait vivre une histoire qui résonne en nous, et nous
amène à nous questionner sur la place de cette élite mondiale dans notre imaginaire.


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