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Intégrer Montréal par les salles de spectacle

La musique peut-elle aider à promouvoir la culture montréalaise à McGill ?

Clément Veysset | Le Délit

Certains étudiants anglophones de McGill se sentent aliénés par l’environnement dans lequel se trouve l’Université, réticents à s’immerger dans la culture francophone montréalaise. Il deviendra impératif de réduire ce clivage culturel et linguistique à travers la musique, en vue de nombreuses politiques gouvernementales de francisation.

Obstacle à l’intégration de McGill

McGill semble exister dans son propre écosystème, communément appelé « the McGill bubble », ou « la bulle McGill ». Malgré son emplacement en plein centre de Montréal, l’Université est isolée du reste de la ville, et ses étudiants hors province et internationaux semblent rarement interagir avec les quartiers francophones. Cependant, des mesures imposées par le ministère de l’Éducation du Québec dès le semestre d’automne 2024 demanderont à 80% des étudiants de premier cycle d’acquérir un niveau intermédiaire de français avant la fin de leur scolarité. Le maintien de la division entre McGill et Montréal ne pourra pas persister face à la francisation prônée par ces mesures. 

Pour mieux comprendre la source de cette séparation, je me suis entretenue avec Molly Spisak et Ady Jackson, deux étudiantes anglophones à McGill. Molly, d’origine américaine, et Ady, venant de la Saskatchewan, étudient à McGill depuis deux ans, mais ne maintiennent qu’un niveau débutant en français. Selon elles, la langue française, un outil essentiel pour aborder une grande partie de la culture québécoise, reste inaccessible à beaucoup d’étudiants. Bien que McGill offre des cours de français intensifs et d’histoire québécoise, « ceux-ci sont exigeants, et souvent incompatibles avec d’autres programmes (tdlr) », explique Molly qui est aussi sur une liste d’attente gouvernementale pour des cours de français depuis mai 2023. 

Pourtant, l’accès aux cours de français n’est pas le seul enjeu. En effet, Ady et Molly identifient le manque de compassion pour la courbe d’apprentissage du français chez certains Québécois. Molly explique avoir rencontré une dame dans un magasin : « Elle s’est mise à me parler français, et du mieux que j’ai pu, j’ai essayé de lui expliquer que je ne parlais pas français, mais que j’essayais d’apprendre. Elle a roulé ses yeux et a marmonné quelque chose que je n’ai pas compris. » Ady a vécu des expériences similaires, qui font qu’elle hésite à s’intégrer dans la culture francophone de Montréal. « Je suis réticente à faire l’effort de parler français, je ne sais jamais si je vais me faire insulter si j’essaie. C’est décourageant », explique-t-elle. 

« C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal »

Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise

La musique québécoise : un pont culturel et linguistique

Le problème d’intégration des anglophones à Montréal, décidément complexe, aurait peut-être une solution simple : la musique. Je m’entretiens donc avec Lysandre Ménard, autrice-compositrice-interprète québécoise basée à Montréal, pour comprendre ce qui distingue la culture musicale montréalaise, et ce qui pourrait faire d’elle une bonne porte d’entrée à la langue française. 

Lysandre affirme qu’« il y a beaucoup d’artistes francophones émergents à Montréal, qui font de la musique pour l’amour de cette dernière. Ils écrivent en français parce que c’est leur langue maternelle, c’est pour ça que moi je le fais. Mais au fond, ils ont tous la musique à cœur ». Ayant une perspective unique sur le sujet grâce à son expérience dans l’industrie de la musique, elle décrit d’un autre point de vue l’inclusivité de la scène musicale montréalaise. Elle-même joue dans des groupes francophones et anglophones à Montréal, et explique que ces différences linguistiques n’empêchent pas la synergie entre les musiciens. « C’est vraiment une belle communauté qui se forme autour d’un amour de la musique. Que les artistes parlent français ou anglais, ce qui émerge est propre à Montréal », remarque-t-elle. 

Cet esprit universel qui imprègne la musique montréalaise fait d’elle un pont parfait pour l’intégration culturelle, et par extension linguistique, des étudiants anglophones de McGill. Ce que Lysandre observe dans les coulisses ferait des salles de spectacles et des bars de Montréal l’endroit idéal pour les étudiants anglophones cherchant à tremper le petit orteil dans la culture québécoise, sans se sentir trop dépaysés. En effet, la musique sert de médium interculturel, par lequel n’importe qui peut saisir les valeurs, l’histoire, les imperfections, et la beauté de la société hôte. Cette diversité est mise en évidence dans les styles musicaux et les paroles d’artistes québécois comme Jérôme 50. Dans une entrevue avec Radio-Canada, il décrit l’identité linguistique québécoise, notant « une ouverture vis-à-vis de la question linguistique identitaire ». « Les locuteurs et locutrices au Québec sont fiers d’emprunter au créole haïtien, à l’arabe, à l’argot français, au verlan, au slang américain », explique-t-il. Une étude ethnolinguistique réalisée par deux professeures de l’Université Laval démontre que l’inclusivité du milieu musical de Montréal dont parlent Lysandre et Jérôme facilite l’intégration de nouveaux arrivants. Elle leur permet d’affirmer leur propre identité, tout en en apprenant plus sur la ville hôte. 

McGill, responsable de l’intégration de ses étudiants

Est-il possible de promouvoir l’intégration à travers la musique ? Les étudiants anglophones de McGill ne peuvent contribuer à la diversité de Montréal, si celle-ci n’est pas mise en valeur sur le campus. Lysandre, ayant elle-même brièvement étudié à McGill, remarque que combattre « l’autosuffisance du campus » dans un écosystème anglophone nécessite l’encouragement de l’administration de McGill. Elle affirme qu’ « il faudrait impliquer un corps étudiant, un comité de la vie sociale qui puisse coordonner les activités en français, pour faire le pont entre les communautés anglophones et francophones. C’est un effort que McGill ne fait pas nécessairement, et je l’avais remarqué quand j’étudiais là ». Elle admet également qu’il « faudrait qu’il y ait un minimum d’invitation de la part des francophones, parce que c’est épeurant d’arriver dans une nouvelle université, et dans une ville majoritairement francophone ». 

Lysandre n’est pas la seule à identifier l’administration de McGill comme acteur principal dans l’intégration des étudiants anglophones dans un Montréal francophone, par la musique. Ady note que « le Québec a beaucoup à offrir, mais je ne pense pas que tous les étudiants en profitent pleinement ». Il est donc important de donner la possibilité aux étudiants de McGill de s’intégrer. « Ceci est la responsabilité de l’étudiant, du gouvernement, mais aussi de l’Université », affirme Molly. Ady, qui va souvent au bar étudiant Gerts, ajoute ne jamais avoir entendu une seule personne parler français dans l’établissement. « Peut-être que si l’Université et la société étudiante de McGill faisaient un plus gros effort pour que la culture québécoise franchisse le seuil des portes Roddick, ce serait plus facile », remarque-t-elle. « C’est une question d’habitude. Les étudiants hors province sont déjà dépaysés, il serait plus productif de faire venir la culture québécoise sur le campus, où ils sont à l’aise » continue-t-elle. 

Découvrir la musique québécoise dans les deux langues, dans un contexte familier, faciliterait donc la transition vers une plus grande appréciation du Québec francophone chez les anglophones de McGill. Ceci, comme le fait remarquer Lysandre, est une simple question de publiciser les événements et concerts francophones sur le campus en anglais. Sur ce, elle suggère aux lecteurs du Délit, et aux étudiants de McGill de s’informer du « Taverne Tour », qui se déroule notamment au Quai des Brumes et à l’Escogriffe entre le 8 et le 10 février, et qui présente une grande variété d’artistes. Un plan parfait pour celui ou celle cherchant à en apprendre un peu plus sur le Québec.


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